[Camargue en péril] Sécheresse, l’addition salée
Le delta de Camargue est en première ligne face au changement climatique. Durant l'été, Marsactu part à la rencontre des manadiers, pêcheurs, élus, scientifiques... et des solutions qu'ils tentent de mettre en œuvre. Au menu de ce deuxième épisode, la raréfaction de l'eau douce qui permet au sel de remonter dans le Rhône et les terres.
Un bois de chêne du domaine de la Cure en Camargue en train de mourir par manque d'eau et à cause du sel dans le sol. (Photo : PID)
Au sommet de grands arbres dégarnis, des cigognes ont élu domicile en érigeant de grands nids. “On a une vingtaine de couples”, indique Roland Astruc. Il s’occupe de l’entretien du domaine du Mas de la Cure, une propriété du Conservatoire du littoral confiée en gestion à l’association de la maison du cheval Camargue. Le domaine s’étend sur 287 hectares, entre la route des Saintes-Maries-de-la-mer et les étangs du système lagunaire du Vaccarès, à une dizaine de kilomètres de la mer.
Le Rhône c’est la douche qui dessale la Camargue.
Guillaume Linsolas, manadier
Ce qui semble être un paradis pour les cigognes résonne comme une “désolation” pour le quinquagénaire. Ce 21 juillet, il répète souvent ce mot tandis qu’il nous emmène à l’intérieur des bois. Chênes centenaires, frênes, “piboules” (peupliers), les arbres se meurent sous l’action liée de la sécheresse et des remontées de sel marin dans le sol. Sur les plus grands, les cimes sont pleines de bois mort. Sur les plus petits et même les naissants, les dégâts sont aussi perceptibles. “Regardez les feuilles, elles sont marron comme si c’était déjà l’automne, montre le gestionnaire du domaine. Même les ronces et les joncs sont en train de sécher”, déplore-t-il.
À mesure que les sols s’assèchent, les prés de fauches et les pâturages du domaine se salinisent. Roland Astruc désigne des “lunes de sel” qui émergent en tache de joncs marron au milieu des champs. “Ces terres deviennent pauvres. Il y pousse toujours de l’herbe mais elle n’est pas de bonne qualité, les bêtes ne la mangent pas”, expose-t-il. Plus loin, derrière quelques tamaris, le terrain a été colonisé par les soudes communes pour former une sansouïre, ce milieu typique de la Camargue littorale constitué de végétaux adaptés à une forte salinité.
Des précipitations déficitaires de 75%
En Camargue, quand l’eau douce ne vient pas du ciel, elle circule par le bon vouloir des humains. Depuis qu’il a été complétement embastillé par des digues en 1869 le Rhône n’apporte plus naturellement ses eaux. Un maillage de canaux et de roubines (petits canaux) a été bâti pour permettre l’agriculture et le maintien de marais de chasse. L’eau qui les alimente est pompée dans le Rhône ou circule plus rarement par gravité grâce à des prises d’eau réalisées sur le fleuve. Ce réseau complexe aboutit aux étangs et permet de lessiver les terres sur lesquelles des remontées naturelles de sel se produisent. “Quand vous vous êtes baigné dans la mer, vous prenez une douche pour vous dessaler. Le Rhône c’est la douche qui dessale la Camargue”, image le manadier Guillaume Linsolas, rencontré à sa manade des Baumelles, sur la rive gauche du Petit Rhône à 9 kilomètres de la mer.
Les pluies se font de plus en plus rares. “On a chez nous une station Météo France. Elle a mesuré des baisses de précipitation de 25 à 50 % depuis 2016 par rapport à la moyenne annuelle depuis 1944. Seule l’année 2018 a été excédentaire”, observe Jean Jalbert, le directeur de la Tour du Valat, proche du village du Sambuc. Géré par une fondation privée, son organisme est à la fois un domaine dédié à la conservation et un institut de recherche sur les zones humides. Depuis le début de l’année 2022, le déficit pluviométrique est catastrophique, moins 75% par rapport à la normale.
Remontées de sel
La sécheresse, aussi présente dans les Alpes, affecte également les débits du Rhône. Tous les acteurs rencontrés dans le cadre de cette série en témoignent : ils ne l’ont jamais observé aussi bas aussi tôt dans l’année. “Au mois d’avril, le Petit Rhône avait un niveau de fin juillet”, affirme Guillaume Linsolas. Le teint buriné par le soleil, chemise colorée caractéristique des gardians, le manadier nous emmène voir la roubine dans laquelle il pompe l’eau pour ses taureaux et chevaux. “L’eau est stagnante, elle devrait courir. Je n’ai pas mon pèse-sel mais avec cette couleur on devrait être au moins à 3 grammes de sel par litre. Si vous irriguez avec une eau à 7 grammes, c’est comme si vous envoyiez du désherbant”, détaille-t-il.
Dégonflé par le manque de précipitations, le Rhône est en train de perdre son bras de fer millénaire contre la Méditerranée pour repousser le sel. Le phénomène rend les terres incultes. Selon son manadier, les Baumelles ont perdu 4 hectares de pâturages en 30 ans, “bouffés par le sel”, sur un total de 45. La Tour du Valat, qui fait aussi de la viticulture, a perdu 2 hectares sur 14 de vignes situées à côté d’Aigues-Mortes (Gard). Cité par Franceinfo, le syndicat de défense et de promotion des vins de sable estime que 600 hectares de vignobles sont touchés. Et la riziculture pourrait aussi en pâtir. Bertrand Mazel, le président du syndicat des riziculteurs recommande, via La Provence, de ne plus pomper dans le Rhône pour irriguer “à partir de 2 grammes par litre”. En novembre 2017, l’eau du réseau d’eau potable des Saintes-Maries a été salée pendant plusieurs jours à cause d’une remontée d’eau de mer dans le Petit Rhône jusqu’au lieu de pompage.
Pour Guillaume Linsolas, la première cause du stress hydrique et de la salinisation en Camargue provient de choix de gestion humaine de l’eau. Le changement climatique ne faisant qu’aggraver une situation déjà existante. “On est complétement en bas du robinet, après beaucoup de retenues sur le Rhône. Et sur le Petit Rhône ils prennent de l’eau pour l’amener à Montpellier”, pointe le manadier. Il fait là référence à Aqua Domitia, un réseau hydraulique à l’initiative des collectivités de la région Occitanie qui se déploie sur le littoral languedocien pour sécuriser les usagers de l’eau. 100 000 hectares agricoles, jusqu’au vignoble de l’Aude, sont déjà connectés. Ironie du sort, via ce nouvel apport, une expérimentation est en cours pour désaliniser les vignes en Camargue gardoise.
Réseau hydrique à l’abandon
Au Mas de la Cure, les membres de l’association gestionnaire s’agacent aussi de l’abandon des roubines. Elles sont remplies de végétaux vivaces ou de bois morts. Parfois, ce sont des arbres qui ont poussé au milieu. Elles manquent d’entretien suite au déclin agricole du domaine, qui fût un des hauts lieux de la viticulture camarguaise entre la fin du 19ᵉ Siècle et les années 1950. Le département a la responsabilité de la roubine de la Ballarine sur laquelle se greffe le réseau interne au domaine, qui est lui, géré par le propriétaire, le Conservatoire du littoral.
“Il y a beaucoup trop d’intervenants”, souffle Georges Vlassis, le directeur de l’association. “Et pas un qui gère comme il faut”, complète Roland Astruc. Selon les deux hommes, les services du département sont venus en septembre 2021 constater et promettre des travaux de curage et de restauration de la roubine. Contacté, le département n’a pas répondu à nos demandes de précisions.
“Deux millions d’euros seront investis sur trois ans sur nos propriétés en Camargue dont le Mas de la Cure”, assure François Fouchier, le délégué PACA du Conservatoire du littoral. Si ce réseau de roubines reprend du service, il permettra aussi d’alimenter les étangs dont les écosystèmes soufrent également du trop-plein de sel. Remettre de l’eau douce en Camargue, une action incontournable pour l’avenir.
Commentaires
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“Le Rhône c’est la douche qui dessale la Camargue”
Justement, parlons douche et dessalage : à quel moment la ville Marseille va comprendre qu’avec sécheresse et canicule les douches sur les plages sont une hérésie complète ?
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Sans compter que l’eau d’une douche, ‘désinfectée’ au chlore, dévitalise les cheveux et irrite les muqueuses et le système respiratoire (que l’eau de mer a plutôt tendance, au contraire, à stimuler et à protéger, y compris contre les rhumes, rhinites, sinusites) …
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Une série très intéressante. Merci pour vos articles qui nous ouvrent des horizons différents en nous éloignent un peu de Marseille.
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