“Centre social autogéré”, La Dar veut renforcer son indépendance en achetant ses murs
Repère militant du haut de la rue d'Aubagne, La Dar tente de réunir 300 000 euros via des dons pour devenir propriétaire de ses murs.
Derrière Sarah et Bastien, le conseil d'administration de La Dar prend place pour sa réunion bi-mensuelle. (Photo : E d'A)
La Dar. Sur la porte d’entrée de ce local de la rue d’Aubagne – dont le nom signifie “maison” en arabe -, une centaine d’affiches se recouvrent les unes les autres. Ça déborde jusque dans la rue, sur les murs du trottoir d’en face. On se fait, comme ça, inviter aux prochaines mobilisations, grèves, fêtes populaires, projections, rencontres… Ici, les luttes sociales ou écologiques convergent. Indépendante politiquement et financièrement, La Dar ne reçoit aucune subvention publique et se revendique “hyper libre”. En fin de bail, l’association veut désormais acheter le local qu’elle occupe pour ne plus dépendre d’un propriétaire.
Ouverte en 2013, La Dar est devenue un “centre social” de fait, où s’organisait pendant les confinements des chaînes de solidarité alimentaire. “Elle porte bien son nom, ici tout le monde est chez soi. Je peux même pas te dire combien de personnes ont les clés !”. Sarah, accoudée au comptoir, a un petit sourire mélancolique en pensant à l’avenir incertain du lieu. Autonomie et liberté : “la maison” est ouverte à tout collectif, association, personne ou groupe solidaires. On peut y entendre une discussion entre supporters ultras de foot antifascistes kurdes un soir, et assister à une soirée dédiées aux queers sourds et sourdes le lendemain.
En face, Bastien, professeur de mathématiques dans un lycée, possède lui aussi un jeu de clés. Comme Sarah, il est membre de La Dar et de son conseil d’administration depuis cinq ans. Mais lui, semble inquiet. Ils ont six mois, jusqu’à octobre 2023, pour réunir 300 000 euros et racheter ce “lieu d’épanouissement populaire”.
Bénévolat, gratuité et prix libre
En plein raccommodage d’un bleu de travail pendant un atelier couture à prix libre, Sylvain, 53 ans, résume la dynamique du lieu : “La Dar, de devant, ça fait lieu très militant, anarchiste… Et en fait, c’est méga zen. Les espaces de liberté comme ça, c’est super important. J‘ai l’impression que la création est réservée à ceux qui ont du temps et de l’argent.” Pour les usagers de La Dar, il est urgent de prendre la main. L’accès à tous et toutes, à des activités et espaces peu démocratisés, voire inexistants pour les personnes aux moyens limités, est l’objectif principal de ces ateliers réguliers. Boxe populaire, aide administrative, cantine, accueil des mineurs isolés, accueil de parents… Ces ateliers peuvent prendre différentes formes et constituent pour certains un soutien social important.
À La Dar, on pratique allègrement bénévolat, gratuité et prix libre. “Le prix libre pacifie les relations sociales. Les personnes isolées, en marge, ne sont pas méprisées à l’entrée. Elles peuvent venir profiter d’une soirée”, développe Sarah. Avec une “clientèle” souvent précaire, ici la mécanique de l’appel aux dons n’a rien d’une évidence. Mais pour conserver le lieu, le collectif aura besoin en retour de la solidarité de ses usagers. “On a besoin de pleins de petits dons” commente Bastien, qui explique que La Dar fait figure de soutien matériel, financier et psychologique pour les groupes plus ou moins militants qui passent par là.
Les membres du conseil d’administration empruntent 150 000 euros, la moitié de ce que représente le prix des murs. Pour récolter la moitié restante, ils ont donc lancé une campagne d’appel aux dons en placardant des affiches flamboyantes sur les murs du quartier. Pour le moment, 42 000 euros ont été collectés. La cagnotte se remplit aussi lors de soirées de soutien dédiées à l’achat, qui remplacent de temps en temps les habituelles soirées de soutien à d’autres associations. Mais “on ne pourra pas faire 200 000 euros de crédit. Ou alors, on devra faire moins de soirées de soutien mais on ne veut pas courir après la thune, ça va nous épuiser et c’est pas la dynamique de La Dar“, se désole Bastien. Bien en peine de faire grossir le compte des donations, le collectif appelle désormais les sympathisants qui le peuvent au micro-prêt à particulier, à taux zéro.
Une offre à 300 000 euros
L’immeuble qui abrite La Dar vient d’être acheté, il y a deux mois, par la société JGN, qui s’intéresse à d’autres bien dans le quartier de la Plaine et possède notamment un centre de formation en ligne. “Ils avaient un loyer faible, on n’allait pas faire beaucoup de marge, c’est une bonne solution pour eux de devenir propriétaires. Ce n’est pas notre politique de dégager une association”, nous confie Noah Guedj, l’acquéreur de l’immeuble, qui a donc accepté de vendre le rez-de-chaussée de 130 mètres carrés à ses occupants pour un peu plus de 300 000 euros.
À La Dar, on estime ne pas avoir eu le choix. “Vu la dynamique du quartier, notre bail qui se termine en 2024 ne sera pas renouvelé, ou avec une terrible augmentation de loyer. Ça serait la fin de La Dar”, croit savoir Bastien, qui évoque aussi des “négociations musclées”. Il raconte : “on a dû mettre un peu la pression, ils nous ont fait le coup du : « il y a d’autres acheteurs intéressés »“.
Jusque-là locataires (pour 1000 euros par mois, sans les charges), les huit membres du conseil d’administration de l’association Nébien, fondatrice et gestionnaire de La Dar, ont vu là une opportunité. Celle de garantir la survie de ce lieu populaire dans un quartier qui l’est tout autant, et de l’inscrire dans la durée. Car depuis quelques années, ses usagers disent se sentir menacés par les “politiques de rénovations urbaines” qui selon eux, modifient la ville en attirant des habitants plus fortunés. Rue d’Aubagne, de nouveaux bars et restaurants branchés, aux façades et assiettes taillées pour Instagram, contrastent avec les habitations du haut de la rue qui continuent de se délabrer.
“On se sent en danger si ce lieu disparaît”
Ainsi, Nébien met tout en œuvre pour devenir le prochain propriétaire du lieu, à 50-50 avec l’association CLIP. C’est cette structure qui avait aussi permis d’acheter Manifesten, la librairie militante de la rue Thiers. Le CLIP aide à acheter des lieux collectivement, en se positionnant comme deuxième membre de la “structure propriétaire”, et ayant un droit de veto sur la revente du local. Ainsi, même si l’équipe qui en fait usage se délite, le CLIP s’assurera de l’avenir collectif et associatif du lieu.
S’ils deviennent propriétaires, les membres de La Dar comptent rénover les locaux. “On va pouvoir en prendre soin, faire des travaux, parce qu’on sait qu’on va rester”, dit Sarah qui en rêve. “En tant que militants, on se sent en danger si ce lieu disparaît, c’est un lieu ultra safe et les gens le savent“, lancent des usagers de La Dar croisés à l’entrée. “On sait même pas qui c’est, mais tu vois, ils ont les clés et ils sont là”, chuchote Bastien après leur passage. Tous espèrent ne pas avoir à les rendre.
Commentaires
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Pour etre exact, ce n est pas un “centre social” mais bien une association dont il faudrait connaître les statuts pour determiner son objectif…
Ensuite, j espère pour eux qu ils ont dans les mains un audit de l’etat de l immeuble. Sinon ils risquent de vite dechanter…
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pour répondre au commentaire de RML, il semble inexact de concevoir un “objectif” unique à la Dar Lamifa tant les diversités de ses initiatives se démultiplient.
Outre les nombreux justes exemples produits dans cet édifiant article (d’ailleurs bravo Eva d’Annunzio), on peut en ajouter des kyrielles d’autres divers et variés parmi ce qui a été récemment organisé à la Dar :
conférences-débats-forum avec des invité(e)s comme Fatima Ouassak (féministe, cofondatrice du Front de mères), Tiphaine Lagarde (cofondatrice de mouvements de protection animale), Josef Rafanell i Orra (médecin psychiatre pronant des thérapies douces), le bal des postiers, des pièces de théatre à prix réduit, des concerts riot grrrrrls à prix réduit, des cours collectifs d’ apprentissage des chants de Carnaval, des assemblées pour le droit au logement en centre-ville et contre la gentrification sans oublier la fête de l’indépendance de l’île Maurice, sans oublier non plus les repas collectifs de solidarité pour les victimes du séisme au Kurdistan, en Syrie et en Turquie
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C’est un endroit essentiel. Etonnant qu’une ville de gauche ne se positionne pas pour les soutenir comme elle a pu le faire pour le MacDo de Ste Marthe. Sans doute qu’après avoir préempté beaucoup de commerces pour y faire des concept-stores et des food-courts branchés il ne reste plus beaucoup d’argent.
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