Sous la L2, le campement de Roms grignoté par les bulldozers

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le 22 Jan 2016
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Niché sous le chantier de la rocade L2 à Frais-Vallon depuis 2 ans, un campement rom est progressivement grignoté par les bulldozers, en l'absence de toute décision de justice.

Janvier 2016, un campement rom sous la L2. Image : Julia Rostagni.
Janvier 2016, un campement rom sous la L2. Image : Julia Rostagni.

Janvier 2016, un campement rom sous la L2. Image : Julia Rostagni.

Ce n’est plus un campement, c’est un îlot. Une dizaine de maisonnettes de fortune encerclées de terres remuées. Mercredi après-midi, les bulldozers se sont éloignés, mais on devine encore les traces des chenilles. La bandelette laissée intacte doit fait une dizaine de mètres de large, trente mètres en longueur tout au plus. Côté nord, un fossé commence à moins d’un mètre des parois des habitations, prémice d’un futur bassin de rétention. Côté sud, une barrière posée par les ouvriers au ras des cabanes, matérialise les nouveaux contours. Côté ouest, une rivière de détritus. Le tout, à l’ombre de la L2, future rocade dont les travaux avancent à grand pas.

“Je suis parti une semaine en Roumanie, quand je suis revenu, il n’y avait plus ma maison”, s’indigne un des habitants, un homme d’une quarantaine d’années qui nous accueille. Une dizaine de cabanes aurait en effet disparu au cours des dernières semaines. “Il n’y a pas de papier qui dit qu’on doit partir, on ne sait pas si on a le droit de pousser les barrières, mais il faut de la place pour mettre nos maisons, il n’y a plus assez de place !”, s’indigne un autre.

Sur un terrain rétréci, la vie suit son cours et une nouvelle cabane est en construction (vidéo : Julia Rostagni)

Depuis plus de deux ans, des familles roms – une quinzaine actuellement – se sont installées dans le secteur, tout près du métro Frais-Vallon (13e arrondissement), au cœur du dédale de voies rapides. Un emplacement plutôt discret qui n’avait jusqu’ici déclenché que quelques protestations de la part des riverains, sans suite de la part des autorités. Mais à l’heure où la date de livraison du chantier de la L2 se rapproche, les Roms de Frais-Vallon deviennent vraiment gênants. Les bulldozers se sont donc rapprochés très, très près du campement, jusqu’à en réduire la surface. En regardant la photo qui illustre un article de la Provence publié en novembre dernier, on peut voir les arbres et la rangée de maisonnettes qui ont disparu depuis, laissant place à un espace vide rendu inaccessible par la balustrade.

Pas de décision de justice définitive

“C’est surréaliste, complètement surréaliste, s’indigne Caroline Godard de l’association Rencontres Tsiganes, tant qu’il n’y a pas de décision de justice, on ne peut pas procéder comme ça !”. Par déjà deux fois, la justice s’est en effet déclarée incompétente pour décider d’expulser ou non les habitants de cette zone relevant du domaine public. Saisi en référé par l’État qui demandait de pouvoir procéder à une expulsion, le tribunal de grande instance de Marseille a estimé en septembre ne pas disposer d’assez d’éléments pour statuer. Une audience en appel devrait avoir lieu, mais la date n’en est pas encore fixée.

Perdant patience, la SRL2, société mandatée pour la réalisation de la rocade, a ensuite saisi le tribunal administratif au mois de décembre. Celle-ci estimait que le campement rendait impossible la livraison du chantier à l’État dans les délais. En effet, la filiale de Bouygues est liée par un contrat de Partenariat public privé (PPP) dont le cahier des charges prévoit une livraison de la partie Est de la rocade à l’été 2016. Or, la L2 Est débouche à Frais-Vallon.

Là encore, le tribunal s’est déclaré incompétent pour juger un litige entre deux personnes privées – la SRL2 et les squatteurs. La société déclare préparer une deuxième action en justice peut-être conjointement devant le tribunal de grande instance et le conseil d’Etat. “Les travaux doivent se poursuivre sur le bassin de rétention, explique-t-on du côté de la SRL2. Aujourd’hui, en l’absence de décision de justice, rien ne nous impose  d’arrêter les travaux si ce n’est le bon sens et la sécurité des personnes qui habitent là.” Au vu du passage des engins au cours des derniers jours, il semble pourtant que le travail a bien repris autour du campement.

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Les bulldozers font leur travail !”, tranche Patrick Rizzitelli, président de la fédération des CIQ du 13e. Pour lui, l’État devrait prendre ses responsabilités : “Ce n’est pas normal qu’ils soient encore là. Si on veut accueillir ces pauvres gens, il faut les accueillir dans la dignité”. Le représentant des riverains ne le cache pas, certains de ses concitoyens ont des opinions moins nuancées, allant jusqu’à couper les fils fournissant le campement en électricité.

Patrick Rizzitelli s’est tout de même fait le porte-voix du voisinage devant le tribunal en septembre dernier. Son mail a reçu un accueil lapidaire de la part de la juge du tribunal de grande instance. Cette dernière a qualifié la missive de “merveille d’hypocrisie”. “Le courrier du 2 mai 2015 rend (les Roms) responsables de la dégradation de la santé mentale et physique des riverains qui divorcent, perdent leur emploi, mettent en péril leur entreprise et ne peuvent vendre pour partir…”, écrit la magistrate dans son jugement, avant de conclure : “il n’appartient pas à un juge des référés de trancher ce magnifique débat politico-social”.

Extrait de la décision rendue par le tribunal de grande instance le 18 septembre 2015.

Extrait de la décision rendue par le tribunal de grande instance le 18 septembre 2015.

“Si on nous propose une solution, on veut bien partir, mais on n’a pas d’autre endroit !”, explique un habitant. “Lorsqu’il y aura une décision de justice, nous procéderons comme le veut la circulaire de 2012 à un diagnostic social en vue de proposer des solutions adaptées si une expulsion est décidée” promet le préfet pour l’égalité des chances Yves Rousset. “Nous nous en tenons au droit”, poursuit le représentant de l’État qui reconnaît le caractère “extrêmement sensible” de l’affaire.

Tant qu’un juge n’aura pas tranché, les riverains vont donc continuer de pester, les Roms tenteront de reconstruire leurs cabanes sur les quelques mètres carrés qu’ils leur restent, et le chantier avancera, cahin-caha.

 

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Commentaires

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  1. Trésorier Trésorier

    Je ne partage pas l’avis de Lisa Castelly. Si juridiquement elle a raison, on crève dans ce pays d’une judiciarisation excessive, absurde, qui gêne, retarde et empêche tout. Je le vis tous les jours dans mon secteur d’activité.

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    • Lisa Castelly Lisa Castelly

      Bonjour,
      j’espère que l’article relate plus des faits que de mon propre avis. Toutefois, si on peut légitimement s’interroger sur la judiciarisation excessive, dans le monde du travail par exemple, il est normal que la justice encadre les procédures qui visent à expulser des familles de leurs lieux de vie quand aucune possibilité de relogement n’est évoquée. Mais ce n’est peut-être qu’un avis, j’en conviens 🙂

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  2. Trésorier Trésorier

    Mme Castelly, la judiciarisation excessive touche les décisions des élus, les permis de construire, les relations de voisinage, le paiement des impôts, les relations de travail,…..

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    • Lisa Castelly Lisa Castelly

      Je n’ai jamais dit le contraire !

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  3. Treblig Treblig

    Ce qui est regrettable, dans toutes ces histoires de ROMS, c’est le peu d’intérêt
    que nos responsables politiques et autres , portent au voisinage de ces camps !
    Je confirme les dépressions et les déboires engendrés par toutes les nuisances .
    Situation honteuse pour eux et les voisins !!!

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