Malika Moine vous présente
Histoire d'atelier

[Histoire d’atelier] La belle ouvrage de Paul Duvernoy

Chronique
le 5 Juil 2025
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Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.

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L'atelier de Paul Duvernoy. (Illustration : Malika Moine)

L'atelier de Paul Duvernoy. (Illustration : Malika Moine)

Ce n’est pas parce que je connais Paulo depuis des lustres que je vais le voir aujourd’hui. Pas non plus parce que sa mère est l’une de mes grandes amies. Je ne l’ai pas choisi parce qu’avant de devenir artisan, il a été ingénieur dans les énergies renouvelables — quoique ça compte dans son approche particulière pour son nouveau métier… En voilà la raison : Paul Duvernoy est menuisier ébéniste, aux confins de l’artisanat lorsque celui-ci flirte avec l’art. Et de multiples façons, vous allez voir…

Paul Duvernoy. (Photo : DR)

Me voilà en route pour la Belle de Mai,  rue Jean Christofol — du nom du seul maire communiste de Marseille, note Paulo. La déambulation depuis la porte d’entrée semble interminable, le long d’un couloir, entre un mur décoré de fresques et des parois de bois presque éphémères. Soudain, s’ouvre un espace immense et comme amplifié par une mezzanine éclairée de verrières.

Une porte est ouverte sur une cour et déjà des chants d’oiseaux fêtent le printemps qui tourne à l’été. Des voix aussi, du mouvement… J’ai découvert l’atelier le soir de l’inauguration, mais c’était… la fête, quoi… Paulo m’emmène dans son espace personnel qu’une grande fenêtre sépare de l’immense vestibule. Je m’assois sur une chaise branlante. L’adage “les cordonniers sont les plus mal chaussés” prend tout son sens !

Je suis curieuse de l’histoire du lieu. Paulo raconte : “En discutant avec Charlotte, une copine peintre qui allait être virée de son atelier de la rue Saint-Pierre avec huit collègues artistes, on a pensé à trouver un atelier ensemble. À l’époque, j’étais locataire dans un atelier partagé où il n’y avait pas d’espace personnel. On était entre vingt et trente, c’était hyper intéressant, avec des gens archi-compétents, mais très tourné vers l’agencement et la fabrication, et on ne pouvait pas inviter des tiers. Or, avec Charlotte, on avait envie de travailler ensemble sur un meuble. C’est comme ça qu’on a commencé à chercher de concert un lieu… Dans la semaine, on a vu une annonce pour une ancienne usine d’embobinage de moteurs électriques : 300 mètres carrés avec une mezzanine de trente mètres carrés à acheter à la Belle de Mai. Un mois après, on avait signé le compromis ! On est quatre dans la SCI, avec quatre prêts perso, plus la banque… On a eu les clés début novembre. Après quatre mois de travaux, pendant lesquels on a cassé, évacué les gravats, fait des cloisons, agrandi la mezzanine, on s’est installés. Là où je suis, c’étaient des toilettes ! Aujourd’hui, on est trois menuisiers ébénistes et dix artistes.” L’espace de Paulo n’est pas si grand, treize mètres carrés, mais il y a un grand espace menuiserie commun avec les grosses machines.

Banc “Hans Wegner”, de Paul Duvernoy. (Photo : DR)

L’atelier partagé a dès lors de multiples avantages : “Ici, à fréquenter des gens dans la création, j’espère tendre à fabriquer des choses plus originales et inventives, à changer mon rapport à la création et à la fabrication. Partager le même lieu ouvre des possibilités de parts et d’autres. Par exemple, je viens de fabriquer une installation avec Alan Schmalz, un artiste de l’atelier, pour une expo en Suisse. C’est intéressant de faire autre chose que des meubles. Je ne peux pas envisager d’être seul dans un atelier. J’ai l’impression que seul, tu développes un caractère pas possible et si tu n’as pas d’avis extérieur, tu peux partir dans la mauvaise direction et bloquer sur des problèmes simples. On a tout le temps des défis techniques.” 

Je vais bientôt moi-même expérimenter un autre bon côté de l’atelier partagé : Cécile et Pierre ont préparé l’avant-veille une pâte au sarrasin pour faire de véritables galettes bretonnes et ça, c’est la classe ! Je repartirai même avec la recette en poche.

Pour l’heure, je m’approche de l’établi sur lequel sont posés quelques outils. Je demande à Paulo de les raconter…

“Il y a plusieurs outils que j’aime bien.” Paulo sort de sous l’établi une pochette qu’il déroule : des scies japonaises. “Il y en a différentes pour différents usages. Plutôt que de sortir une machine, la régler, déplacer ta pièce — ça prend du temps —, tu peux faire ça à la main. Elles sont archi-légères, tu pourrais les prendre en rando. Contrairement à plein d’outils, ça s’achète neuf. Mais c’est très fragile, si t’as pas le bon geste, tu casses la lame.”

Bar “Rideau”, de Paul Duvernoy. (Photo : DR)

Il me montre la plane, “très utilisée à l’époque. Il y a un geste et une lecture du bois, si tu fais ça mal, tu risques des arrachements”. Paulo dispose un à un différents rabots, tous de seconde main, “pour casser les arêtes, affleurer… Il y en a des dizaines. Dans la même famille, il y a le racloir pour les finitions”. Un maillet, “plus doux que le marteau, on l’utilise avec des ciseaux à bois bien affûtés. Pour tracer, il y a le trusquin, très utile pour reporter une distance, des équerres et une fausse équerre pour reporter un angle”. Dans les petits outils, la tenaille “pour enlever les clous des chevilles”, les râpes utilisées pour les chaises, et les indispensables pierres à affûter. Et bien sûr, l’établi qu’il a fabriqué pendant son CAP.

Paulo m’emmène dans l’espace commun. Presque tous les petits outils de l’atelier personnel de Paulo sont ici en grand, machines industrielles, souvent anciennes, patinées, mais pas désuètes. Ce sont ces machines que je choisis de dessiner. Il y a “la mortaiseuse à chaines, pour faire des mortaises, des trous carrés, des assemblages souvent invisibles, pour connecter des pièces”.

En face, une gigantesque scie à ruban et une non moins grande scie à format. Il m’explique patiemment : “La lame circulaire sort de sous la table et le chariot coulissant déplace les pièces de bois.”

Scie à format. (Illustration : Malika Moine)

Vers la porte, une toupie. Un axe vertical sur lequel on fixe les outils “pour faire des rainures et des usinages divers”.

Toupie. (Illustration : Malika Moine)

Une dégauchisseuse trône. “C’est pour créer des faces planes. On achète pour un projet des planches brutes de bois qui ont séché plusieurs années, il faut enlever les parties non utilisables et créer des surfaces planes et perpendiculaires.”

Dégauchisseuse et mortaise à chaîne. (Illustration : Malika Moine)

Il y a aussi une sorte d’aspirateur géant, “une aspiration d’atelier pour les copeaux et la poussière”. Et puis “la raboteuse, un outil pas très esthétique à dessiner, mais une super machine. Quand le bois est passé par là, il est clean et prêt à être travaillé”.

Scie à ruban et raboteuse. (Illustration : Malika Moine)

Comme à chacune de mes visites d’atelier, je me questionne sur les moyens de subsistance des collègues… “Ce n’est pas avec le travail manuel qu’on gagne sa vie. Pour moi, ce qui est obligatoire, ma base de revenus, c’est la partie agencement, mobilier sur mesure pour les particuliers ou les professionnels. C’est plus difficile avec le petit mobilier, tables, chaises, buffets, mais c’est un peu l’objectif de tous les ébénistes. J’ai fabriqué une table coulissante pour une dame qui en rêvait depuis des années et ne savait pas comment la réaliser. Après discussion, ça a abouti, c’était vraiment intéressant. Hélas, tout le monde ne peut pas se payer des meubles sur mesure faits pour durer et le réflexe de faire appel à un ébéniste est souvent perdu.”

Il ajoute : “Ikea a changé notre rapport au mobilier, les meubles sont désormais considérés comme des consommables… En simplifiant, mes revenus cette année, c’est l’aménagement d’un restau. Et là, je vais faire un comptoir pour le bistrot Chave qui va ouvrir bientôt. J’ai fait pas mal de bibliothèques et d’étagères sur mesure, j’aime bien…” Je corrobore ses dires. Dotée moi-même, enfin… dans mon atelier… de magnifiques étagères que l’on a imaginées ensemble, emboîtées avec des tenons et des mortaises. De la belle ouvrage.

Si vous voulez en voir davantage, visitez donc son site, et si une idée vous habite ou surgit, n’hésitez pas à le contacter…

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