[Camargue en péril] Les Saintes-Maries contre la mer

Série
le 27 Juil 2022
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Le delta de Camargue est en première ligne face au changement climatique. Durant l'été, Marsactu part à la découverte des manadiers, pêcheurs, élus, scientifiques... et des solutions qu'ils tentent de mettre en œuvre. Premier épisode de notre série aux Saintes-Maries-de-la-Mer, cernées par l'érosion marine.

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Le village des Saintes-Maries-de-la-mer protégé de l'érosion par des digues et des épis. (Photo : PID)

Le village des Saintes-Maries-de-la-mer protégé de l'érosion par des digues et des épis. (Photo : PID)

“On aura des bateaux. Les Saintes deviendront peut-être insulaires”. Face à la possibilité de voir un jour le village négué par la mer, à l’accueil du tout nouveau musée d’archéologie maritime, on ne manifeste pas d’inquiétude. Au cœur de ce mois de juillet, les estivants se détendent en toute insouciance. Leurs clameurs résonnent en allemand, italien, espagnol, anglais et français. Voir la terre grignotée par la mer ne figure pas au rang des préoccupations.

Sur le quai de son port Gardian, le musée ouvert le 12 juillet 2022 trône comme un symbole de l’obstination de la commune à poursuivre l’enracinement humain sur une terre souvent hostile. Le bâtiment qui comprend aussi la médiathèque et la collection du musée de Folco de Barroncelli – ce manadier et poète félibre dont l’œuvre a contribué au rayonnement international de la Camargue – a coûté plus de 4 millions d’euros. Un bel investissement pour cette commune de 2100 habitants à l’année.

“On a gagné des plages”

Estivants sur les plages des Saintes-Maries-de-la-Mer le 24 juillet 2022. (Photo : PID)

La mer en front, les étangs tout autour. L’eau cerne le village. Et la Méditerranée monte. De 3 à 4 millimètres par an. Les projections des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) envisagent que son niveau pourrait être un mètre plus haut qu’aujourd’hui d’ici à la fin du siècle. Un mètre, c’est en deçà de cette altitude que se situe 70% des 150 000 hectares du delta du Rhône. Et puis, du haut de ses 6000 ans, celui-ci se tasse lentement. Il perd en moyenne un millimètre d’altitude chaque année. Sur le papier, tout semble réuni pour que la majeure partie des étangs et des terres situées entre les deux bras du fleuve disparaissent dans les décennies à venir. Bourg des Saintes compris. Mais les nuances sont nombreuses entre la projection macroscopique et les évolutions locales.

Pour la commune littorale, le combat contre la mer est séculaire. “Elle est montée de 7 centimètres en 1000 ans, alors j’ai peur”, ironise la maire LR Christelle Aillet en nous recevant dans son bureau le 27 juin. L’élue fait confiance aux ouvrages qui fortifient son village. Des digues le long du trait de côte et des épis formés de gros blocs rocheux qui s’avancent dans l’étendue salée. Les plus gros coups de mer parviennent tout de même à sauter par-dessus les digues. Et les épis permettent de retenir les sédiments en barrant la route au courant qui les trimballe le long du rivage. “Là où il y a des épis, les plages s’engraissent. On a gagné des plages”, poursuit la maire, photos anciennes et plus récentes à l’appui.

La plus forte érosion de Camargue

Sauf que la Méditerranée sape les défenses du littoral. Son battement quotidien retire peu à peu le sable sur lequel reposent épis et digues. Les rocs qui les composent finissent par s’éparpiller. “Ici on avait un camping à caravanes, 15 ans en arrière”, montre Isabelle Hénault en pointant ce qui est devenu une maigre plage à l’extrémité est du village. Avec ses 30 ans de Camargue au compteur dont une bonne partie comme pêcheuse professionnelle sur l’étang du Vaccarès, elle est devenue personne qualifiée auprès de la mairie des Saintes sur les questions d’eau. “Faire des épis ne fait que déplacer le problème. L’érosion se reporte ailleurs”, dit-elle, consciente que l’élévation du niveau marin amplifie le phénomène.

Projection du littoral camarguais au XXIIe siècle, exposée au musée archéologique de Camargue. En noir, le trait de côte actuel. En pointillés, les anciens bras du Rhône durant les siècles passés. Les pointes de l’Espiguette et de Beauduc gagnent sur la mer. (Photo : PID)

La côte des Saintes est celle où l’érosion côtière est la plus forte en Camargue. Par endroit jusqu’à plus de 10 mètres par an, selon les études du Centre de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (Cerege) basé à Aix-en-Provence. Les courants achèvent le transport des sédiments vers des dépôts marins ou côtiers. Ainsi dans d’autres secteurs la terre gagne sur la mer, comme à la pointe de Beauduc et à l’Espiguette de l’autre côté du petit Rhône sur la commune du Grau-du-Roi (Gard).

“À un moment donné faut prendre des décisions”

Dans ce contexte, entretenir, reconstruire, former de nouveaux ouvrages coûte cher. La dernière campagne d’aménagement concernant les Saintes s’est achevée en 2012. Le Syndicat mixte interrégional d’aménagement des digues du delta du Rhône et de la mer (Symadrem) prévoit un montant minimal de travaux de 25,3 millions d’euros pour les 50 prochaines années. L’État ne souhaite plus assurer une protection frontale sur l’ensemble du littoral camarguais, avec comme doctrine de défendre là où il y a des intérêts humains forts, économiques ou sociaux. Tels que le village des Saintes. La stratégie pour l’avenir du Symadrem est en cours d’élaboration, en fonction du budget que lui alloueront État et collectivités en particulier concernant la digue à la mer. Réalisée comme un rempart entre les étangs et la mer sur près de 40 kilomètres entre les Saintes et Salin-de-Giraud sous le second empire, elle souffre de points de fragilité.

Je ne peux pas être aussi pessimiste que certains écologistes intégristes, relayés par une presse à sensation qui évoquent la disparition de la Camargue.

Roland Chassain, ex-maire des Saintes, en 2010

À l’ouest de la commune des Saintes, en rive droite du Petit Rhône, les ouvrages ne sont plus entretenus. La manade du coin est à la recherche de nouveaux pâturages plus loin dans les terres. Concernant le village, il n’est, pour l’heure, pas question d’un repli.

Nos interlocutrices saintoises attendent des actions de l’État. Isabelle Hénault souhaiterait la réalisation d’un épi à l’endroit de l’ancienne plage à caravane pour barrer la route aux assauts de la mer sur les étangs qui bordent le village. “Soit on dit aux habitants préparez-vous à déménager soit on protège. À un moment donné, il faut prendre des décisions”, s’agace-t-elle.

À son bureau, sous le portrait de Roland Chassain, son prédécesseur décédé en février 2021, Christelle Aillet reprend le flambeau de “[s]on maire”. Sa bible sur le sujet du trait de côte est un rapport “pour un plan de gestion du littoral camarguais” que Roland Chassain a rendu en 2010, missionné par Chantal Jouanno alors secrétaire d’État chargée de l’écologie sous Sarkozy. “Je ne peux pas être aussi pessimiste que certains écologistes intégristes, relayés par une presse à sensation qui évoquent la disparition de la Camargue dans les années à venir, se basant sur des études multiples et sans cohérence qui remplissent des placards”, a laissé le maire tutélaire comme message dans l’introduction dudit rapport.

Solutions naturelles

Christelle Aillet maire LR des Saintes au balcon de son bureau le 27 juin 2022. (Photo : PID)

Ni Chassain en son temps, ni Aillet aujourd’hui ne remettent en cause l’existence du réchauffement climatique. Mais la maire s’interroge sur le caractère prophétique de la parole scientifique. “L’érosion posera peut-être problème dans 100 ans. Mon problème actuel c’est la sécheresse. On a besoin d’eau douce contre le sel qui remonte et j’espère avoir de l’eau potable à l’avenir pour ma commune. On est au bout du robinet après que tout le monde se soit servi”, pose Christelle Aillet.

Pour la maire, l’évolution du climat ne peut pas être tenue responsable de tous les maux. L’aménagement du delta a aussi sa part de responsabilité. Parallèlement à l’érection de la digue à la mer, les deux bras du Rhône ont été endigués pour se prémunir des crues. Puis, en amont, des barrages ont été construits sur son cours et sur ses affluents. Résultat : “les apports en sable du fleuve représentent entre 100 000 et 400 000 mètres cubes par an. Il y a 150 ans, ça pouvait être entre 1 et 5 millions de mètres cubes”, précise le géographe du littoral du Cerege, François Sabatier. “Corseté”, le fleuve ne remplit plus son rôle de bâtisseur.

“Décorseter” en partie le Rhône fait partie des solutions évoquées par Christelle Aillet pour faire regagner un peu d’altitude à la Camargue. Le Symadrem et François Sabatier partagent ce point de vue. Pour le scientifique, laisser la mer entrer lors des tempêtes pourrait aussi consolider le delta en apportant du sable jusque-là stocké en mer. “Quand les sédiments se déposent, vous augmentez l’altitude des lagunes. Avec cette solution, vous acceptez un recul, mais vous élevez le delta. Il faudrait arriver à l’accepter et à le gérer”, plaide-t-il.

La mairie des Saintes essaye elle aussi de capter les éléments naturels comme alliés. Par la mise en place de ganivelles, ces clôtures de bois qui barrent les dunes, et l’implantation de végétaux, elle espère retenir le sable poussé par le vent et ainsi former une barrière naturelle. Face à la mer, les dunes peuvent grandir.

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Commentaires

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  1. Froggy Froggy

    Ce problème d’érosion de la Camargue n’est pas nouveau et a surtout comme source l’endiguement du Rhône et ses barrages qui limitent l’apport de sédiments.
    Le phénomène s’observe depuis la fin du XIXème siècle et est assez bien décrit dans cet article de 1937 : https://www.persee.fr/doc/geoca_1164-6268_1937_num_13_2_6509
    Sans nier l’effet de l’augmentation du niveau de la mer, il existe encore des zones d’ensablement en Camargue (Pointe de Beauduc et Pointe de l’Espiguette). Il est probable que si les bras du Rhône était libérés et les barrages adaptés pour mieux laisser passer les sédiments, l’érosion serait largement compensée par l’apport de sédiments. C’est cependant l’endiguement qui a permis de rendre cultivable et habitable une bonne partie de la Camargue. Rétablir l’état naturel nécessiterait donc que l’Homme renonce à occuper et exploiter ces terres…

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    • BRASILIA8 BRASILIA8

      L’aménagement du Rhône était destiné à éviter les crues tout le long du cour du fleuve, il a permis la navigation des péniches de grand gabarit, autant de poids lourds en moins , et la production d’électricité que l’on qualifie maintenant de verte .
      Alors remettre en cause ces aménagements va sans doute poser d’autres problèmes .

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  2. Oreo Oreo

    Le déni, encore le déni, toujours le deni… et l’état doit payer des fortunes pour des ouvrages qui sont engloutis année après année, puis devra dédommager les actuels pourfendeurs d’ecologistes qui diront ” je savais pas, on m’avait pas dit “.

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  3. Patafanari Patafanari

    Désormais les annonces proposant la vente ou la location de « résidences les pieds dans l’eau » ne seront plus assimilées à de la publicité mensongère.

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  4. Christian Christian

    Il restera probablement possible de sauver les Saintes par l’entretien coûteux d’enrochements et des dragages.
    Le reste du delta a peu d’avenir, car même l’affaiblissement (illégitime !) des retenues sur le Rhône ne compensera pas la montée du niveau marin, dont Madame la maire minimise à tort l’importance.

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  5. AlabArque AlabArque

    BRAVO pour ce papier, comme d’hab de bonne tenue.
    (Juste 2 détails ‘FORMELS’ : * l’édile Christelle Aillet dans le texte (passim) est subitement appelée Christelle AilleR en légende de la photo dans son bureau … et ** en bas du 2è § avant fin de l’article, je préférerais …’le fleuve ne rempliT plus son rôle’ … à la graphie … ‘ne rempli plus’ …)
    Désolée de cet accès de cuistrerie, c’est dans ma nature et c’est en toute bienveillance ! Je ne me reconnais par ailleurs aucune compétence pour commentaire ‘de fond’.

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