[Histoire d’ateliers] Dans l’atelier de Sylvie Villepontoux, Syoux ceramic
Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants. Dans cet épisode, elle part à la rencontre d'une céramiste.
Dessin : Malika Moine
J’ai rencontré Sylvie fortuitement, il y a quelques années, quand nous nous sommes retrouvées côte à côte au marché des créateurs du Cours Julien. Ensuite, ravies de ce bon voisinage, on a demandé à être placées à côté… J’ai aimé son travail, délicat et singulier, c’est donc tout naturellement que j’ai pensé à elle pour cette chronique de rentrée.
Au 25 rue d’Isoard, au cœur du quartier Consolat-Longchamp, territoire artistique de la ville, la porte de garage joliment graffée de l’atelier Seruse invite à découvrir ses intérieurs. Dans la première pièce qui ressemble à un garage vide et blanc, deux personnes silencieuses me saluent discrètement. Sylvie arrive d’une pièce dérobée et m’entraîne vers son atelier. On traverse une cuisine donnant sur une minuscule cour extérieure. L’atelier est bien rempli. À travers les fenêtres, en haut, on aperçoit les pieds des passants. La rencontre d’un artiste et de son atelier a toujours une histoire : « Je suis arrivée ici en 2000. À la sortie des Beaux Arts, j’ai eu un premier atelier à la Capelette puis j’ai voulu changer. Une copine habitait ce quartier, proche du centre. En baladant, j’ai vu des vitres cassées, ça semblait grand, j’ai cherché à qui ça appartenait et trouvé l’agence qui louait ce lieu. On était trois au départ, puis six… on a été jusqu’à 12 artistes ici. Il y a eu du turn-over… Aujourd’hui on est neuf. Le principe de collectif est important même si la pratique est individuelle et solitaire. »
Sylvie va faire un café dans la cuisine, le sert dans ses fins bols peints et poursuit : « Financièrement déjà, on partage le loyer. Humainement, quand on fait une pause, on mange avec quelqu’un… Ça crée des amitiés. Au début, on voulait un atelier pluridisciplinaire : peinture, vidéo , image animée, chanson, photo… On faisait quatre expos par an. Comme chez d’autres jeunes qui sortaient des Beaux-Arts, notre propos était aussi la promotion et la diffusion de l’art, sans prétendre être une galerie. À Marseille, l’art était underground. Maintenant, on fait les portes ouvertes et une expo de photo en novembre. Mais quand la gestion du lieu devient plus importante que ton travail, c’est problématique. Je me suis épuisée. Aujourd’hui, je veux m’occuper de ma créa plus que du lieu. »
Je m’interroge sur le lien entre l’espace et le travail artistique de Sylvie. Sa réponse en dit long : « Longtemps, j’ai peint à l’huile, ici. Pendant mes grossesses, j’ai arrêté par contrainte. L’espace, 20 m2, était devenu trop petit pour stocker mes toiles et je n’arrivais pas à en vivre, c’était devenu une souffrance… Je me suis mis à l’illustration et au collage de scotchs. Je faisais un peu comme du cadavre exquis, je créais des liens. En 2013, frustrée, je repense ma vie. “Comment gagne-t-on de l’argent avec son art ?” Ma fille avait fait une année de céramique en loisir chez Dominique Rampal, elle n’a pas voulu se réinscrire et c’est moi qui y suis allée. J’ai commencé à faire de l’utilitaire et petit à petit, j’ai vendu ma céramique sur les marchés. J’ai acheté un four d’occasion et peu à peu, l’atelier s’est transformé… Les livres et les BD ont laissé la place à la céramique. C’est un art tellement vaste et infini qu’il faut faire des choix, le fil conducteur étant le plaisir. Mais beaucoup de mes outils sont restés les mêmes… »
Je comprends mieux la singularité du travail de Sylvie à travers ses outils et sa démarche. « Je travaille à partir d’une barbotine [terre très humide sous forme de boue, ndlr] de porcelaine et de moules en plâtre que je fabrique. Je fais une pâte liquide que je coule dans des moules réalisés à partir d’objets divers. » Sylvie me montre le moule d’un petit saladier fait à partir d’un ballon de baudruche, une théière fabriquée à partir d’un pamplemousse chinois…
« Mon travail est empirique, la manipulation et l’observation mettent à jour mes idées. La céramique, c’est le système D ! J’utilise des outils traditionnels, l’estèque, avec un côté plat pour lisser et un côté dentelé pour graver, l’ébauchoir, l’affutoir pour la mine du crayon noir oxyde… J’ai gardé mes outils de peintre, mes pinceaux chinois pour peindre mes céramiques avec des jus d’oxydes, fer, cobalt avant d’émailler mes pièces. J’ai inventé pas mal de mes outils ou du moins, j’ai détourné leurs usages… J’ai troqué la poire à engobe [outil pour appliquer un revêtement sur les pièces, tel que l’émail ou l’engobe, ndlr] du céramiste avec la poire à lavement qui permet de retirer davantage de barbotine de mes moules. Parfois j’utilise aussi une louche. Une similitude avec le travail du boulanger existe : la pâte, le façonnage, le four… Je prends un fouet pour mélanger la pâte, une passoire pour ôter les grumeaux… Il faut trouver des astuces et des espiègleries. J’ai accroché un bout d’éponge à un pic à fondue pour lisser là où la main ne rentre pas, une paille pour allonger la poire et aspirer la pâte au fond. Plus on ruse, moins on s’use, il faut choisir le chemin le plus simple… »
C’est ce que Sylvie apprend à ses élèves qu’elle reçoit trois fois par semaine dans son atelier pour les accompagner dans leurs projets. Les cours assurent à Sylvie un revenu fixe, tout en restant une activité à la fois accessoire financièrement et très importante humainement. « C’est valorisant de transmettre, tu vois que tu es à ta place, ça te fait te sentir bien. Je réfléchis à des choses que je n’ai jamais faites. J’ai envie que mes élèves soient contents. » Le pan principal des revenus de Sylvie reste la vente de ses créations sur les marchés potiers, les marchés de créateurs, les boutiques de thé, de créateurs, et une galerie d’objets d’art à Lyon.
Vous pouvez, si le cœur vous en dit et la curiosité vous tenaille, franchir la porte de l’atelier Seruse. Sylvie vous accueillera chaleureusement, j’en suis sûre, autour d’une bonne et belle tasse de café.
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