Pour assurer son avenir, le plus gros pollueur du Rhône négocie sur tous les tableaux

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le 1 Avr 2021
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Fibre excellence, usine de pâte à papier de Tarascon, a été relaxée pour ses pollutions et condamnée à une simple amende. Dans le même temps, actuellement en redressement judiciaire, l'entreprise pourrait obtenir de l'État plusieurs coups de pouce non négligeables.

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L'usine Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

L'usine Fibre Excellence Tarascon. Photo : Pierre Isnard-Dupuy

Relaxe sur les pollutions de la papeterie Fibre Excellence. C’est ce qu’a jugé le tribunal de Tarascon ce mercredi 31 mars suite à la comparution en correctionnelle de l’industriel. Rendu célèbre par ses pollutions atmosphériques et sur les eaux du Rhône, l’industriel était jugé pour différentes infractions au code de l’environnement après le dépôt d’une plainte en 2017 par des associations.

Concernant les émissions de substances polluantes, le tribunal a estimé que l’entreprise avait respecté l’arrêté préfectoral cité dans la procédure. En revanche, il a condamné l’entreprise à 10 000 euros d’amende pour “exploitation d’un équipement sous pression malgré un contrôle ayant conclu à leur non-conformité”. Lors de l’audience, le procureur avait réclamé un total de 50 000 euros d’amende.

L’État a fait son boulot, celui de la protection de l’industriel pollueur.

Philippe Chansigaud

L’entreprise prend acte de la décision tout en assurant qu’elle s’engage sur la voie d’une réduction des pollutions. “Nous croyons que la décision du tribunal a reconnu ces efforts en acquittant Fibre Excellence Tarascon”, considère-t-elle dans un communiqué. Les associations de riverains et environnementales ne peuvent pas faire appel, car la procédure oppose État et industriel. Mais pour elles, cette décision porte le sceau du scandale. “Après la lecture du jugement en audience, nous avons crié que c’était une honte, que l’État français et que la justice étaient pourris”, s’indigne Michel Dufy de l’association des Flamants roses du Trébon.

“C’est bien la résultante d’un mauvais travail des services du préfet et du procureur. L’État a fait son boulot, celui de la protection de l’industriel pollueur”, cingle Philippe Chansigaud de l’association de défense de l’environnement rural (ADER). Effectivement, depuis plusieurs mois, l’État est à la manœuvre pour sauver cette entreprise.

Avenir incertain à la barre du tribunal de commerce

C’est loin du Rhône que l’avenir de l’usine se joue désormais, à la barre d’une autre juridiction. Il s’agit de celle du tribunal de commerce de Toulouse, puisque la société Fibre Excellence est enregistrée en Haute-Garonne. Après déclaration de sa cessation de paiement, l’entreprise a été placée en redressement judiciaire depuis le 8 octobre 2020. Comme l’a détaillé Midi Libre et selon plusieurs sources contactées par Marsactu, la période d’observation initialement ouverte jusqu’au 8 avril prochain devrait être repoussée au moins jusqu’au 20 avril, à l’occasion d’une nouvelle audience qui doit avoir lieu ce jeudi 1er avril.

En l’absence de candidat, l’usine de pâte à papier pourrait bien être reprise par… son propre actionnaire, Hervey Investments. Cette culbute est facilitée par une disposition spécifique prévue par une ordonnance gouvernementale du 20 mai 2020. Celle-ci offre des aménagements pour accompagner les entreprises en difficulté dans le cadre de la crise sanitaire. Mais encore faut-il que le tribunal de commerce de Toulouse la valide.

Le maintien de l’activité est un enjeu important pour les bassins d’emploi du pays d’Arles et pour les milliers de travailleurs de la filière bois.

La préfecture

Sur toute l’année 2020 déjà, comme à l’occasion d’un entretien accordé à Marsactu, la direction de l’entreprise n’a cessé de clamer l’absence de rentabilité du site qui entrainerait la réticence de l’actionnaire à investir. Désormais, Hervey Investments serait prêt à mettre 20 millions d’euros dans l’outil de production, mais sous réserve de conditions particulières consenties par l’État, les salariés et les fournisseurs de bois. Un contrat d’approvisionnement de cinq ans avec la filière forestière est en cours de négociation.

Très mobilisé sur ce dossier, le ministère de l’Économie a déjà accordé 8,6 millions d’euros de prêt pour assurer le fonctionnement de l’usine durant la période d’observation. “Le maintien de l’activité de Fibre Excellence constitue un enjeu important pour les bassins d’emploi du pays d’Arles, justifie la préfecture des Bouches-du-Rhône. Plus de 280 salariés sont présents sur le site, auxquels s’ajoutent plusieurs milliers de travailleurs de la filière bois dont l’activité dépend de l’usine de Tarascon.”

Négociation sur tous les fronts

Fibre Excellence veut aller encore plus loin dans le recours au soutien public. Elle négocie actuellement avec la caisse des dépôts et consignation pour l’obtention d’un prêt de 20 millions d’euros. Le projet financé serait une turbine à biomasse pour la production d’électricité, nommé Biowatt. Équipement qui aurait dû être installé déjà depuis trois ans. Il dispose par ailleurs de la promesse de rachat d’électricité à tarif préférentiel prévue pour le développement des énergies renouvelables.

En parallèle, la direction du site industriel veut obtenir des pouvoirs publics un délai de deux ans durant lequel les obligations de mise aux normes environnementales seraient gelées. Argument avancé par la direction : “pouvoir réaliser certains investissements liés à de nouvelles ou futures réglementations”.

Elle négocie aussi à la baisse la redevance qu’elle doit verser à l’agence de l’eau au titre des compensations de ses rejets dans le Rhône, pomme de discorde depuis des années. Considérant l’usine comme “le principal pollueur du Rhône” sur la période 2013-2017, l’agence de l’eau a réclamé 18 millions d’euros de redevance. Fibre Excellence avait considéré le calcul comme injuste et obtenu que la note soit baissée de moitié. Puis, sur la période 2018-2022 elle bénéficie d’un forfait d’un million d’euros par an.

Âpres négociations sur les conditions salariales

On ne peut pas revenir sur 70 ans d’accords en un claquement de doigts. Les salariés sont prêts à faire un petit effort mais trop c’est trop

Laurent Quinto élu CGT au CSE

Sur le volet des emplois, Fibre Excellence veut une réduction de la masse salariale de l’ordre de 5 millions d’euros par an. Pour ce faire, la direction a engagé d’interminables négociations avec les représentants du personnel, espérant revenir sur un certain nombre d’accords d’entreprise. La volonté de l’employeur avait déjà provoqué une grève à l’automne 2020. En sus de la perte de 10% des postes et de nombreux avantages, la direction envisageait initialement une réduction moyenne des salaires de l’ordre de 10%.

Pour l’heure, les discussions sont encore loin d’aboutir. “C’est un massacre social, donc ce n’est pas possible pour nous. On ne peut pas revenir sur soixante-dix ans d’accords en un claquement de doigts. Les salariés sont prêts à faire un petit effort, mais trop c’est trop”, estime Laurent Quinto élu CGT au comité social et économique (CSE) de l’entreprise. “Les échanges sont constructifs, mais on n’a pas encore atterri pour un accord. De toute façon, il ne saurait être validé sans la participation entière des salariés”, juge pour sa part Armand Martin, le porte-parole de l’intersyndicale CFDT-CGT. La direction promet de son côté de maintenir 256 emplois en CDI sur les 273 actuels et d’imposer une baisse moyenne des rémunérations de 5%.

Les promesses de Fibre Excellence seront-elles suffisantes autant pour satisfaire les salariés que pour tourner la page des atteintes à l’environnement illustrées par dix années d’empilement d’arrêtés de mise en demeure ? Relaxé par le tribunal de Tarascon, l’industriel obtient en tout cas un premier argument en sa faveur.

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Commentaires

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  1. TINO TINO

    merci pour cet article instructif sur l’état de notre monde guidé par le libéralisme sauvage.

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