Avec les habitants de La Gardanne, dans l’angoisse des inondations
Lundi, face au risque d'inondation, la cité-jardin de la Gardanne, en bordure de l'Huveaune, a été vidée de ses habitants. À cet endroit, en 1978, la rivière était sortie de son lit. Depuis, les habitants vivent avec cette conscience du risque.
Une patrouille de police municipale à l''entrée de La Gardanne. Photo : B.G.
Les rues sont barrées des rubalises bleues et blanches de la police municipale. Des agents en faction veillent. Depuis le début de l’après-midi de ce lundi et pour la nuit encore, les quelque 250 habitants de La Gardanne (10e), une petite cité-jardin propriété d’Habitat Marseille Provence, ont été évacués. Le lieu étant identifié comme particulièrement vulnérable par le plan de prévention des risques d’inondation, une partie d’entre eux vont passer la nuit dans un gymnase armé par la Ville, à Pont-de-Vivaux. “Nous sommes une trentaine ou une quarantaine, explique une habitante, réfugiée dans le gymnase. Mais il y a des gens qui arrivent encore. Tout est tranquille. Nous avons du café, du chocolat, ce n’est pas le palace, mais pas le bagne non plus. C’est juste emmerdant d’attendre sans savoir quand nous pourrons rentrer, surtout qu’il ne pleut plus. Il y a des personnes très âgées, ici.”
D’autres ont pu trouver des alternatives au gymnase. “Il y avait un public que l’on peut dire actif, plus jeune, qui a pris les devant pour aller chez de la famille, explique Lionel Royer-Perreaut, le maire de secteur LR. Et un public plus âgé, plus isolé qui a été pris en charge par les marins-pompiers et le CIQ pour les référencer.” La Gardanne est un lieu particulier où les petites maisons se transmettent de père en fils ou de mère en fille, sans passer par les commissions d’attribution classiques. Ici, le voisin est souvent en lien de parenté, beaucoup travaillent à la Ville, avec l’Italie ou l’Espagne pour origine. La première génération est donc très âgée et forcée, pour certains, de passer la nuit dehors ce lundi soir.
Un jour et une nuit de vigilance
Si le gros du grain n’a finalement pas frappé Marseille, la vigilance est toujours de mise. Surtout que dans cette cité faite de petites maisons, bâties entre l’Huveaune et l’autoroute, ce sont les précipitations du bassin versant qui part jusqu’à Saint-Zacharie, dans le Var, qui peuvent finir par envahir les allées. Pour l’heure, elles sont désertes, comme un village fantôme, dans l’attente d’une tempête qui ne vient pas.
J’ai 50 ans de vie là-dedans. Je ne veux pas tout perdre si l’eau monte d’un coup ou si des voleurs passent !
Au bout d’une allée, des éclats de voix troublent l’étrange quiétude. Un propriétaire inquiet veut absolument jeter un œil à sa maison. “Mais vous comprenez pas, s’emporte-t-il à l’intention d’un agent au volant de sa voiture de patrouille. J’ai 50 ans de vie là-dedans. Je ne veux pas tout perdre si l’eau monte d’un coup ou si des voleurs passent“. Plus que l’eau, c’est le fantasme d’éventuels “pillards” qui entretient l’angoisse. Le fonctionnaire ne perd pas son calme face au ton qui monte et glisse : “Vous savez, je suis là à surveiller la maison des autres, mais la mienne était sous un mètre vingt d’eau ce matin. Dans l’histoire, c’est moi qui ai tout perdu et pourtant je suis au boulot.”
“C’est pour vider la cité”
Parmi les habitants qui tournent autour de la cité-jardin, beaucoup voient d’un œil sceptique les mesures de prévention des inondations. “Tout ça, c’est pour vider la cité et faire de la spéculation immobilière. Vous n’avez qu’à voir le nombre de maisons vides”, grimace un habitant bien mis qui patiente à l’entrée de la cité. Lui est chauffeur d’élus comme un autre de ses voisins. Effectivement, dans les allées vides, nombre de maisonnettes ont les fenêtres et les portes couleur parpaings.
Au fond d’une allée, contre le mur de l’autoroute A50, un homme patiente à sa fenêtre. Sa femme est partie, mais lui compte bien passer la nuit ici. “Vous rigolez ou quoi, sourit Raoul Gilbert, artisan peintre à la retraite. Moi, de l’eau j’en ai vu, et jamais elle ne monte jusqu’ici. Voyez la maison au portail noir. C’est celle de ma belle-sœur. En 1978, il y avait 1,20 mètre d’eau et chez moi comme chez parents, pas une goutte”. Si l’eau monte durant la nuit -mais il n’y croit pas – il partira. “Vous savez, je suis maçon, j’ai des échelles. Au pire, je grimpe sur le mur“.
Pour retrouver l’Huveaune et un niveau plus élevé d’inquiétude, il faut descendre son allée vers les berges, bordées de hautes futaies. Sur le terrain de boules qui borde le fleuve côtier, un arbre a les racines qui plongent dans l’eau marron. Il menace de partir avec le muret sur lequel il s’appuie.
Le traumatisme de janvier 1978
Plus haut, après le petit pont qui relie la cité du Vieux-Moulin à l’autre berge, un arbre vénérable barre l’Huveaune. Il est tombé le lundi matin alors que la pluie tombait en rideau continu. Il a emporté le mur d’enceinte et des pans de terre. De nombreux badauds viennent en voisins inquiets.
Parmi eux, Robert est là avec sa compagne. Ses parents, 92 et 86 ans, habitent encore La Gardanne. Ils les ont rejoints pour la nuit. Robert s’inquiète de voir l’arbre emporté par les flots faire barrage avec le pont et ce que le courant charrie. Il garde un souvenir vif et amer de cette nuit de janvier 1978. “C’est arrivé pendant la nuit, vers 10 heures, se souvient-il. À 11 heures, on a compris qu’il fallait évacuer. On avait de l’eau jusqu’à la poitrine. Elle était glacée. On avançait dans le noir, sans savoir où on allait.” En quelques instants, sa famille a tout perdu : voiture, moto, électroménager… “Tout était à jeter. Il a fallu se reconstruire une vie entière en repartant de zéro.” Ils accueillent donc avec bienveillance les nouvelles mesures de prévention du risque, sirènes, zones refuges et évacuations préventives. “Et tant pis si tout cela est fait pour rien, je souhaite à personne de vivre ça…”
(Avec Violette Artaud)
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