Avec la fermeture de Buropolis, les artistes font une fois de plus leurs cartons
La fermeture de Buropolis, prévue le 15 juin, inquiète ses résidents. Beaucoup d'entre eux se retrouvant sans solution pour trouver de nouveaux lieux de création. Une question qui va se poser régulièrement dans les tiers-lieux éphémères qui ont vu le jour à Marseille.
Des artistes résidents de Buropolis remballent les toiles et s'apprêtent à quitter les lieux.
De la paille s’envole et la brume colorée des bombes de peinture emplit l’air du parvis de Buropolis, à Sainte-Marguerite (9e). Comme les restes d’une fête de 18 mois qui s’arrête. Le 15 juin, les résidents de ce grand immeuble de neuf étages vont quitter les lieux. Les 10 000 m2 d’anciens bureaux s’élèvent entre des immeubles d’habitation beige pâle, à dix minutes du terminus de la ligne de métro 2.
En tout, 250 artistes, artisans et designers y ont séjourné. Une trentaine d’exposition et des milliers de visiteurs plus tard, le bâtiment détenu par la Compagnie Vauban connaît ses derniers jours avant sa démolition.
“C’était le jeu, tout le monde savait que ça allait s’arrêter”
“C’est triste, mais on n’a pas le choix“, admet Bernice, artiste peintre. Un pinceau à la main, elle compte rester là jusqu’au dernier jour. D’autres résidents commencent déjà à partir. Quelques toiles emballées dans du papier bulle s’amassent dans un camion garé au milieu de la cour, portes battantes ouvertes. “C’était le jeu, tout le monde savait que ça allait s’arrêter”, reprend Raphael Haziot. Mais tout le monde espérait que le bail serait reconduit. Comme cela a été vu à Coco Velten, autre tiers-lieu marseillais aussi géré par Yes We Camp, qui a obtenu une année de sursis.
Buropolis, comme Coco Velten, relève de l’urbanisme transitoire : ces lieux vacants loués à des prestataires qui y installent des activités culturelles pour éviter de voir s’y développer des squats. Mais aussi pour redorer l’image de certains quartiers. Souvent décalés du centre-ville, ils créent une offre culturelle et sociale qui ne se retrouve pas autour. Rendent attractif le territoire. Chacun a ses problématiques à Marseille. Aux 8 Pillards, les résidents s’organisent pour garder le lieu, malgré la fin du bail. Au couvent Levat, le contrat a été prolongé. Les Ateliers Jeanne Barret, aux Crottes (15e) en sont, eux, encore au démarrage. Partout, ces structures apparaissent, pour plus ou moins longtemps. Et justement, ici, le temps de vacance du bâtiment est terminé. Le futur propriétaire des lieux, Icade-Arkadea, y réalisera 173 logements collectifs.
Impossible de prolonger le bail pour une question de budget, aussi. Buropolis était financé à 85% par Yes We Camp avec la location des ateliers à raison de 3 à 10 euros le mètre carré, et par la Croix-Rouge, qui y a installé son école d’infirmières. Les 15% restant étaient assumés par Icade et la mairie de Marseille, qui a investi 100 000 euros dans le projet. “En 2021, Yes We Camp n’était pas à l’équilibre, ce bâtiment coûte extrêmement cher à maintenir. Par exemple, à cause du risque incendie, il faut des agents de sécurité tout le temps, explique Antoine Plane, directeur de l’association. On avait demandé au propriétaire d’alléger les charges qu’il nous refacture, mais ça n’a pas été possible.”
L’urbanisme transitoire, un outil, pas une fin en soi
L’un des enjeux de la fermeture, c’est de rappeler qu’il y a la matière pour en ouvrir un ou plusieurs autres.
Antoine Plane, Yes we camp
“C’est une démonstration très forte de la nécessité de créer des lieux pour les artistes“, analyse Antoine Plane. Yes We Camp a travaillé depuis mai dernier, avant même l’inauguration officielle du site, à la recherche d’un nouveau lieu avec la Ville, le département, la région et l’école des Beaux-Arts de Marseille. “L’un des enjeux de la fermeture, c’est de rappeler qu’il y a la matière pour en ouvrir un ou plusieurs autres. Surfer sur la vibe d’un gros lieu culturel avant que ça ne retombe.” Pourtant, toujours aucun lieu de repli à l’horizon.
“L’occupation de ces lieux permet de visibiliser la demande d’ateliers. En fait, on a fait une photographie des besoins à l’instant T, sans sélection des artistes“, explique Raphaël Haziot, coordinateur du projet Buropolis. Et le besoin semble fort. 150 artistes sont encore sur la liste d’attente et ne pourront jamais profiter des longs couloirs recouverts de tags et de collages. “Même avant le lancement du projet, il y avait une demande d’ateliers colossale. Le bâtiment était plein en deux mois”, confirme Antoine Plane. Pourtant à leur arrivée, ils n’étaient pas sûrs de le remplir.
Pour les artistes, c’est “sauve-qui-peut”
Cette logique d’accueil temporaire pose la question de fond de lieu de travail permanent pour les artistes. “C’est une réponse immédiate et provisoire, ce n’est pas la panacée“, reconnaît Antoine Plane, qui tente une comparaison osée avec la soupe populaire : elle ne comble pas tous les besoins, mais ne mérite pas de cesser pour autant.
La fermeture peine les résidents comme les organisateurs : Buropolis, ils l’ont construit ensemble. Plus d’un kilomètre de placo pour habiller les couloirs de la structure. Un lieu où se croisent des artistes, des jeunes sans diplôme en formation, des enfants pour les ateliers de lecture, des visiteurs, etc. Des gens qui ne se croisent qu’ici. “On dirait une ménagerie de zoo qui déménage tout le temps. C’est comme si on nous disait que bon, c’est pas grave, on est des artistes de toute façon”, regrette Silvio Mildo, artiste contemporain. Lui a eu de la chance, ou du talent, ou des contacts, ou un peu des trois : il a trouvé où se replier à la fin de Buropolis, avec cinq autres résidents. “On voulait garder cette synergie de groupe, cette nouvelle famille.”
Mais son cas est loin d’être généralisé. Ils sont nombreux à déplorer le manque d’espaces en ville. Ou regrettent que les seules possibilités ne soient pas pérennes et chères. L’un d’eux pensait louer un appartement avec d’autres artistes pour en faire un atelier. “Il y a une saturation du marché. C’est presque “sauve-qui-peut”, déplore François Dehoux, plasticien. C’est compliqué de trouver de l’espace et d’avoir la confiance des propriétaires.” Parmi les points de repli, l’ESDAC, école privée de design, a proposé de reloger certains artistes pendant deux mois, mais sans trop de détail. Les derniers vont entreposer leurs productions chez des proches ou chez eux, faute de mieux.
Des structures contraintes à l’itinérance
Il n’y a pas que les artistes qui vont regretter cette vie en communauté. Plusieurs structures y avaient aussi trouvé refuge. “Souvent, on est associés à des projets d’autres acteurs. Ça permet aux jeunes d’être insérés dans le paysage culturel marseillais”, témoigne Marie Joubert, directrice de l’école de cinéma Kourtrajmé, qui a bénéficié d’un quart d’étage de Buropolis. La version associative d’insertion professionnelle de sa grande sœur parisienne créée par Ladj Ly fait partie des plus touchés par la fermeture du tiers-lieu.
La seule solution que l’on a trouvée, c’est d’aller dans mon garage.
Marie Joubert, Kourtrajmé
“Pour le moment, la seule solution que l’on a trouvée, c’est d’aller dans mon garage”, souffle la directrice, qui ne sait toujours pas où sera relocalisée la formation qu’elle propose. Depuis un an, elle explique avoir cherché des alternatives, mais rien de pérenne ou stable. “Désespérée”, elle assure avoir demandé de l’aide à la mairie depuis un an et demi. “Je pense qu’il y a une réelle intention de participer au sein de la Ville. Mais qu’il y a une pénurie de lieux aux normes.”
L’après-Buropolis en suspens
“Nous devons travailler ensemble sur d’autres lieux, a reconnu le maire (DVD) des 9/10 et président de la Soleam Lionel Royer-Perreaut, lors d’une conférence de presse autour de clôture ce vendredi. L’urbanisme temporaire est un vrai sujet. Il faut que nous, élus, soyons plus allants. Nous devons surmonter les obstacles administratifs, tout est fait pour nous refroidir.” Sa mairie de secteur a collaboré au projet, en installant des ateliers de lecture publique et de Beaux-Arts. Et a permis la mise en relation avec le propriétaire des lieux.
“On n’a pas de réponse pour le 16 juin. Il y a un inventaire des équipements municipaux existants, mais il faut encore travailler dessus“, admet pour sa part Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille en charge de la culture. Pour combler la demande, la Ville envisagerait de placer des résidences d’artistes dans les écoles dans le cadre du “plan écoles d’avenir”. Pour l’heure, le nombre d’écoles nouvelles est encore inconnu mais même une centaine d’ateliers ne suffira pas à loger les artistes et leurs cartons.
Buropolis reste ouvert encore aux visiteurs avec une soirée mode et Dj set ce samedi 21 mai, cinq expositions à partir du 26 mai et une fête de clôture le 4 juin.
Commentaires
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Tout ça c’est du bricolage, et illustre le mépris de fond des institutions pour le domaine artistique.
Quant à la Ville de Marseille, incapable de trouver des solutions pérènes en un an et demi, ça montre que pas grand chose ne change.
Villa Valmer, Pavillon du la Borély, bastide du Parc de la Jarre… longue est la liste du patrimoine délaissé…
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Rien ne change pour les écoles ?
Rien n’a changé pour la Villa Valmer ?
Rien ne change avec la Charte de l’urbanisme ?
Etc etc…
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Ils sont bien gentils ces centaines d’artistes. Mais ils produisent des milliers d’oeuvre d’art qui n’intéressent qu’eux-mêmes ; et les quelques administratifs qui ont fait un métier de s’en occuper.
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