Bras de fer en bord de Rhône pour les salariés de l’usine papetière Fibre Excellence
L'usine de pâte à papier Fibre Excellence à Tarascon fait habituellement parler d'elle pour ses pollutions dans l'air et dans le Rhône. Depuis ce lundi, les salariés ont débuté une grève dure contre le projet de réduction d'un quart de la masse salariale voulue par la direction. Celle-ci menace de se déclarer en cessation de paiement devant le tribunal de commerce.
Les salariés grévistes à l'entrée de l'usine fibre excellence le mardi 22 septembre 2020. Photo : PID.
Un mélange d’amertume et de dignité. Depuis ce lundi 5 heures du matin, les grévistes de papèterie Fibre Excellence ont arrêté la production. Depuis ils tiennent leur piquet de grève, déterminés à ce qu’aucune matière première ne puisse entrer et aucun camion de pâte à papier ne puisse sortir de cette usine située en bord de Rhône au sud de Tarascon. Et tant pis si un cadre essaie de discuter avec eux pour qu’un camion immatriculé en Lettonie puisse passer la barrière. Ce mardi, le piquet ne laisse rien passer.
70% des 270 salariés sont engagés dans la mobilisation selon les représentants syndicaux. Ils refusent la signature de quatre accords présentés par la direction comme un “plan de survie”. Il vise à réduire la masse salariale de deux millions d’euros – soit 25% ont chiffré les syndicat – et réduire leur pouvoir d’achat. “Ils touchent à nos 40 ans d’acquis”, s’insurge Gaël Assante, élu FO, avant de détailler certaines des mesures : “gel des salaires pendant cinq ans, baisse des différentes primes, retrait des majorations de salaires pour les jours fériés, augmentation de la part salariale pour la mutuelle, division par trois du budget du comité d’entreprise pour n’être qu’au minimum légal…”
Le procès pour pollution renvoyéDepuis quelques années, l’usine de Tarascon fait plutôt les titres concernant ses pollutions de l’air et de l’eau du Rhône. Ce mardi, une audience en correctionnelle était d’ailleurs au programme du tribunal, situé à une poignée de kilomètres. Un procès attendu par près de 150 parties civiles, associations environnementales et riverains. Interpelée par Émilie Troncin, l’avocate de l’Association de défense de l’environnement rural (Ader) à propos du manque de pièces versées au dossier – en particulier les mesures de polluants réalisées, la présidente du tribunal a décidé de renvoyé l’audience au 6 janvier 2021. Un complément d’information est donc ouvert, laissant la possibilité de verser de nouvelles pièces.
Durcissement du conflit social
La direction veut que l’on accepte de signer les accords sinon elle fera une déclaration de cessation de paiement ce vendredi.
Yannick Farré, délégué FO.
L’économie espérée par Fibre Excellence, en déficit chaque année de quelques millions d’euros, serait de cinq millions par an dont trois en réduisant le recours à la sous-traitance. L’entrepreneur canadien présente ce plan comme celui de la dernière chance et promet une fermeture à brève échéance en cas de non signature.
“Ils nous ont convoqué lundi à 18h, ça a duré cinq minutes. Ils ont dit « on n’est pas là pour négocier quoi que ce soit », raconte le syndicaliste. “Ils nous ont dit : « vous reprenez la production ce mardi à 18h et vous acceptez de signer les accords », sinon ils feront une déclaration de cessation de paiement au tribunal de commerce ce vendredi 25 septembre.”
Le président de Fibre Excellence, Jean-François Guillot – avec qui Marsactu s’était entretenu en février – confirme l’ultimatum. “Il n’y a rien de nouveau. Nous sommes dans la négociation depuis huit mois. Donc est-ce que les gens signent ou ne signent pas ? Les syndicats connaissent la situation financière. J’ai toujours été très direct depuis le début. Je n’ai pas le choix”, affirme-t-il par téléphone.
Une situation que dénoncent les grévistes comme une mise en faillite volontaire de leur usine pour presser les salariés et faire appel à des demandes d’aides publiques. “L’actionnaire est un riche milliardaire et il dit qu’il n’a pas les moyens d’investir ici ?”, interroge Hervé Galibert élu en Comité social et économique pour FO. Fibre Excellence est une filiale de l’entreprise canadienne Paper Excellence, elle-même propriété du géant indonésien Asia Pulp and Paper (APP) de Jackson Widjaja. Selon FO et la CGT, la majeure partie de la pâte à papier produite à Tarascon est exporté en Asie comme matière première notamment à destination d’entreprises du conglomérat Sinar Mas détenue par la famille Widjaja.
“On est soumis à un chantage depuis le début de l’année, considère le délégué syndical FO Yannick Farré, également déçu que les promesses de la nouvelle direction, arrivée en janvier 2019, n’aient pas été tenues : “Ils nous on dit d’abord, on va financer, on va faire de la diversification de la production. Et depuis janvier 2020, ils nous disent que l’actionnaire ne va pas mettre d’argent. On a fait une première grève à ce moment-là, suite à l’annonce du plan.” Les principales revendications mises en avant par le syndicaliste sont l’abandon du plan et les embauches nécessaires au bon fonctionnement de l’usine, qu’il estime à une quinzaine.
Les syndicats connaissent la situation financière. Je n’ai pas le choix.
Jean-François Guillot
“Ils disent qu’il n’y a pas d’argent, mais il y des projets”, rétorque Yannick Farré. Une turbine de 25 MW fonctionnant à la biomasse issue des résidus de production, est prévue d’être installée d’ici mars 2021. Bénéficiant de la part de l’État du tarif préférentiel de rachat de l’électricité d’origine renouvelable, celle-ci pourrait être “amortissable en moins de cinq ans”, estime Laurent Wallee de la CGT. Pour rendre ce projet viable, l’industriel serait en attente de la concrétisation de l’engagement financier de la Caisse des dépôts et consignations.
Des question sur la sécurité de l’usine
Mais beaucoup de difficultés restent à régler sur ce site de production que les associations et riverains estiment obsolète et mal entretenu. Le délégué de FO reconnait que les rejets au Rhône sont importants pour ce site considéré par l’agence de l’eau comme le principal pollueur du bassin. “Beaucoup a été investi pour régler le problème des rejets atmosphériques”, dit-il, citant l’installation d’électrofiltres réalisée en 2019. Pour le syndicaliste, il faut aussi améliorer les conditions de travail. “On est au dessus de la moyenne nationale de la branche papetière pour les accidents du travail”, alerte-t-il, tout en affirmant que la réglementation n’est pas toujours respectée.
Les grévistes pensent avoir déjà suffisamment consentis à des efforts, faisant avec un site qui a connu de graves défaillances. “Il y a eu le feu dans le silo en béton en 2016. On s’est débrouillé on a produit avec seulement le silo en métal”, raconte par exemple Hervé Galibert. Son ras-le-bol se déverse presque naturellement : “Je n’ai aucune envie de perdre 8% de mon salaire et partir avec une retraite de merde après 33 ans de boîte.”
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