[Entre les lignes] Bonzes et mamie à poigne

Chronique
le 1 Avr 2023
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Auteur, slameur, Mbaé Tahamida Soly est l'un des fondateurs de la sound musical school B Vice à la Savine. Voyageur sans permis, il utilise au quotidien les transports publics. Ils lui offrent la matière de portraits de voyageur, écrits comme des saynètes et postés sur les réseaux sociaux. Pour Marsactu, il en fait une chronique à lire entre les lignes.

Dessin : Ben 8
Dessin : Ben 8

Dessin : Ben 8

Au Centre Bourse, j’attends avec d’autres passagers le bus 97 🚏 en direction de l’Hôpital Nord.🏥 Lorsqu’il déboule, un jeune homme d’à peu près vingt-cinq ans me bouscule et me grille la politesse pour monter à bord. (Je reste zen). Une fois à l’intérieur je cherche une place où poser ma vieille carcasse mais n’en trouve point. Le malpoli de tantôt, lui, s’installe sans gêne sur les sièges réservés aux personnes à mobilité réduite. (Je ne décèle pourtant chez lui aucun signe qui lui en donne le droit de jouissance. À moins que l’impolitesse soit un handicap ?)

Moi, je me cale debout dans le coin réservé aux poussettes, fauteuils roulants ♿ et ; depuis peu ; servant également de parking mobile aux trottinettes et même aux vélos électriques.🚲

Au premier arrêt après notre départ embarquent d’autres passagers dont une jeune femme avec une grosse poussette et un petit ventre rond.🤰 Elle est habillée d’un manteau de fourrure gris, d’une mini-jupe blanche et d’un pantalon bleu 👖 au bord de l’asphyxie tellement son hôtesse l’a comblé de ses généreuses rondeurs. Elle porte également des chaussures à talons noires compensées 👠 ainsi que des lunettes de soleil 😎. Je m’écarte à côté de la porte de sortie pour laisser notre Rihanna du 13 garer son 4×4 mais elle choisit de se mettre en plein milieu de l’allée. Madame n’a pas le temps. Elle est très occupée au téléphone.

J’te jure, ses enfants sont trop mal élevés. En plus ils sont sales. Tya vu comment elle les habille. On dirait des clochards.

Trois moines bouddhistes habillés de tunique safran, bonnet et manteau jaune et baskets 👟 ainsi que d’une veste noire discutent en face de moi dans une langue étrangère, à la gauche de notre conductrice de Hummer. Le bébé de cette dernière 👶 d’à peine deux ans joue avec une figurine de super héros dans une main. Sa mère l’a affublé d’habits et de chaussures de la marque à virgule.

Le chiard laisse choir son jouet et se met à chouiner. L’un des bonzes le ramasse aussitôt et le lui tend avec un grand sourire et des yeux lumineux. Maman qui a vu toute la scène ne le calcule pas et continue son commérage.

Le jouet tombe une seconde fois et notre bon bonze le ramasse de nouveau pour le remettre au marmot qui cesse aussitôt de se plaindre.

À la troisième fois et toujours avec le sourire, le moine se penche pour refaire le même geste mais une sexagénaire assise derrière Madame Pipelette lui intime l’ordre de n’en rien faire, l’arrêtant dans son élan.
“Laissez ça par terre Monsieur”, lui dit-elle de sa voix fluette, joignant un geste de la main à sa parole.

“On ne vous remercie pas pour votre geste, alors à quoi bon”

Le moine quelque peu interloqué fixe son interlocutrice avec de gros yeux et un grand sourire, la figurine dans sa main ✋. Il semble avoir compris ce qu’on lui demande mais ne se résout pas à obéir. Le bébé quant à lui commence à pleurer, une main tendue vers son Batman.

Bébé… Jouer, bégaie le bonze.
Oui, je sais, mais on ne vous remercie pas pour votre geste, monsieur alors à quoi bon.
Pleurer bébé.
Laissez ça par terre et laissez ceux qui doivent s’en occuper s’en charger.
De quoi je me mêle, lui assène la maman sans raccrocher.
De ce qui nous regarde tous. Votre impolitesse, madame.
Qu’est-ce que vous avez dit ? Moi, je suis malpolie ? D’où j’ai manqué de respect ? À vous ? Vous êtes pas bien vous, je ne vous ai même pas parlé.
Non, pas à moi. Mais surtout à ce moine qui n’arrête pas de ramasser le jouet de votre enfant.
Mais je ne lui ai rien demandé…
– Justement, débrouillez-vous avec votre bébé alors. Depuis tout à l’heure, il ramasse son jouet pour l’empêcher de pleurer et vous ne lui dites même pas un merci.
Je ne lui ai rien demandé. Et puis qu’est-ce que ça fait s’il pleure ?
Ça fait juste qu’il est malheureux vot’ bébé.

Le pauvre moine qui n’a pas l’air de piper un traître mot de français, mais qui a compris l’embrouille se met à faire des gestes d’apaisement tout en souriant. La jeune maman raccroche son téléphone, le range dans la poche de sa veste puis se retourne pour faire face à l’empêcheuse de critiquer en rond. Là, on a tous peur pour la grand-mère. Car vu son gabarit de poids plume, l’autre va la démonter à coup sûr en moins de deux. Quand soudain, le gars qui m’a bousculé au départ se lève de son séant pour venir à son secours.

“Vous n’allez rien faire du tout jeune homme”

Qu’est ce qu’il y a ? Pourquoi tu te fais remarquer comme ça ? Jamais tu t’arrêtes sérieux 🙀 ?
Mais j’ai rien fait ! C’est elle là. Elle se mêle.
Et pourquoi tu t’occupes pas du petit.
Pourquoi tu t’en occupes pas toi aussi ? C’est ton fils aussi non ?
Toujours en train de te faire remarquer, à chercher des embrouilles. T’en n’as pas marre sérieux ? Avec une personne âgée en plus ! T’as pas honte ?
C’est pas ma faute. J’étais tranquille au téléphone avec ma copine et là, elle vient me casser les pieds. Et puis tu me connais maintenant ? Tu ne veux pas qu’on nous voit ensemble et maintenant, tu viens, tu fais le super héros.
Ferme-la ou je t’en colle une devant tout le monde.
Et lui non ! Vous n’allez rien faire du tout jeune homme”, intervient mamie, outrée par ces propos. Si vous voulez taper sur quelqu’un, ouvrez la porte et jetez-vous dehors.
Le jeune couple reste interloqué. Nous aussi. Et, nous flippons encore plus pour mamie et ses abatis.
Vous savez où je vais, là ? Je vais voir ma petite fille à l’hôpital. Elle a failli perdre son bébé parce que son mari l’a battue. Alors ne vous avisez pas de faire une telle chose. Pas devant moi en tout cas. Même pas en pensée.
Pardon madame, mais c’est elle, elle me rend fou depuis tout à l’heure. Elle m’écoute pas.
Ce n’est pas une raison pour la frapper. Descendez. Allez prendre l’air si vous voulez mais ne faites jamais une telle chose. Un malheur est si vite arrivé.

Sur ces bonnes paroles, le jeune papa tout penaud prend le jouet des mains du moine pour consoler son fils. Sa femme se penche sur ce dernier pour lui faire des risettes et des grimaces. Le moine qui n’a rien compris de la scène qu’il vient de voir rejoint quant à lui ses deux amis et ils se mettent à rire de bon cœur ❤️.

Notre bus file sur l’autoroute A7 et arrive très vite à l’hôpital Nord où Mamie, suivie du jeune couple, descend. Ils cheminent ensuite dans la même direction tout en se parlant. Ils se rendent sans doute à la maternité.

Comme quoi, il vaut mieux parfois une mamie à poigne qu’un maître Zen pour nous enseigner la sagesse.

À la prochaine pour d’autres leçons de philosophie appliquées sur nos lignes les amis.

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Commentaires

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  1. Michel Peraldi Michel Peraldi

    Bravo Soly, belle plume et surtout beau regard aiguisé qui sait prendre les évidences à contre-pied !
    Je serais ravi qu’on se reconnecter un de ces quatre, fais-moi signe ! mcperaldi@gmail.com.

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    • Soly Soly

      Merci Michel, ça fait un bail
      Je t’envoie un mail promis et on se capte pour un café après le ramadan 😉

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  2. julijo julijo

    toujours aussi réjouissant.
    de l’humanité, du bon sens, et de la tendresse.
    merci Soly !

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    • Soly Soly

      Merci 🙏

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  3. S. S.

    Merci pour cette scène de vie très bien racontée.
    Elle serait encore plus plaisante sans le sexisme ordinaire qui vous fait décrire par le menu détails l’apparence de la femme, et la sienne uniquement.

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    • Soly Soly

      Pardon, mais j’ai du raccourcir au dernier moment à cause de contraintes liées à la longueur du texte ( j’ai droit normalement à 5 000 caractères et le texte dépasse déjà de 5 000). En fait cette description par le détail trouve son sens dans le fait que c’est le jeune papa qui le soulève à un moment donné, raison pour laquelle il ne voulait pas marcher avec elle 🙏 Je vais être plus vigilant la prochaine fois. Merci beaucoup

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    • polipola polipola

      C’est dingue d’en être à un tel point qu’on ne peut même plus simplement apprécier une superbe plume !

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  4. Christine Carotenuto Christine Carotenuto

    J adore cette chronique. On est dans le bus avec vous. C est vivant vrai et sensible. Bravo pour votre regard et votre plume. Merci beaucoup ! A bientôt de vous lire.

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    • Soly Soly

      Merci beaucoup 🙏

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  5. Falabrak Falabrak

    Ces chroniques sont des pépites et mériteraient une publication en recueil.
    Pour ce qui est du sexisme présumé de l’auteur, je vous rassure, S., Mbaé Tahamida Soly n’hésite pas à décrire la tenue des garçons quand il le juge nécessaire…

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    • Soly Soly

      Merci beaucoup 🙏
      Je vais être plus vigilant la prochaine, j’étais pas mal à la bourre aussi 😕 et en résumant le texte j’ai oublié des remarques du jeune papa à ce sujet

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  6. Richard Mouren Richard Mouren

    Un grand bol d’air ! Merci.

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    • Soly Soly

      Tant mieux, Merci 🙏

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  7. recherche recherche

    Comme d’habitude, un superbe texte plein d’humour relatant une réalité pas toujours aussi drôle. Bravo !!!

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    • Soly Soly

      Merci beaucoup 🙏

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  8. Carole Filiu Carole Filiu

    Bravo et merci pour ces chroniques des transports en commun que je lis toujours avec grand plaisir !

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  9. Anita DO CAMPO Anita DO CAMPO

    Merci pour ce récit tellement… réalistement marseillais!

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    • Soly Soly

      Merci beaucoup 🙏

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