Balade dans les rues sans nom de Frais-Vallon

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le 21 Fév 2013
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Balade dans les rues sans nom de Frais-Vallon
Balade dans les rues sans nom de Frais-Vallon

Balade dans les rues sans nom de Frais-Vallon

Bienvenue à Frais-Vallon. Dit le vallon frais, car refroidi par le mistral. Ou l'histoire des Demoiselles Valon, qui auraient vécu à l'emplacement exact de ce quartier du 13e arrondissement de Marseille, planté dans le canton Marseille – La Rose. Les légendes urbaines irriguent les conversations des habitants, emplissant leurs mémoires d'origines improbables et colorées de la cité. Lorsque l'on vit en un lieu où les rues sont dénuées de nom, mis à part le chemin de traverse Les jonquilles et l'avenue Frais-Vallon, artère principale de la cité, là où les barres d'immeubles sont identifiées par des lettres de l'alphabet de A jusqu'à O, les contes se transforment en souvenirs. Les souvenirs, en histoire officielle.

Bihairi M'Roimana, alias Omar, un jeune du quartier, improvise une petite visite du secteur. Enfant, il se rappelle des chevaux à l'état sauvage qui se promenaient, le crin hirsute, l'oeil un peu fou sur les collines surplombant les immeubles. Ces mêmes collines qui font désormais office de planque pour les drogués, après avoir servi de lieux de promenades familiales ou encore de coin à cabanes. C'était aussi le lieu où rôdait le soir "l'horrible X", légendaire sadique du quartier. Au centre aéré, certains gamins se souviennent de la menace dissuasive des animateurs : "si tu n'es pas sage, si tu pars seul la nuit, Fafur va t'attraper"*… Désertée, la colline semble ce jour abandonnée aux folles herbes grignotant lentement les chemins tracés. Fafur n'y promène guère plus sa carcasse.

"C'est mon cheval"

L'histoire du cheval du Gitan a façonné l'imagination des anciens. "C'était en 1964", raconte un habitant dans un livre de souvenirs* recueillis par le centre social de Frais-Vallon. "Un des logements du bâtiment G avait été attribué à des Gitans. Et à partir de là, chaque soir et durant toute la nuit, les locataires d'en dessous entendaient des bruits sourds et réguliers, comme des coups de marteau.[…] Ils sont allés attraper le locataire du dessus et ils ont dit : 'mais qu'est-ce que vous faites ? Dans la journée on entend rien et toute la nuit, vous faites du bruit !' 'Ce n'est pas moi, c'est mon cheval.' […] Il a fallu déplacer la police et la gendarmerie de Plan-de-Cuques pour lui faire admettre, à ce Monsieur, que vraiment il ne pouvait pas garder un cheval à la maison. Alors, ce Monsieur a dit : 'S'il n'y a pas de place pour mon cheval, alors il n'y a pas de place pour moi !' C'est ainsi qu'il a attrapé son cheval et qu'il est parti."

Lieu de mythe aujourd'hui rasé, l'ancienne Bastide, convertie un temps en maison de retraite, devenue ensuite la ruine hantée de la sorcière, où les gamins téméraires se lançaient des défis. "Nous risquions sans doute de nous ramasser des pierres sur la tête," se souvient Omar. Et si, parfois, des rivalités opposaient les locataires d'un bâtiment à l'autre, comme cela est raconté dans le livre – "Nous, au D, on aimait pas le G. On se faisait la guerre" – des réseaux sous-terrains improvisés dans les caves des bâtiments tissaient des liens invisibles sous la cité. "Aujourd'hui, certains sont condamnés", souligne le jeune "guide".

Crédit : E.C

"Piqués par la curiosité"

Les réseaux de drogue sont bien visibles, notamment un "situé entre l'ancien poste de police et l'actuel centre social", précise Bihairi M'Roimana, relevant l'ironie de la chose. Mais à côté de ces points noirs, Frais-Vallon recèle d'histoires, témoignages de solidarité. "Lorsque le bâtiment D [emplacement de l'actuel centre commercial- ndlr] a été démoli, tous les habitants de la cité se sont rendus sur la colline, pour observer la destruction. Peut-être certains sont-ils venus, piqués par la curiosité", admet le jeune homme. Un locataire a couché sur papier la chute violente de ce lieu de vie. "On se serait cru après la guerre. Les gens pleuraient, c'était une partie de leur vie qui s'en allait".  Pour quelqu'un d'étranger à la cité, la démolition est perçue comme la saine destruction d'une verrue de béton, un innommable tas de gravats. De l'intérieur, elle est vécue comme une gifle, un revers humiliant pour les habitants, soudés par le tragique de la scène.

S'il existe ainsi un réel sentiment d'appartenance, une identité propre au lieu, pour la directrice du centre social Andrée Antolini, il ne faut pas verser dans l'angélisme. "C'est violent de vivre ici car c'est un environnement dense et complètement bétonné. On ne choisit pas vraiment d'y vivre. La cité a été construite dans les années 60, il fallait loger rapidement les habitants des logements précaires du centre ou encore de nouveaux arrivants à Marseille, des pieds-noirs notamment. Mais maintenant les matériaux sont détériorés, il y a de gros problèmes de canalisations, des dégâts des eaux, des soucis de promiscuité, comme ces 90 locataires répartis dans un immeuble de trois étages. Il n'y a aucune logique dans cette cité habitée par plus de 5000 personnes. Certains bâtiments ne disposent que d'une seule entrée."

Anonymat

Quant à l'absence de noms de rues, autre absurdité, cela s'explique par le fait que la cité appartienne à un seul logeur, Habitat Marseille-Provence. "Du coup, poursuit la directrice, cela induit une forme d'anonymat. C'est un véritable mépris pour les gens qui habitent ici. Imaginez comme c'est compliqué pour un facteur s'il ne connaît pas le site, ou pour un pompier ! Cela témoigne d'une véritable volonté politique de ghettoïser la cité. Il n'y a aucune mixité sociale ici même si toutes les communautés se retrouvent." Omar acquiesce : "on a tout ici, un centre commercial à proximité. On peut se faire piéger et être tenté de ne jamais sortir de la cité." Un balayeur de rue intervient sur l'unique artère, l'avenue Frais-Vallon, propriété de la Communauté urbaine. Jamais celui-ci ne pénètre plus avant dans le quartier, qui n'est plus du ressort de la collectivité.

Seule véritable ouverture sur l'extérieur, la station de métro, construite dans les années 70. Les habitants la doivent à Lucien Weygand, adjoint aux affaires sociales de Gaston Deferre. "Sa mère tenait un magasin de bonbons dans le quartier", rappelle Andrée Antolini, songeuse. Certes, cette année, des aménagements sont prévus, comme des aires de jeux, quelques bancs ou encore la restauration du petit stade de foot. Des efforts louables, mais bien superficiels au vu des besoins réels. Les Demoiselles de Valon profitent encore d'un sursis avant de voir leur nom, la cité et ses légendes dispersés au-delà des murailles invisibles de Frais-Vallon.

*On était sur le mur, par Suzanne Hetzel, Chantal Deckmyn, Andrée Antolini et Pierre Prouvèze

Une chanson sur Frais-Vallon, connue des habitants :

 

 

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Commentaires

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  1. ALAIN PERSIA ALAIN PERSIA

    Très beau reportage qui recèle beaucoup de sincérité.

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  2. jeanvaljean jeanvaljean

    Je ne comprends pas les personnes qui se disent journaliste et qui ne se renseignent pas avant d’écrire un article.

    Si vous le permettez :
    A Marseille il y a 111 Quartiers Administratif décret du 19 Octobre 1946

    le 13e Arrondissement comprend 11 Quartiers Administratif, et la Rose est le 3e Quartier.

    Frais vallon, est une cité HLM construite dans les Années 1960 le logeur étant HMP.
    L’entretien a toujours laissé à désirer y compris les plantations d’espaces verts intérieurs (de l’aubépine).

    Il est vrai que les architectes ne pensent jamais aux personnes qui entretiennent.

    Je vous rappelle que les plans de la L2 devaient couper la cité en deux, en sachant tous les problèmes que cela aurait pu engendrés.

    Plutôt que de s’interroger sur l’absence de nom des rues, la question est, quelles sont les dispositions qui vont être prisent pour les habitants de la tour H ?

    1. Double vitrage, allongement des balcons coté passerelle ?
    2. Vont-ils condamner l’ensemble des fenêtres de la tour H ?
    3. Voire, simplement le coté de la voie rapide ?
    4. Vont-ils placer des climatisations à l’intérieur des appartements ?
    5. Si la réponse est positive, qui va régler le surplus de la facture EDF ?

    Ces questions me semblent plus importantes dans un premier temps.

    Frais-Vallon : quelles sont les voies qui ont été rétrocédées à la ville, l’éclairage, les dépendances de la chaussée, l’assainissement.

    Voilà les questions qu’il va falloir se poser.

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  3. Prometheus Prometheus

    C’est vrai c’est un beau reportage. Dommage que les habitants de Frais Vallon continuent toujours à voter en masse pour des politiciens de gauche qui se désintéressent de leur sort. Le procès d’Andrieux député PS de juin dernier aura lieu dans mois de trois semaines. Inculpé pour le subventionnement d’associations fantômes. Que sont devenus ces 800 00 euros destinés justement aux enfants de Frais Vallon ou de Font Vert ??? On verra si le procès en correctionnel sera à la hauteur de l’affront fait aux cités du 13/14.

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  4. Anonyme Anonyme

    Très beau reportage il est vrai mais triste car depuis toute petite j’apprends l’abandon de ces quartiers et rien n’a changé depuis .. incroyable !!!
    J’ai bien aimé et j’espère que cela fera bouger les choses , y a des élections bientôt .. au lieu de pérorer qu’ils se bougent le cul .. tous ces futurs candidats !
    MERCI jimforest1987 pour la jolie chansonnette et à l’auteur du post Elodie Crézé .. merci même si elle n’est pas historienne et alors ! elle a parlé avec son coeur et ses yeux enfin je pense !
    et puis basta .. Vite au boulot les élus

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  5. batiment H batiment H

    J’ai vécu de 1967 à 1984 dans cette cité, mon père y habite encore. pendant ces 17 ans c’était que du bonheur, que de bons souvenirs d’enfants, avec une réelle solidarité entre habitants. C’est la colline qui nous a élevé autant que nos parents, cette colline était magique et terrifiante car histoires et légendes circulaient

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