[Histoire d’atelier] Dans l’atelier de Mario Goffé
Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.
[Histoire d’atelier] Dans l’atelier de Mario Goffé
C’est après la rétrospective de Marie-Lucie Poulain à la Cité des arts de la rue que j’ai rencontré Mario Goffé. Il m’a livré une œuvre que je m’étais offerte — dans mon idéal, j’aimerais acheter une œuvre d’art chaque année et ça faisait bien longtemps que ça ne m’était pas arrivé. On a alors bu un verre et discuté un peu. Il m’a brièvement raconté ce qu’il faisait, suffisamment pour éveiller ma curiosité. Quelques jours plus tard, j’ai pensé : “Mais… Il faut absolument que je vois son atelier et le fasse découvrir aux lecteurs de Marsactu !”
Le rendez-vous est pris à la Cité des arts de la rue, à côté du bus debout, devenu symbole de ce haut lieu de la création à Marseille. Mario m’invite à entrer dans le bus. Je lève la tête et me trouve soudain en prise avec une sorte de vertige semblable à celui d’Alice croquant dans le biscuit qui fait rapetisser. Un léger mouvement du bus ajoute à cette sensation surréaliste… Un aperçu du travail de Mario qui tord la réalité pour nous faire réfléchir.
Il m’emmène de l’autre côté de la Cité jusqu’à son atelier constitué de… trois containers. “Le container est la meilleure invention de l’homme avant Dieu, Dieu étant le container à l’inexpliqué”, me confie-t-il. Je lui demande comment il s’est trouvé ce singulier atelier.
“Je travaillais dans l’ancien atelier mécanique des Abattoirs. J’ai été viré vers 2004, quand ils ont voulu construire la mosquée. J’ai acheté ces containers qui étaient là-bas et j’ai déménagé ici avec Générik Vapeur officiellement en 2009. D’abord dans le noyau central de la compagnie, puis en compagnonnage, je fabriquais pour Générik des machines un peu complexes qui demandent de l’ingénierie. J’ai fait aussi beaucoup de machines pour Johann le Guillerm.”
Trois containers
Je me souviens d’une expo extraordinaire de ce prodigieux circassien à la Friche il y a quelques années. Machines absurdes et magnifiques, en mouvement perpétuel… “Johann fait une petite maquette en allumettes ou en pâte à modeler et il dit : j’aimerais que ça fasse 18 mètres. Ça demande une compétence technique et une intervention poétique.” Il sourit : “Je suis trop poète pour être un bon ingénieur et trop ingénieur pour être un bon poète.” J’aurais tendance à penser au contraire qu’il est l’un et l’autre.
Il ouvre une à une les portes des trois containers exigus, de six mètres sur trois. Le premier est le bureau, dédié aussi au petit bricolage et à l’électronique. Le deuxième est l’atelier de mécanique-soudure-meulage et stockage. Le troisième, l’espace d’électricité et le lieu de stockage des moteurs. Dans chacun sont entreposés des milliers de pièces, d’engins, de téléphones (58), d’ordinateurs de toutes générations. Mais ce qui me frappe, c’est que Mario fait du monumental dans des ateliers si petits…
Le rapport entre son espace et ses créations est aussi surréaliste que ses machines elles-mêmes… “J’ai quand même fait des trucs qui pèsent cinq kilos, mais aussi des choses de 400 tonnes !” Il ajoute : “Dans les grands trucs, il y a toujours des petits machins fondamentaux sans lesquels rien ne marche, ne serait-ce que les calculs. Mais l’extérieur est archi-important et quand c’est monumental, je conçois, j’invente et je vais voir Sud Side — des champions pour souder et découper —, Générik ou d’autres. C’est un travail d’équipe !” Pour cette chronique, j’ai aussi fait équipe : si le dessin de l’extérieur est de moi, c’est ma super stagiaire, Jade Ferrato Cadue, qui a dessiné l’intérieur du premier container.
Sur un mur, une affiche :
Mario m’entraîne en contrebas, à la cascade des Aygalades, avec sous le bras une petite boite noire. “Tu mets 50 cents, et t’as dix minutes de nature au lieu d’un Mars ou d’une cannette !” Il glisse une pièce, quelques secondes passent et l’eau commence à jaillir du haut de la cascade. C’est magique et grandiose. Encore un travail d’équipe : Stéphane Manildo, l’architecte paysagiste ; Jean-François Marc, l’artiste jardinier ; le lycée professionnel René Caillé de la Capelette à la réalisation ; et Mario Goffé, l’inventeur.
Si pour Mario, “l’outil prolonge la main de l’homme”, un inventaire à la Prévert s’impose pour énumérer les siens. Dans le premier atelier : des composants, des fers à souder, des scies sauteuses, un micro-ondes pour manger, une perceuse à colonne que j’ai décidé de dessiner, des tarauds pour fabriquer des écrous, des clés à molettes de toutes tailles, des tournevis et j’en passe…
Dans le deuxième atelier : un poste à souder, un découpeur à plasma pour découper la tôle avec un chalumeau électrique, un tour à métaux, des meuleuses, un étau, un stock de ferraille, des vérins pneumatiques à air comprimé, des électrovannes, sortes de muscles qui ouvrent les portes de voitures par exemple, des pompes hydrauliques, des moteurs suspendus qui dansent, une perceuse à ruban… J’en oublie, c’est sûr.
Le troisième atelier est sans doute plus habité encore : une fraiseuse numérique, des stocks de moteurs électriques de machines à laver, le squelette d’un ancien distributeur de bonbon, de vieux magnétoscopes VHS, des flashs d’appareils photo hyper puissants, de vieux projecteurs du Lido, des disquettes d’ordis des années 80, des disques durs (“c’est merveilleux dedans !”).
La technologie au service de l’art
Mario explique : “Il y a plein de choses que je n’utiliserai peut-être jamais, mais qui peuvent me servir d’opportunité. Ça me donne des idées que je relie à des idées poétiques ou philosophiques. Je pars de la matière et les idées arrivent, l’inverse est plus difficile. La poésie vient d’un décalage entre ce qui est attendu et ce qui arrive.”
Parmi les outils, un carnet, un crayon et un ordi. “Je travaille avec l’informatique depuis 1994, comme pour la tarasque créée avec Générik en 95-96 dans les douves du château de Tarascon : le crocodile sous-marin sortait de l’eau tous les quarts d’heure, actionné par un ordi avec la technologie de l’époque. L’informatique permet de gérer plusieurs commandes électriques.” Pour Mario, la technologie est au service de la poésie, de l’art. “Devant les spectacles de Générik ou de Johann le Guillerm, les gens sont bouche bée. L’art doit bousculer, créer un traumatisme.”
Comment gagnes-tu ton pain, Mario ? “J’ai aucun talent pour trouver de l’argent, c’est pour ça que je suis avec des gens qui savent faire et qui ont un système de production.” Encore une fois, je pense au précieux système d’intermittence du spectacle qui manque tant aux plasticiens et permet la réalisation de projets fantasques et fantastiques comme ceux auxquels a participé Mario.
“Mes projets évoluent avec le temps… Très récemment, je fais des dessins et des conférences scientifiques burlesques : une information scientifique véritable conduit à une réalisation complètement absurde.” On passe du raisonnement au sensible, du rationnel au poétique, comme avec la Machine à trier les mythes et les idées toutes faites, ou la Machine à pulvériser les mythes. La machine est concrète, mais il n’y a que son dessin — et le discours qui l’accompagne… Il y aura prochainement une conférence à la Cité.
Pour en savoir davantage sur cet artiste poète et ingénieur, reconnu par ses pairs mais pas assez par nous autres, je vous invite à vous rendre sur son site. Vous y découvrirez ses machines à penser, son laboratoire de robotique émotive, son garde-manger et beaucoup d’autres projets loufoques et ingénieux. Vous pourrez ainsi vous tenir au courant de ses projets à venir.
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Une chronique qui donne envie de mieux connaître le travail – et l’atelier de Mario Goffé !
Merci Malika !
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