[26 siècles d’engatse] Le roi, sa sœur, les oranges et le rhinocéros

Chronique
le 16 Mar 2024
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Pour cette nouvelle série littéraire, Michéa Jacobi remonte jusqu'à la naissance de Marseille pour raconter l'engatse à travers les âges, des Grecs à nos jours. Cette semaine : le triomphe contrarié de François 1er.

(Illustration Michea Jacobi)
(Illustration Michea Jacobi)

(Illustration Michea Jacobi)

Les souverains et les chefs d’États français sont comme les poètes, ils ont souvent besoin d’une muse. Jeanne d’Arc, fringante pucelle hâta le couronnement de Charles VII, Henri II ne se lassa jamais de Diane de Poitiers, Louis le quatorzième eut la Montespan et la Maintenon. Félix Faure, président de la République, mourut dans les bras de sa maîtresse à l’Elysée, François Mitterrand fit entretenir la sienne au frais de l’État, Valery Giscard d’Estaing se dispersa dans différents boudoirs. Le publicitaire Séguéla présenta une certaine chanteuse à Nicolas Sarkozy qui avait besoin de redorer son blason. Emmanuel Macron a carrément épousé l’enseignante qui l’a initié au théâtre, ce si poétique exercice. Ce sont là des exemples divers, édifiants et variés. Mais la plus émouvante, la plus proche, la plus aimante de ces femmes (ces “aidantes” en quelque sorte) fut sans doute, Marguerite de Navarre, sœur de François Ier.
Parfaitement femme, cette princesse ressemblait étrangement à son frère. Le même nez long et massif, le même pli des yeux, elle était comme son tendre miroir. Elle avait été d’ailleurs éduquée pour renvoyer au petit François l’image la plus équilibrée qui soit : on lui avait appris à broder, à lire le latin et le grec, à philosopher, à nager et à monter à cheval. Pour un peu, on lui aurait aussi enseigné l’épée. Elle grandit en sagesse, en beauté et en religion. Elle ne pensait qu’à la destinée de son frangin. Les principaux prétendants au trône de France voulurent bien mourir sans laisser d’enfant mâle. Ce qu’avait toujours espéré Marguerite arriva : le premier jour de 1515, François fut proclamé roi, premier du nom. Elle devint sa protectrice dévouée, sa fan absolue.
Son attachée de presse, son impresaria.

Mercenaires suisses

Quand François Ier eut battu les mercenaires suisses qui défendaient le duché de Milan (vous savez bien : Marignan, 1515), quand il eut pris possession de cette très riche principauté et qu’il eut persuadé le peintre de sa cour (un certain Leonardo) de passer à son service, sa sœur lui indiqua qu’il serait de bon ton de venir célébrer sa victoire en Provence.
Il passa les Alpes et s’arrêta à Sisteron. Marguerite partit de l’avant, pour mettre sur pied le véritable triomphe, à Marseille.

(Illustration Michea Jacobi)


La démarche était inutile. Le roi avait dès son avènement confirmé tous les privilèges, franchises et anciennes coutumes de Marseille” et les autorités municipales, ravies de conserver leurs bénéfices, lui avait déjà préparé un accueil digne de ses concessions.

Brassées de Myrte et d’yeuse

Marguerite trouva la ville déjà toute décorée. On avait fait venir de Cassis des brassées de myrte, des branchages de pin et d’yeuse et on avait formé avec ces végétaux des arches et des arceaux tout le long du parcours que devait suivre le roi. On avait suspendu un peu partout des guirlandes de romarin. On avait confectionné de grands écussons aux armés du roi, on avait dressé çà et là des estrades où des comédiens diraient des compliments déguisés en dieux antiques : Mars, Vulcain ou Neptune. Et sur le quai du port, on avait, c’était peu croyable, déchargé une énorme quantité d’oranges. Pensez un peu : plus de dix mille fruits embé lo pécolh, avec leur pédoncule. La sœur du roi fut très impressionnée par cette accumulation. Elle était sûre à présent que la bataille pour rire à laquelle tenait surtout son fiérot de frangin serait des plus réussie.
Le 22 janvier 1516, un mardi, le cortège arriva par la route d’Aubagne. Deux mille enfants vêtus de blanc en tête, quatre mille hommes armés de piques, de hallebardes, d’arbalètes et de couleuvrines ensuite, des moines et le clergé de la ville précédant de peu la délégation royale elle-même.

François, tout droit sur son coursier grison, n’en revint pas de voir des serviteurs de Dieu s’empoigner ainsi. Et il apprit plus d’insultes et de jurons qu’il en avait entendus lors de ses récentes campagnes.

Le premier incident eut lieu aux portes de la ville. Les moines et les curés (les capellans) se prirent le bec pour une obscure question de préséance et en vinrent carrément aux mains, aux coups de poing pour être plus précis. Un abbé fut grièvement blessé et l’évêque dut intervenir lui-même pour mettre fin à la bagarre. François, tout droit sur son coursier grison, n’en revint pas de voir des serviteurs de Dieu s’empoigner ainsi. Et il apprit plus d’insultes et de jurons qu’il en avait entendus lors de ses récentes campagnes.
Le cortège repartit. Rien de notable ne survint jusqu’à ce qu’on arrive devant la première estrade. C’était celle de Mars et Vulcain. Les comédiens qui incarnaient ces dieux étaient très émus : ils oublièrent leur texte ; se perderon, comme on dit en provençal. Les injures fusèrent : elles ne s’adressaient pas toutes aux histrions, François fit semblant de ne rien entendre. La troupe repartit, Marguerite était inquiète.

Algues fraîches et pluie d’oranges

Mais tout se passa bien ensuite. Neptune coiffé d’algues fraîches interpréta parfaitement son rôle, on se dirigea vers une place pour assister aux danses. Filles et garçons se livrèrent avec enthousiasme aux oulivetto et à la chichoubacho. À la danse des sirènes, à celle des girafes, à la mauresque. Pour un peu, on aurait entendu des youyous.
Vint le moment de la bataille d’oranges.
Le roi s’équipa d’une splendide armure, factice cependant, et d’un large écu orné d’une salamandre. Les fruits commencèrent de pleuvoir. Gentiment d’abord, lancés comme pour rire, comme pour plaire au courage du souverain. Lequel renvoyait tout aussi aimablement les agrumes, comme on lance une balle à un petit garçon. Un chroniqueur écrit : “Ce prince, qui avait tant d’ardeur pour les combats véritables, voulut être encore de la partie pour celui-ci ; et, en effet, ayant pris un grand bouclier, il commença à tirer de beaux et forts coups, en ayant reçu quelques-uns sur la tête et sur le corps.” Il ne dit pas que l’ondée tourna bientôt à l’averse. L’assaut se fit plus violent et plus précis. Aux oranges se mêlèrent d’autres projectiles, des végétaux dans un état de pourrissement plus ou moins avancés, des choux essentiellement, janvier oblige.

En plein dans la trogne !

Marguerite tremblait maintenant. Pareille aux deux fils du roi Jean le Bon, elle tentait d’épargner à son cher frère l’offense d’un de ces déplorables tirs. Elle ne cessait de crier : “Fanfan, garde-toi à gauche, Fanfan, garde-toi à droite.” Mais rien n’y fit : François reçut fatalement un paquet malodorant en pleine trogne. Et ce n’était pas des légumes !
Le roi s’essuya et se tourna déconfit vers sa sœur. Elle ne lui avait jamais vu une mine pareille. Elle éclata de rire. La maréchaussée avait entre-temps mis fin à la bataille. La suite royale s’en fut rejoindre ses appartements.
Le lendemain la délégation s’embarqua pour l’île d’If. Le roi de Portugal avait eu l’idée d’offrir un rhinocéros au Saint-Père. Son vaisseau avait fait escale à Marseille, on avait mis la bête sur cette île.
Un zoologiste improvisé fit découvrir à François et sa suite cette bestia salvage, appellada Renossero. Tout le monde fut très impressionné. Seule Marguerite sourit. Elle éclata même de rire.
– Qu’y a-t-il de si drôle ?, lui demanda François.
– Il a un peu la tête que tu faisais hier, lui glissa-t-elle à l’oreille.

Michea Jacobi
Michéa Jacobi est graveur et écrivain. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages. Chroniqueur à Marseille l’Hebdo pendant plus de dix ans, il a rassemblé ses articles dans un recueil intitulé Le Piéton chronique (Éditions Parenthèses) et il a écrit pour le même éditeur une anthologie littéraire Marseille en toutes lettres.

Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Bien vu pour les brassées de myrte venues de Cassis, où il y a effectivement au moins 2 spots cachés où poussent encore des myrtes

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