[Histoires d’ateliers] Chez le peintre Matthieu Montchamp
Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.
L'atelier du peintre Matthieu Montchamp. (Illustration Malika Moine)
J’ai croisé Matthieu Montchamp sans le rencontrer il y a des années dans des fêtes organisées dans le Luberon par une amie commune. Nos enfants ont lié amitié et nous ont rapprochés. J’ai alors découvert son travail sensible d’aquarelliste et de peintre.
Je me rends un matin dans son atelier, aux confins de la Joliette. Il m’a prévenue, la sonnette ne fonctionne pas toujours. Par chance, à peine arrivée, je le vois approcher. Au-dessus de la porte monumentale, une inscription ancienne, à la typographie des années 3O : “COMPTOIR LINIER”. Au lieu du joli escalier de fer en colimaçon, on emprunte celui de pierres pour accéder au 1ᵉʳ étage.
Une fabrique de chaussures
Matthieu m’explique : “Ici, c’est la dernière partie qu’Euroméditerranée [établissement public, ndrl] aménage. Ils ont viré les gens depuis des années. La mairie avait acheté des espaces à moitié en ruines. Ici, c’était une fabrique de chaussures”. On aperçoit encore d’anciennes machines rouillées dans la cour, et des traverses de métal, assez magnifiques qui témoignent du passé industriel du bâtiment.
Il poursuit : “Avant, ça devait être des entrepôts – on est à deux pas de la Joliette… À un moment, la mairie a décidé de les vendre à des artistes. En 2016, avec Christophe Boursault, on a postulé sans trop y croire et on a été choisis. La vente a traîné longtemps, on a eu le temps de bien réfléchir. Dans ce bâtiment, il y a eu une quinzaine de lots vendus, des petits, des moyens, des grands. Du coup, il y a entre vingt et trente artistes dans ce périmètre… C’était pas cher, mais sous réserve de faire les travaux, d’avoir une activité artistique et de ne pas vendre pendant un certain temps. Le plateau fait 350 mètres carrés. C’était très beau, sans cloisons, avec une même charpente, trois grandes poutres et neuf poteaux, tels les piliers d’une église industrielle. J’y ai passé tout mon temps et même plus pendant un an. Je faisais les plans la nuit et les travaux le jour. On a réalisé les travaux ensemble et symétriquement. Les fenêtres d’ici étaient murées, il n’y en avait pas de l’autre côté. On a demandé le permis pour en percer. On a monté des cloisons de façon à faire quatre ateliers. Les deux autres sont occupés par Shingo Yoshida, cinéaste, rencontré aux Beaux Arts de Nice avec Christophe, et Karine Rougier, qui est peintre.”
Comme je n’ai croisé ni l’une, ni les autres en arrivant, je m’interroge sur le temps en commun de cet espace partagé : “Il y a des moments où pendant des jours, on ne se croise pas, car on est concentré sur nos travaux, et on n’a pas les mêmes horaires.”
Ce qui est bien dans ce grand atelier – 100m2 -, c’est que je peux faire plusieurs trucs à la fois : j’ai un coin pour peindre, un endroit pour faire des fonds, un bureau, des murs pour accrocher…”
Matthieu Montchamp
Tout en discutant, Matthieu prépare une barbotine pour faire des maquettes en terre à partir desquelles il fera des peintures. Sur une table, des bris de briques venus de gravats collectés sur un reste de chantier. Je m’interroge sur le lien entre espace et création. “Ce qui est bien dans ce grand atelier – 100 mètres carrés -, c’est que je peux faire plusieurs trucs à la fois : j’ai un coin pour peindre, un endroit pour faire des fonds, un bureau, des murs pour accrocher…” Il y a aussi un espace pour stocker ses toiles et ses châssis, parfois plus grands que lui. Je cherche où me poser, aperçois un vieux canapé. Je m’y assois, mais il est si cabossé que je ne trouve pas comment m’y affaler… Matthieu est bien le travailleur sans répit qu’il paraît être.
Nuages depuis la fenêtre
Il raconte son lieu : “Ça s’est mis en place progressivement. Avant, je faisais moins de petits dessins d’après nature. Je continue à travailler d’après photo, je ne vois pas assez de nuages depuis ma fenêtre, tu comprends…” Et comme je m’interroge sur le droit de dessiner et peindre d’après des photos des autres, il réagit, véhément : “Je ne me l’interdis pas et ne demande pas d’autorisation : Je refabrique tout, c’est des œuvres d’imagination dont je suis le seul auteur !”
Des structures de bouts de cagettes en bois, collés et montés comme des cathédrales sont échafaudées ici et là. Il précise : “Je me suis inspiré de charpentes métalliques du XIXe siècle, qui ont servi de faux rochers dans le zoo de Vincennes, et d’une structure de fausse montagne d’un parc d’attraction des années 50 aux États-Unis… J’ai toujours peint des montagnes, c’est une sorte de continuité…”
En effet, des peintures les représentent, comme une mise en abyme. Ce travail de sculpture m’amène à me questionner sur les différents outils de Matthieu.
Peindre au frais
“Je ne suis pas un fétichiste des outils. J’ai des pinceaux, je ne les jette jamais. Je fais mes constructions avec de la colle à bois et des cagettes. J’utilise des tubes d’aquarelles à l’atelier, c’est plus commode pour les grands formats, et en voyage, je travaille avec une boîte d’aquarelle à godets. Je peins aussi à l’huile. Aujourd’hui, j’aime bien peindre dans le frais. Avant, je travaillais dans des couches, des superpositions.”
Et la sempiternelle question économique alors ?
“Je vends mes peintures. Je travaille avec la galerie Béa-Ba au Vieux-Port. Je ne pense pas toujours à dire à quel point c’est important. Si des collectionneurs qui ont vu une exposition là-bas passent ensuite à l’atelier acheter une toile, la vente se fera par la galerie. C’est un métier de réseaux et de relations, c’est justifié. En outre, il y a de plus en plus de droits de présentation payés aux artistes quand, c’est des musées ou des centres d’art qui exposent. De temps en temps, je fais une intervention, mais c’est assez rare.”
Il poursuit : “Comme je n’ai pas beaucoup de frais grâce à cet atelier, je n’ai plus besoin de faire des petits boulots de bricolage et d’électricité, de cours de dessin, de peinture.” Matthieu me confirme ce que je constate et entends au fil des rencontres et de mon expérience : “C’est un métier à géométrie variable et les artistes qui vivent de leur art sont assez rares, même ceux qui exposent beaucoup… “
Vous pouvez voir les explorations singulières de Matthieu Montchamp à la galerie Béa-Ba (6 Sq. Protis dans le 2e arrondissement) et peut-être pousserez-vous la balade jusqu’à son atelier de la rue Duverger.
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