[Cuisine à croquer] Les escalopes milanaises du Père Alexis

Chronique
le 23 Déc 2022
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Pour Marsactu, Malika Moine va à la rencontre des gens dans leur cuisine et en fait des histoires de goût tout en couleurs. Cette fois-ci, elle a rendez-vous avec le père Alexis et ses pairs au presbytère de l'église Notre-Dame du Mont. Ensemble, ils cuisinent des escalopes milanaises.

Père Alexis et ses pairs cuisinent ensemble. (Illustration : Malika Moine)
Père Alexis et ses pairs cuisinent ensemble. (Illustration : Malika Moine)

Père Alexis et ses pairs cuisinent ensemble. (Illustration : Malika Moine)

Dieu sait que je ne suis pas croyante, et que je me sens même un tantinet anti-cléricale. Pourtant… de voir le nouveau curé de ma paroisse tchatcher avec les anciennes du quartier à la terrasse du bar en face de l’église Notre-Dame du Mont, m’a donné bien envie de le connaître…  Alors, je l’ai interpellé. « Monsieur le curé, heureusement que la loi interdisant les cafés à moins de cinquante mètres d’une église n’est plus en vigueur ! » Il m’a lancé : « Si elle l’était, je ne serais pas devenu curé… » Enchantée, je lui propose une chronique. Il me prévient : « Je ne sais pas cuisiner, alors, je me ferai aider par les autres Pères ».

Lorsque j’arrive ce matin-là, c’est Lambert qui m’ouvre et m’emmène dans le presbytère qui jouxte l’église. Au deuxième étage, la cuisine a une vue plongeante et presque panoramique sur la place et ses alentours. Un salon spacieux donne sur la terrasse. On attend Père Alexis parti faire les courses avec un jeune séminariste, Rémi.

« On remercie le Bon Dieu de nous avoir donné les moyens de faire les courses, parce que c’est pas donné ! » s’exclame Alexis en déballant les victuailles sur la table en formica de la cuisine. Il sort deux bouts de pain congelé, cadeau d’un fidèle, et commence à me donner quelques prémices d’éducation religieuse : « « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » a dit le Christ en donnant sa vie ». Et je sors la bouteille « La Goutte Du Seigneur » que j’ai trouvé chez un caviste voisin.

Les ingrédients pour réaliser les escalopes milanaises. (Illustration Malika Moine)

Je suis curieuse de ces itinéraires qui mènent à devenir religieux. Je questionne… Lambert est aumônier des écoles catholiques et des enfants du quartier, Alexis est curé et il prie « pour tous les enfants de Dieu -croyants ou pas. On essaie de faire un petit paradis sur terre » explique-t-il. « À 4-5 ans, j’avais déjà envie d’être prêtre, à 15 ans moins, à 17 ans, j’ai eu une expérience mystique : je suis entré dans une église, y suis resté 3h en pensant que ça avait duré un instant. J’ai commencé une formation qui a duré 8 ou 9 ans, avec ses moments de doutes -fonder une famille, devenir militaire… J’ai été en Israël, j’ai appris l’hébreu, voulu devenir juif, j’ai eu la « circoncision du cœur ». J’ai été à Rome, y suis resté 4 ans. Parce que c’est le berceau de ma formation et que j’ai grandi à Nice, j’ai souhaité faire un repas italien. Mais le cœur de cette recette, c’est l’incompétence du cuisinier ! » Et Alexis sort deux feuilles de papier sur lesquelles la cuisinière de l’archevêque de Marseille lui a griffonné les recettes.

Pour 5 personnes :

Des bruschettas :- 10 tranches de pain de campagne

– 3 belles tomates

– 2 gousses d’ail

– quelques olives noires

– du parmesan

Des escalopes milanaises :

– 5 fines escalopes de veau du boucher.

– 2 œufs

– farine

– chapelure

– sel, poivre

Des spaghettis :

– huile d’olive

– ail

– parmesan

Mais il y a controverse : Lambert propose de faire une sauce tomate. Alexis tranche : “on va faire une entorse au règlement, car on est un peu révolutionnaires…”

Du coup :

La sauce tomage

– coulis de tomate

– 1 oignon

–  sel

– herbes provençales

Et tout le monde s’y met :

Père Lambert fait revenir l’oignon émincé et verse le coulis dans la poêle avec le sel et les herbes, tandis que Père Alexis farine les escalopes, les passe dans les œufs battus avant de les “tremper abondamment dans la chapelure”. Assis à côté, Rémi coupe les tomates en tout petits bouts.

J’ai horreur de cuisiner mais là, je trouve ça super sympa, il faudrait que je fasse ça plus souvent !“. Père Lambert explique : “Ici, on cuisine à tour de rôle le samedi matin, avant de manger ensemble pour faire le point de la semaine. Les autres jours, on se débrouille chacun de notre côté.”

Alexis coupe les fruits pour la salade de fruits, ajoute une bonne rasade de rhum et un peu de sucre en poudre.

Rémi, silencieux et discret, fait griller le pain, le frotte à l’ail, le recouvre de tomate, de quelques olives et de copeaux de parmesan. Les effluves me mettent l’eau à la bouche. Je pense tout haut “la gourmandise ne fait donc pas partie des sept péchés capitaux ?” et Alexis, qui a réponse à tout, rétorque : “De toutes les saveurs, les péchés sont des excès mais il faut savoir savourer les biens de la Création…

C'est l'heure de la dégustation sur la terrasse. (Illustration : Malika Moine)

On passe à table car tout le monde a un programme cet après-midi…

Alexis dit la prière “(…) grâce à Dieu nous avons préparé tous ensemble ce repas, tout seul, je me serais perdu… Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Amen”

Thomas, le quatrième larron, arrive après la prière, mais se met à table sans s’en émouvoir. On déguste les délicieuses bruschettas avec une goutte Du Seigneur tandis qu’Alexis philosophe la religion, conscient de s’adresser à une impie. Il chante -juste-, un chant hébreux qu’il traduit “Combien il est bon et délicieux d’être assis comme des frères tous ensemble” et poursuit : “J’aime bien dire que je suis athé et agnostique car le Dieu auquel je crois n’est jamais tout à fait celui dont on parle. La racine de « Dieu » est Zeus, ça rejoint l’innommable, celui qu’on ne nomme pas. Déjà que me comprendre moi-même est compliqué alors Dieu…”

On se ressert du vin avec les escalopes milanaises agrémentées des spaghettis à la sauce rouge. Un régal mais on écoute religieusement Alexis : “Je suis prof au séminaire et mes élèves me disent « on comprend pas ce que tu racontes ! » J’adore la poésie, le mystère, je savoure l’être et l’être que je suis est lié à l’être absolu.” Il m’interroge sur ma non-croyance, d’une seule voix, mes hôtes me disent que ne pas croire est aussi une croyance.

Les voies de Dieu sont impénétrables et de mon côté, je reste perplexe devant ces jeunes gens bien sympathiques que j’imaginerai ailleurs. En attendant, Alexis commente avec humour et dérision les spécialités qui suivent le séminaire : “Le biblique, c’est le poète, sensible au langage, à l’histoire, à la nuance. La morale, c’est le grand Inquisiteur. Le dogme, c’est l’enquiquineur”. Tout le monde se marre… On ne s’ennuie pas dans la Maison de Dieu, en tout cas à celle de Notre-Dame du Mont.

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Commentaires

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  1. julijo julijo

    recette bien notée ! je pense me régaler rapidement.

    je vous lis toujours avec une grande gourmandise.
    merci.

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    • Malika Moine Malika Moine

      Merci beaucoup !
      Bon appétit

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