“Balance ton bar” Aix et Marseille : la vague de témoignages qui bouscule les gérants

Enquête
le 21 Jan 2022
12

Depuis bientôt deux ans, ces comptes Instagram  recueillent et publient anonymement les témoignages de victimes droguées à leur insu. Des messages qui obligent les établissements à réagir.

Vue de terrasses aixoises un soir de janvier. Photo d
Vue de terrasses aixoises un soir de janvier. Photo d'illustration ABF.

Vue de terrasses aixoises un soir de janvier. Photo d'illustration ABF.

“Il y a de ça un mois, je me suis fait droguer au Mistral. […] Je m’amusais très bien et tout d’un coup, trou noir, je me retrouve dehors avec mes amis, en train de vomir. […] Je vomissais de la mousse, mon corps tombait tout seul. J’entendais mes amis, mais je ne pouvais quasiment pas marcher”, peut-on lire sur la page Instagram “Balance ton bar Aix”, le 11 décembre dernier. Quelques semaines plus tôt, un témoignage similaire a été publié, ciblant un autre établissement : “Nous commandons à boire au [Wohoo] […] Je garde un œil sur nos verres en préparation, quand je vois qu’un jeune homme […] passe sa main au-dessus de nos verres, en y laissant tomber une poudre blanche. […] Mon amie se saisit du verre. Prise de panique, je balance son verre et le mien. […] je tremble encore aujourd’hui en imaginant quelle aurait été la fin de cette histoire si je ne l’avais pas vu faire.”

Les témoignages de ces victimes droguées à leur insu se multiplient. On en compte environ 70 en cumulant les deux comptes. Une visibilité nouvelle qui bouscule le monde de la nuit. Leurs révélations ne sont pas sans conséquence pour les gérants de bars, qui ont “les yeux rivés sur ces deux comptes, de peur qu’une ou plusieurs publications citant leurs établissements apparaissent” confie le propriétaire d’un bar, dans le quartier du Vieux-Port à Marseille  “Avec le Covid ça a été compliqué pour nous de travailler ces deux dernières années. Alors si en plus des féministes se mettent à raconter des horreurs sur nos établissements…” s’énerve Philippe, l’un des deux gérants de l’Exit café à Marseille.

Emma* est l’administratrice de ces deux comptes (voir encadré). Quand elle publie les témoignages de victimes sur ces comptes, elle fait face, certaines fois, à des retours virulents de la part des chefs d’établissements visés, qui crient à la diffamation et exigent le retrait immédiat du témoignage. Les réactions l’Exit café – établissement qui comptabilise à lui seul près de 11 % des publications du compte marseillais, l’ont particulièrement marquée. Fin novembre 2020,  “Balance ton bar Marseille” publie le témoignage suivant : “Une amie à moi s’est fait droguer à l’Exit café […] Elle s’est mise à baver et à tomber par terre, à se frapper la tête contre les murs. On a appelé les pompiers.” Philippe s’indigne d’un tel récit : “ce compte nous porte accusation. Et en plus il colporte de faux témoignages.”

Une jeune étudiante derrière les comptes aixois et marseillais
Si ces deux témoignages sont rendus public, c’est grâce à l’engagement d’Emma*, étudiante féministe de 23 ans. Créés il y a deux ans par les activistes parisiennes à l’initiative du mouvement féministe “Balance ton bar”, les comptes aixois et marseillais sont maintenant gérés par Emma, arrivée à Aix il y a deux ans. “Je publie tous les témoignages même si les faits ne sont pas récents, explique la jeune femme. Je sais que les témoignages publiés font prendre conscience à certaines victimes qu’elles ont été elles aussi droguées.” Supportée par une partie de ses proches, la jeune femme, recueille et publie (de manière anonyme) la parole des victimes de soumissions chimiques dans les bars et les établissements de nuit. Elle milite également pour que les protections existantes telles que les “capotes de verre” ou les “chouchous anti drogue” soient distribués dans ces établissements.

Certains bars prennent le problème à bras le corps

Si une bonne partie des établissements cités par les deux comptes “ne se donnent même pas la peine de réagir aux publications” déplore Emma, certains prennent le problème à bras le corps et agissent pour limiter les risques de soumissions chimiques. Le syndicat des établissements festifs et de nuit a même convié Emma à une de ses réunions. Malgré son énervement initial, l’Exit café tient à trouver des solutions. Comme le souligne le patron, le bar met en place tous les week-end une séparation hommes/femmes dans les toilettes de l’établissement : les WC du haut sont réservés aux femmes, tandis que ceux du bas sont pour les hommes. De plus, le gérant indique avoir commandé plus d’un millier de “capotes de verre”, qu’il mettra en libre accès dès qu’il les recevra. Le serveur, présent à ses côtés, ajoute que les clientes pourront bientôt commander “cocktail Mademoiselle”, un nom de code en réalité : “il permettra aux clientes se sentant en danger de le signaler discrètement aux barmen pour qu’on puisse les aider”, décrit le jeune homme.

Le Baou est souvent cité en “bon élève” par la jeune activiste. Le 15 décembre 2021, cet établissement de nuit du 16e arrondissement est nommé dans une publication de “Balance ton bar” Marseille. Les faits remontent au 25 juillet 2020, lors d’un concert. Le club en plein air, très concerné par ces problématiques, a immédiatement organisé une réunion avec la direction afin d’accélérer la mise en place de processus de sécurité, auquel l’équipe réfléchissait depuis longtemps. Actuellement fermé à cause des restrictions sanitaires, l’objectif pour l’établissement “n’est pas de limiter les agressions, mais de faire en sorte que ça n’arrive plus du tout”, confie Swira, la chargée de communication. “Nous travaillons ardemment pour renforcer les mesures que nous avions mises en place dès cet été. La priorité pour notre réouverture, c’est la sécurité de nos clients”, insiste la jeune femme.

Pour l’établissement proche du Vieux-port évoqué plus tôt, la sécurité de ses clients est aussi une priorité. Le jeune gérant a massivement investi dans plus d’une vingtaine de caméras à l’intérieur de son bar et de pas moins de huit vigiles. “Il y a quelques mois, une habituée a été droguée par un légionnaire dans mon établissement, raconte-t-il sans détour. Ce sont mes vigiles qui m’ont alerté, vu l’état second de la cliente.” Cette dernière est allée, sur les conseils de l’établissement, faire une prise de sang. Les résultats y ont révélé la présence de GHB. Le bar a immédiatement porté plainte, au côté de la victime, et a dénoncé le légionnaire aux autorités. Grâce aux caméras, le militaire a pu être incriminé. “Je n’ai aucun intérêt à ne pas donner ces vidéos, souligne le patron. Je veux le détruire ce mec, je ne veux pas que ça se reproduise. J’ai des enfants, je ne voudrais pas que ça leur arrive.”

On se sent un peu impuissant. On essaye de faire de notre mieux.”

La présence de caméras ne résout pas le problème selon Jean-Simon Faby, directeur du Mistral, boîte de nuit du centre-ville aixois : “elles ne permettent pas de voir si une personne mal intentionnée dépose de la drogue dans un verre.” Avec 9 témoignages sur 22, le Mistral tente de contre-attaquer. Il explique avoir pris les devants dès l’apparition des premiers cas de soumissions au GHB dans le nord de la France. “On fait de la prévention, on donne des capuchons à ceux qui le souhaitent… mais on se sent un peu impuissant. On essaye de faire de notre mieux”, raconte le directeur de la boîte de nuit.
Ce sentiment d’impuissance se retrouve également dans le discours de la gérante d’un des bars de la Place des Cardeurs à Aix. Son établissement a fait partie des premiers bars cités par le compte féministe aixois : “au début, j’ai cru que c’était un concurrent qui nous avait balancé. Vous savez dans ce milieu-là, tout le monde balance tout le monde”, explique-t-elle, à la terrasse de son bar. Concernée par ces agissements, elle regrette que la victime ne soit pas venue lui parler dans les semaines qui ont suivi : “J’ai des caméras à l’intérieur, je suis prête à montrer les images aux victimes, même sans commission rogatoire. Je serais bien contente de me débarrasser d’un barman qui agit mal…”

Pour elle, il n’est pas possible d’investir dans des “capotes de verres”, qui, souligne la jeune femme de 35 ans, “coûtent une fortune”, environ un euro par verre. Le département des Bouches-du-Rhône avait prévu, pour “les fêtes de fin d’année une opération de distribution de couvercles de verre en silicone, adaptables à tous les formats dans les établissements des Bouches-du-Rhône.” La distribution a été annulée puisque des établissements ont dû fermer sur décision du gouvernement. “Dès que les restrictions seront levées, les établissements recevront les protections de verre”, promet la collectivité.

De son côté, Emma continue d’alimenter ses comptes militants. Quand un bar comme la Danceteria (1er arrondissement), la contacte, elle conseille de mettre l’accent sur la responsabilité de l’agresseur (en pointant par exemple les risques encourus) plutôt que de rendre responsables les victimes. De l’avis général, ces soumissions chimiques existent depuis bien longtemps dans les milieux festifs, “et ça a toujours été rendu banal” ne décolère pas la jeune étudiante. Elle insiste sur sa démarche : “mon rôle n’est pas de juger les bars. Je veux juste dénoncer ces agissements afin qu’ils cessent.”

La soumission chimique qu’est ce que c’est ?
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) définit la soumission chimique comme l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives à l’insu de la victime ou sous la menace. La substance la plus répandue est le GHB, communément appelé “la drogue du violeur” est inodore et incolore. Elle provoque chez les victimes des effets sédatifs et amnésiant. La dernière enquête de l’ANSM fait état en 2019, à l’échelle nationale, de 574 cas de soumissions chimiques.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Happy Happy

    Quelle horreur ! Comment des hommes peuvent-ils agir ainsi : préméditation, dissimulation, agression…probablement sans reconnaître l’extrême gravité de leurs actes ? Comment est-ce possible si ce n’est par la permanence, même résiduelle, d’une culture du viol dans notre société ? C’est-à-dire que nous- les hommes-avons grandi avec des représentations où l’imposition d’un acte sexuel à une femme est culturellement acceptable, parfois même valorisé, même s’il est par ailleurs condamné. Nous n’avons pas fini de nous civiliser, comme société et comme individus, merci et bravo aux militantes féministes de nous y pousser !

    Signaler
  2. Bibliothécaire Bibliothécaire

    ” “coûtent une fortune”, environ un euro par verre. ” Pauvres exploitants de débit de boissons, ils gagnent vraiment peu d’argent…Ils rendent service en fait…

    Signaler
  3. Calamity J Calamity J

    “Je serais bien contente de me débarrasser d’un barman qui agit mal…”
    bonjour la mentalité!
    et d’ailleurs, y a vraiment des cas où ce sont les barmans qui mettent du ghb dans les verres? Ils ont pas autre chose à faire? c’est pas une question rhétorique, hein: je n’ai aucune idée de qui sont ces potentiels prédateurs.

    Signaler
  4. Vand Vand

    ” “Avec le Covid ça a été compliqué pour nous de travailler ces deux dernières années. Alors si en plus des féministes se mettent à raconter des horreurs sur nos établissements…” s’énerve Philippe, l’un des deux gérants de l’Exit café à Marseille.”

    Donc là au moins c’est clair, le patron de l’Exit est bien moins en colère contre les violeurs que contre les meufs qui s’entraident et se protègent. Vraiment quel bar de merde…

    Signaler
    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Moi aussi, j’ai été choqué par cette phrase complètement stupide. Il ne s’agit pas de féministes (ce qui, en soi, n’est d’ailleurs pas une tare !) mais d’abord de victimes d’agressions, il ne s’agit pas de “raconter des horreurs” mais de dénoncer ces agressions. C’est si facile de refuser d’écouter les victimes, voire de les rendre responsables d

      Signaler
    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      … de leur sort, c’est si facile de refuser de prendre ses responsabilités ! Le covid n’est certainement pas une excuse pour ne rien faire, pas plus que le prix de la protection des femmes qui fréquentent ces bars.

      Signaler
    • vékiya vékiya

      Bar de merde peut être mais gérant très con, surement, après l’un va avec l’autre aussi. Boycott

      Signaler
    • RML RML

      Et plus loin , ” je veux le détruire, ce lec” c’est tout un vocabulaire hallucinant !
      Ca révèle quand même dans les mots la psyché de ces personnes…on a du mal acroire à son innocence

      Signaler
    • LN LN

      Et sa terrasse a tellement envahi le trottoir, que le piéton a du mal à passer quand il ne se fait pas engueuler par un serveur trop pressé de gicler le non consommateur empiétant sur l’ espace public qu’il a privatisé :-\

      Signaler
  5. vékiya vékiya

    Alors si en plus des féministes se mettent à raconter des horreurs sur nos établissements…

    Je vais bien garder en tête le nom de ce bar, pour ne pas y mettre les pieds. Si ne pas vouloir se faire violer ou agresser c’est être féministe, alors banco, je le suis. Sinon sortir un truc aussi stupide c’est quoi ? être con ? abruti ? antiféministe ?
    C’est l’air de Marseille qui rend “zguégue” où sont ils tous attirés par la région ?

    Signaler
  6. Alceste. Alceste.

    Le patron de bar marseillais dans toute sa splendeur.
    Pour répondre à votre question, nous avons ici une espèce endémique à la région ,le gros con.Chaine en or autour du cou, main sur le volant avec la moquette ,tu es fada je crains dégun, je vous prends tous ici, un par un !
    N’est pas César qui veut !

    Signaler
  7. Piou Piou

    Déjà il y a 10 ans, le Mistral était tristement célèbre pour ses histoires d’étudiantes droguées au GHB…

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire