[Histoire d’ateliers] Le débarras joyeux et poétique des Pas Perdus aux 8 Pillards

Chronique
le 10 Fév 2024
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants. Dans cet épisode, elle arpente les 8 Pillards avec les créateurs des Pas Perdus, en vue de leur  "Joyeux Débarras" qui s'y tient ce samedi 10 février.

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L'atelier des Pas Perdus, au sein de l'ancienne usine les 8 Pillards. Illustration : Malika Moine

L'atelier des Pas Perdus, au sein de l'ancienne usine les 8 Pillards. Illustration : Malika Moine

Je crois avoir rencontré Dorine et Guy-André pour la première fois à une représentation de trapèze des élèves d’Artriballes à Noailles où ils venaient voir leur fille. Mon deuxième souvenir marquant est l’exposition Mari Mira au J4 en 2007. Une remise en jeu de plusieurs de leurs aventures en Afrique du Sud, aux îles Fidji à Paris et ailleurs… recyclage ludique et coloré d’objets du quotidien, dans l’esprit cabanon.

Les Pas Perdus, avec Dorine Jullien et Guy-André Lagesse (1er et 2e en partant de la gauche). Photo : DR

Je n’avais jamais été aux Huit Pillards avant cet entretien avec Guy-André Lagesse “plasticien plaisantiste“, co-initiateur de la compagnie Les Pas Perdus. Je m’y rends à pied, depuis la Plaine. C’est de l’autre côté de la Belle-de-Mai en traversant Plombières, juste derrières les décombres calcinés de KFC…  Guy-André vient à ma rencontre et m’emmène au premier étage de cette usine imposante. On gagne la chaleureuse cuisine – malgré la température glaciale, en passant devant la jolie caravane fleurie du Bureau des Guides. Guy-André fait un café et on s’installe à la grande table pour discuter.

Les brûleurs et le feu

Comment Les pas Perdus se sont-ils retrouvés dans cette ancienne usine de brûleurs pour l’industrie ?

“Grâce au feu qui s’est produit en 2018 au Comptoir de la Victorine où il y avait notre ancien atelier ! Pendant  un an et demi, on a cherché des endroits pour travailler, la Friche Belle de Mai nous a accueillis un temps, mais c’était compliqué de trouver un nouveau lieu… On a rencontré ETC et le Cabanon Vertical qui nous ont proposé de se joindre à eux pour rentrer dans cette ancienne usine dont l’activité industrielle venait de cesser. Le nouveau propriétaire, l’établissement public foncier régional nous l’a loué. Chacun est venu avec ses amis de travail car c’était immense : 3500 mètres carrés. Tout était à faire, on a travaillé ensemble un an et demi à la construction, l’électricité, l’eau… On a monté une collégiale des huit structures pour tout gérer et bien vivre ensemble”, retrace-t-il.

Chaque décision est prise à l’unanimité, parfois après plusieurs réunions…

Guy-André Lagesse

Guy-André me raconte avec enthousiasme les assemblées plénières mensuelles pour se comprendre les uns les autres et “gérer de manière horizontale” : “Les plénières continuent, organisées tour à tour par chacune des 11 structures. Chaque décision est prise à l’unanimité, parfois après plusieurs réunions… Parallèlement, des gens extérieurs sont accueillis pour travailler un mois ou plus.”  Les Pas Perdus ont 220 mètres carrés, du stockage sur une mezzanine et des bureaux. Ça semble grand mais, outre le noyau régulier du groupe de sept-huit personnes, beaucoup de gens viennent parfois travailler sur leurs projets.

Espace catalyseur

Quand je questionne Guy-André sur la façon dont l’atelier induit le travail, il raconte : “On travaille souvent hors les murs avec des gens qui sont complètement associés au processus artistique, sur des temps longs, parfois deux, trois ou quatre ans. On est alors en alternance entre deux ateliers. Il y a aussi ici des « invités ». Par exemple, on a commencé il y a deux ans un travail sur la vannerie. Cet atelier était primordial, avec les espaces communs de l’usine, la cuisine, les rencontres… Ici, on peut prendre le temps – y compris celui de ne rien faire – temps fondamental pour créer la vie ! 150 personnes sont passées, parfois seulement cinq jours, pour fabriquer un nid de rotin à partir d’un objet qu’elles avaient apporté. La relation existe avant tout, l’espace est là comme un catalyseur, il doit être confortable : on a appelé ça l’atelier-buvette“.

Il ajoute : “Un travail du sensible incorpore toute notre vie avec nos contradictions, nos paradoxes, nos facéties et nos silences : ce sont nos existences qu’on joue.”

Pour autant, l’avenir est incertain car le projet de rachat de l’usine par la collégiale n’a pas été retenu par l’EPFR qui la met en vente et a préféré au collectif d’artistes, des constructeurs des promoteurs immobiliers… Mais l’appel à projet n’est pas terminé. Peut-être tout n’est-il pas foutu ?

Joyeux Débarras

Pour l’heure, on quitte la cuisine et je découvre l’atelier, modifié en vue du Joyeux Débarras qui a lieu ce samedi 10 février, premier opus d’une longue série qui s’échelonnera sur les deux prochaines années… “Le principe, c’est de s’alléger après 35 années de projets et de créations dans plein d’endroits du monde”, résume Guy-André.  On monte sur la mezzanine où sont stockées des tas de choses insolites. Il y a là un canon, des tonneaux venus d’un château du Bordelais, des meubles donnés par Emmaüs… Une page de descriptions ne viendrait pas au bout des innombrables objets et matières, rangés ici. Car le cœur du travail poétique des Pas perdus réside dans l’assemblage “de plein de choses de la vie ordinaire d’avant et de partout”. Les objets, insiste Guy-André, “sont assemblés sans les altérer”.

Une perceuse à colonne, des tournevis, agrafeuses, mètres rubans, pinces, haches… dans l’atelier des Pas Perdus. Illustration: Malika Moine

Pour cela, il y a les outils “glanés, achetés dans un esprit d’outils de maison ou d’appentis de jardin. Parfois, on les fabrique, et d’autres fois, on fait appel à des constructeurs…” Mais, en fait d’outils de maison, il y a derrière les grands panneaux, délimitant l’espace prévu pour le Joyeux Débarras, comme des coulisses peuplées d’innombrables outils rangés dans des boîtes, des caisses ou posés sur des plans de travail. Parmi eux, une perceuse à colonne, des postes à souder, divers tournevis, agrafeuses, mètres, rubans, pinces,  haches, panga – utilisé en Afrique du Sud pour couper la canne -, pistolets à colle… et un studio de musique, dans lequel répète le groupe Unhun, né à l’usine Pillard.

Une oeuvre contre un rien, un sourire

Une oeuvre des Pas Perdus. Photo : DR

Et comment fonctionnent financièrement les Pas Perdus ? Guy-André cherche le bon mot, hésite à parler de “commande” et plus encore d’“aide” car “ça devrait être normal que les pouvoirs publics fassent en sorte que tout le monde puisse faire de l’art. Le travail sensible, l’épanouissement, c’est sur le temps long.” Les Pas Perdus sont encore subventionnés par la Ville, la DRAC (direction régionale des affaires culturelles), la région, le département. Et, dans les aventures de par le monde, par les Instituts français, parfois des musées, des entreprises ou des mécènes qui ont de vrais engagements sur le sens des projets.  “Ça permet qu’il y ait des salariés dans la structure et de payer les gens qui travaillent. C’est rarement assez mais c’est déjà ça. Hélas, aujourd’hui, parallèlement à l’abandon du service public, les moyens pour l’art inclusif s’amoindrissent, et sont plus orientés vers la normalisation qui rend les gens serviles que vers leur épanouissement…”, regrette le plasticien.

Pour échapper à cette réalité tangible, rendez-vous ce samedi 10 février à partir de midi aux 8 Pillards. Comme le rappelle Guy-André, “on ne sait pas ce qui va se passer, on inventera au fur et à mesure… le principe de ce Joyeux Débarras sera comme une remise en jeux du travail créé en Afrique du Sud avec Pat Khanye, Jabulani Mhlabini, Sibusiso Mbele, Doung Anwaar Jahageer, rencontrés là-bas.” À 15 heures, la tombola  “Une œuvre d’art n’est pas perdue” permettra à chacun et chacune de repartir avec une œuvre en échange de rien, d’un sourire, d’une chanson, d’un repas, d’une grimace ou de ce que vous inventerez…

Samedi 10 février à partir de midi aux 8 Pillards,  15 Rue des Frères Cubeddu, 13014 Marseille.

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