[Histoire d’atelier] Les costumes rêvés de Virginie Breger
Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.
Dans l'atelier de Virginie Breger. (Illustration : Malika Moine)
C’est lors d’un stage de danse à Bonnieux que j’ai rencontré Virginie. C’était il y a 35 ans, j’avais 15 ans. Costumière, elle m’avait d’emblée proposé de faire le patron du pantalon de mes rêves. Hélas, quand j’ai voulu le réaliser, j’avais grandi et il n’était plus à ma taille !
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque moult années plus tard, je la croise dans ma rue : elle sortait de son atelier. Toujours aussi chouette et généreuse, elle m’a montré comment teindre du feutre de laine, pour la fabrication d’un chapeau. Avec Virginie, on peut passer des années sans se voir et la fois suivante, c’est comme si on s’était quittées la veille… Récemment, j’ai été éblouie par les masques de ses stagiaires. Un matin, on s’est rencontrées par hasard Chez Léon, aux Allées Gambetta, et je me suis inscrite au stage de masque suivant.
J’ai passé une semaine fantastique aux côtés de trois autres stagiaires.
La costumière Virginie Breger. (Photo : Malika Moine)
Je retourne aujourd’hui chez Virginie, au Chapitre. Dans le grand vestibule, un portant déborde de costumes d’époque. Dans la salle où avait lieu le stage, une jeune femme fait un patron, conseillée par Virginie. Autour d’un thé, je l’interroge sur la rencontre avec ce bel endroit. “Le projet initial était d’avoir un grand espace où vivre et avoir mon atelier. Mélanger mon travail et ma vie, ça reflète bien ma façon de fonctionner. Même si ça peut accentuer ses travers… J’avais envie de partager ce lieu, je ne voulais pas une grotte ! Le covid est arrivé et on a fait d’abord les travaux de l’atelier, car j’avais un travail pour François Cervantes [auteur et metteur en scène, ndlr]. Du coup, l’association faisait des autorisations pour les collègues qui venaient bosser ici. On avait l’impression d’être un lieu de résistance. On faisait aussi les prototypes et les aménagements de fauteuils roulants à l’intention des personnes en situation de handicap pour le carnaval de la Ville de Marseille.”
Comme je l’ai constaté durant cette semaine de stage, c’est un atelier partagé : un vrai ballet entre ceux qui entrent et qui sortent. Virginie m’explique qu’elle n’a pas mis d’annonce, elle a laissé faire le bouche-à-oreille. “La première arrivée fut Makeda, anthropologue, venue initialement pour créer des collections de vêtements avec des tisserands éthiopiens, mais la guerre en Éthiopie a mis à mal ce projet. Elle a alors commencé un livre sur sa famille — il faut dire qu’elle est la cousine de Johnny !” Il y a aussi Jeanne : “Une copine d’une de mes filles, à la fois comédienne et costumière — techniquement, je suis là pour elle.” Récemment, Salomé, une jeune modéliste, s’est installée. En aparté, Virginie est maman de quatre enfants ! Elle fait partie des “super nanas” que j’admire : archi-forte dans son métier, elle déplace des montagnes et tout ça avec plein d’enfants et le sourire !
Ici, on ne laisse pas son cerveau à l’entrée, on garde son libre-arbitre, son esprit critique, sa capacité à mieux faire.
Virginie Breger
Elle raconte : “Je travaille beaucoup seule, rarement en équipe, et j’ai du mal avec la hiérarchie. J’aime bien travailler avec des gens autonomes, avec qui échanger des expériences. Ici, on ne laisse pas son cerveau à l’entrée, on garde son libre-arbitre, son esprit critique, sa capacité à mieux faire…”
À propos du rapport espace-création, l’image du précédent atelier de Virginie me revient. Je pense tout haut “c’est le jour et la nuit”. Il était exigu et sombre… celui-ci est immense et lumineux. Si l’entrée est commune à l’appartement et à l’atelier, il y a différents espaces de travail : une petite cuisine qui fait buanderie, la pièce des machines à coudre et de la presse, la salle des moulages, petite, où se trouve le matériel pour faire les prises d’empreinte, du modelage, des produits pour apprêter les chapeaux, mais aussi de quoi faire des masques, un établi, un étau… ; la pièce avec les tables de coupe communes ; la bibliothèque avec des livres d’art et de costumes — “et ça, c’est vraiment important !” me confie-t-elle. Il y a aussi le bureau de Makeda. L’atelier permet aux “permanentes” d’entreposer leurs affaires dans de bonnes conditions. Mais Virginie tient à ce que “des gens puissent venir ponctuellement pour faire des retouches pour des petits tournages ou des projets spécifiques“. Ces espaces différents donnent une organisation dans l’usage et en même temps, “qu’est-ce qu’on marche, c’est du sport !“, rit-elle. “Chacun fait gaffe aux autres, mais on n’a pas besoin de savoir quand ils arrivent…”
Ainsi, les usages des espaces sont induits par les outils qui s’y trouvent, et ils sont pléthore.
Les outils de la costumière Virginie Breger, dans son atelier. (Illustration : Malika Moine)
Pour la couture : le papier ; les crayons ; des règles droites ou courbes comme les perroquets ; le maître-ruban ; des mannequins de toutes sortes que l’on modifie selon pour qui on travaille ; des toiles techniques — matières de soutien des costumes ; la roulette et le papier carbone ; les ciseaux, des petits très pointus et des grands, “les ciseaux d’une costumière sont en général comme la prunelle de ses yeux, mais, moi, je m’en fous” ; le coupe-fil “que certains détestent, mais que j’adore” ; des dés ; les fers à repasser dont le fer à coquer pour le travail du chapeau ; les pinces pour piquer dans les matières très résistantes et celles pour “couper les âmes” ; les baleines et les armatures en plastique et en fer…
Il y a aussi les machines, telle la grosse presse à vapeur pour repasser et pour former et déformer les matériaux ; les machines à coudre parmi lesquelles la piqueuse plate — la principale ; la zigzagueuse ; la surjeteuse ; et les machines industrielles comme la double-entrainement, une machine pilier pour piquer le cuir dans des endroits inaccessibles et les éléments galbés déjà en forme…
Mouton réalisé par la costumière Virginie Breger pour l’opéra “Pinocchio” de Joël Pommerat. (Photo : Malila Moine)
Pour le travail de modiste et des éléments de tête, il y a les marottes et les bois, les petits marteaux et les agrandisseurs… Virginie constate : “Je fais des chapeaux tellement épisodiquement. En revanche, je continue à me former pour des supports de tête sur lesquels on met des coiffes ou des éléments délirants pour le théâtre, le cabaret, et parfois la haute-couture.”
Dans le stage que j’ai suivi, on a travaillé avec des outils de modelage, des bandes plâtrées, du plâtre, de l’argile et tous les outils de modelage qui vont avec, les matériaux plastiques thermoformables avec des décapeurs, une Dremel, des plateaux tournants, des cales en bois…
Loup réalisé par Virginie Breger, pour le spectacle “Forêts paisibles”, mise en scène de Martine Wijckaert en 2020. (Photo : Malika Moine)
La liste des outils pourrait être encore longue, tant Virginie imagine des astuces techniques pour résoudre les problèmes au gré des créations inédites. Le plus souvent, elle travaille en lien avec un metteur en scène, qui lui dit ce qu’il veut, ou pas. “Parfois, les gens font un croquis sans imaginer le volume et la mise en réalité de l’envie…” À elle de résoudre les problèmes techniques.
Si Virginie fait parfois des formations (géniales !), c’est grâce à son travail avec les diverses compagnies qu’elle est intermittente. Elle ajoute : “J’ai créé il y a 35 ans une association qui gère mon atelier. L’atelier est mon outil de travail. Les gens qui viennent adhèrent à l’association et paient une participation mensuelle, ceux qui viennent de façon éphémère paient en fonction de la durée et du projet.” À bon entendeur, salut !
Si vous êtes curieux du travail de Virginie Breger, je vous invite à aller sur sa page Instagram. Ou voir un des spectacles pour lesquels elle a travaillé comme Zone à étendre, monté par l’ERAC, Angèle de Pagnol, par La Cour des Grands — randonnée-spectacle entre avril et juin (mais c’est plein…), ou encore Un Toit à la Mer du Dynamo Théâtre en préparation pour Avignon et, pour plus tard, une reprise avec Cirquons Flex de Tout l’Univers en plus petit de Gilles Cailleau… Et n’hésitez pas à lui proposer des projets, elle est trop forte !
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