[Histoire d’ateliers] Chez Pascale Lefebvre, une maison et un lieu de création

Chronique
le 25 Mai 2024
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.

Dans l
Dans l'atelier-maison de Pascale Lefebvre. (Illustration : Malika Moine)

Dans l'atelier-maison de Pascale Lefebvre. (Illustration : Malika Moine)

J’ai rencontré Pascale il y a quelques années chez une amie commune à Gardanne. J’ignorais tout de son travail que j’ai commencé à découvrir à travers une encre bien plus tard chez une autre de nos amies communes – la première ne connaissant pas la deuxième, et vice versa. C’est vous dire… Vous la connaissez aussi sans doute déjà, surtout si vous êtes allé à l’exposition de Baya à la Vieille Charité cet été : c’est elle qui nous (vous) a fait travailler sur de grands lés de papier, afin de peindre une immense fresque commune inspirée par l’univers de l’immense peintre algérienne. J’aime le travail de Pascale, ses univers, sa sensibilité et j’apprécie beaucoup son humanité, sa bienveillance… que je suis ravie de partager avec vous ce mois-ci.

C’est donc à Gardanne que je vous invite à me suivre : une petite demi-heure de bus depuis Saint-Charles.    Pascale m’attend à destination. Un café sur, et pour, la route, et elle m’emmène au cœur de la ville, dans une maison sur plusieurs étages. On grimpe jusqu’au dernier, non sans s’arrêter devant peintures, aquarelles et sculptures, d’elle-même ou d’autres. L’atelier est spacieux et bien rangé, éclairé d’un côté et de l’autre par des fenêtres s’ouvrant sur le ciel bleu.

Nid d’aigle

Je questionne Pascale sur sa rencontre avec ce lieu, à la fois atelier et habitation. “Je vivais à Marseille et j’avais un atelier à la Timone. Mais mon compagnon ne supportait plus la ville, il voulait venir à la campagne. Ma condition pour le suivre a été d’avoir un atelier. On a trouvé cette maison à Gardanne en 2013. Au début, je m’y sentais enfermée, il n’y avait pas d’extérieur contrairement à mon atelier de Marseille. Je suis allée peindre dans la campagne. Mais ici, le confort, c’est que peu de monde passe donc je bosse. Je ne fais pas de portes ouvertes car tu traverses la maison pour y accéder. C’est mon nid d’aigle dédié à la création, je n’ai pas de regard extérieur, je peux tout me permettre. C’est génial !”

Le multicouche me paraît essentiel dans le travail : il y a plusieurs étapes qui disparaissent jusqu’à la dernière.

Pascale Lefebvre

Je me demande en quoi cet espace a induit et changé son travail… “Ici, c’est grand mais mon atelier de Marseille mesurait 75 m2, je faisais de grandes pièces invendables ! Ici, je ne travaille plus la peinture à l’huile car on dort dans la maison, la térébenthine, les cadmiums, les plombs sont toxiques et polluants… Du coup, je dessine avec cette question permanente : Qu’y a-t-il de commun – et de différent – entre la peinture et le dessin, entre le papier et la toile ? La toile coupée me convient mais est ambiguë pour l’acheteur, c’est ni une toile, ni un dessin, il ne s’y retrouve pas. Le multicouche me paraît essentiel dans le travail : il y a plusieurs étapes qui disparaissent jusqu’à la dernière. Dans le carnet, chaque dessin est une étape mais les étapes ne disparaissent pas…”

Carnets de vie

Ces “carnets de vie” sont devenus ces dernières années une part prépondérante de son travail. “À Marseille, j’étais dans la peinture et ici , je suis dans les carnets et les dessins peints.” Pascale réfléchit à voix haute : “Tu rentres dans les peintures monumentales et dans les carnets. La peinture est publique et les carnets privés, intimes, en les ouvrant, tu ouvres des mondes…” Ce lien entre le carnet et l’intime me rappelle que son atelier est dans sa maison, un peu comme dans la chanson, son compagnon travaille en bas et Pascale en haut. “C’est important que ce soit séparé de ta machine à laver et de ton frigo, et tu ne dois pas te dire : j’arrête à 13h pour faire le ménage!”

Les outils de Pascale. (Illustration : Malika Moine)

Les outils de Pascale sont bien rangés, car en ce moment elle travaille sur son site internet. Il y a foule de crayons de couleur, de la gouache, des aquarelles, des encres, de l’acrylique, du papier découpé. Elle va chercher d’une étagère un gros registre ancien à la reliure de cuir, chiné à Emmaüs ou aux puces. Il s’ouvre sur une forêt tracée à l’encre, peinte avec des herbes sèches, des branches, de la broussaille et de magnifiques pinceaux en plumes de coq qui trônent parmi les autres outils. “Lorsque tu utilises des papiers, livres ou registres déjà usagés, tu n’as pas l’angoisse de la page blanche…” Puis elle sort d’un des meubles un papier peint (ou dessiné ?), le déplie : “Le carnet était devenu trop lourd.” Magnifique grand format, encre sauvage, spontanée, dense et vivante.

Le sens de l’enseignement

J’ai vu et participé aux ateliers de Pascale à la Vieille Charité, je sais qu’elle enseigne, elle m’a d’ailleurs donné de bonnes idées et de bons conseils pour mes propres ateliers. Je l’interroge sur la façon dont elle arrive à vivre de son art. “Jusqu’à 50 ans, j’en ai chié mais j’ai vécu de mon art, entre les peintures, les dessins, les interventions dans les écoles, les salons, les expositions en France et à l’étranger. Mais à 50 ans, j’en ai eu franchement marre d’être sous-payée et de me déplacer partout. À Gardanne, j’ai travaillé dans l’école d’art municipale pour les élèves, et aussi pour moi, à travers mes carnets : on appelle ça « le travail à la perruque », comme les ouvriers d’imprimerie qui utilisaient les machines pour leur compte personnel afin d’imprimer des tracts. Depuis, je peux travailler pour moi et être payée, on travaille ensemble avec les élèves… L’enseignement prend un sens, et mon carnet de croquis est un carnet de travail. J’ai été 7 ans vacataire à Gardanne mais maintenant j’ai un CDI pour des cours de modèle vivant anatomique à l’école de création visuelle (ECV) à Aix. C’est super, mais encore insuffisant financièrement. L’année dernière, j’ai eu ce bonheur de Baya, où j’ai dessiné en grand, avec mes copines de Marseille. J’ai mis des sous de côté mais je ne sais pas comment ça va se passer à partir de septembre. Aujourd’hui, si j’étais riche et fortunée, je lèverais le pied sur les cours. J’arrive au bout de quelque chose, j’arrête mes carnets et je les mets en boîte, j’arrête le recto-verso et je ne sais pas encore, je vois venir… “

Je ne m’inquiète pas pour la créativité de Pascale, certaine que des inspirations la lanceront dans une période artistique différente, riche et intense. À défaut de venir visiter son atelier en chair et en os, je vous invite, en attendant une exposition, à vous perdre et vous retrouver dans son site internet ou sur son Instagram ou encore dans son Vimeo.

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