[Aux portes du Mucem] Les visiteurs de l’extérieur

Série
le 29 Juil 2023
10

D'une passerelle à l'autre, du fort Saint-Jean à l'esplanade du J4, les gens déambulent, profitent de la vue mais peu finissent par pousser les portes des expositions. Pour les 10 ans du Mucem, Marsactu explore ses multiples usages. Pour ce premier épisode, rencontre avec ceux qui ne font que passer.

Des visiteurs traversent la passerelle du Mucem en juillet 2023. (Photo : Floriane Chambert)
Des visiteurs traversent la passerelle du Mucem en juillet 2023. (Photo : Floriane Chambert)

Des visiteurs traversent la passerelle du Mucem en juillet 2023. (Photo : Floriane Chambert)

À l’heure du déjeuner, sur la place d’armes du fort Saint-Jean, le mistral est venu perturber les idées de pique-niques. Sur les tables métalliques de l’ancien restaurant tenu par le chef Gérald Passedat, on retient les serviettes en papier et les tupperwares vides qui ne résistent pas à l’attrait du vent. Un peu plus loin, Odette est allongée sur un des transats en bois. “Qui aurait cru qu’on chercherait le soleil après cette canicule?“, lance-t-elle à son amie posée sur le transat d’à côté. Un bloc-notes à la main, elles établissent une liste de course. Manifestement, un repas se prépare.

Parisienne d’origine mais habitante de Marseille depuis fort longtemps, Odette est une retraitée très occupée : “Aujourd’hui, je suis là parce qu’il y a eu une rétrospective des films de Robert Guédiguian ce matin. Maintenant, je rentre parce que j’ai des obligations mais je viens souvent au Mucem. Je vais voir des expos essentiellement, mais j’aime bien venir me promener dans les jardins surtout au printemps. On peut y venir avec un bouquin.

Dans tous les recoins du fort Saint-Jean, de la cour de la Commande jusqu’en haut de la tour du Roi René, locaux et touristes se croisent. On y entend l’accent chantant des Marseillais mais aussi quelques bribes d’allemand, d’italien ou d’anglais. Collé sur le t-shirt des visiteurs, on y voit parfois un petit macaron coloré où il est noté “Mucem” suivi d’un numéro. Ce macaron, c’est le laissez-passer pour rentrer dans toutes les salles d’exposition payantes. C’est ce qui différencie ceux qui rentrent dans le musée de ceux qui restent à l’extérieur. Aujourd’hui, il est rouge. La couleur change chaque jour pour ne pas qu’on puisse le réutiliser sans payer une nouvelle fois.

Radja en a un. Avec sa casquette sur la tête et son sac sur le dos, ce touriste belge vient pour la deuxième fois visiter Marseille. Sur le chemin de ronde, il s’est arrêté en face de l’église Saint-Laurent qui voit, derrière elle, se dessiner le quartier du Panier. “Je suis venu pour voir les expositions. La première fois que je suis venu, je n’avais pas pu faire le fort Saint-Jean. C’est bien que l’on ait accès aux deux espaces“, dit-il avant de continuer sa balade.

Des visiteurs se dirigent vers le bâtiment J4 du Mucem

Odette et Radja font en réalité partie de la minorité de visiteurs qui viennent aussi pour voir les expositions. En 2022, le Mucem a comptabilisé 1 251 030 visiteurs mais dans le détail de son rapport annuel, seulement 423 927 d’entre eux sont allés voir les expositions, soit un peu plus d’un tiers. Un ratio constant si l’on se réfère aux rapports antérieurs. Mais cette distinction entre l’intérieur et l’extérieur, entre les espaces gratuits ou payants semble bien plus établie dans l’esprit des usagers que dans celui de l’institution.

Le musée national se définit comme un tout, un ensemble se déployant sur trois sites si l’on y inclut le centre de conservation et de ressources (CCR) de la Belle-de-Mai dans le 3e arrondissement. “Côté mer, à l’entrée du Vieux-Port, le bâtiment J4 (l’emblématique geste architectural de Rudy Ricciotti et Roland Carta), et le fort Saint-Jean (monument historique entièrement restauré) incarnent parfaitement, avec leurs deux passerelles, le projet d’établir un trait d’union entre les deux rives de la Méditerranée.“, peut-on lire sur sa page de présentation web à propos de ses bâtiments du centre-ville. L’organigramme définissant les différents services reflète également cette vision globale des différents sites, qu’ils soient des espaces d’exposition ou non.

“Je ne suis jamais allée à l’intérieur du musée”

Sous les oliviers de la place d’Armes, c’est l’heure de la sieste pour ceux qui ont fini leur casse-croûte. Les longues banquettes en bois s’y prêtent bien. Le mistral a même décidé de laisser le soleil réchauffer un peu le fond de l’air. Non loin des dormeurs, Audrey et Jean-Pierre font une pause à l’ombre. Ils sont venus de Gardanne avec leurs enfants pour voir leur amie Vanessa. “On travaille à la Joliette mon mari et moi. Mais comme les enfants ne connaissent pas, on s’est dit qu’on allait profiter qu’il ne fasse pas trop chaud pour leur faire faire le tour mais on n’a pas prévu d’aller au musée“, explique Audrey. Sur ces mots, la fille de Vanessa réagit avec empressement : “Moi, je connaissais déjà ! Je suis même allée à une exposition.” “C’est parce qu’elle y est allée avec l’école, mais j’avoue que moi je ne suis jamais allée à l’intérieur du musée. On vient pour se promener“, répond sa mère.

Tout en haut de la tour du Roi René, un jeune couple se prend en selfie, la Bonne mère en fond. Célia et Théo viennent de Dordogne. Ils sont venus passer quelques jours dans le Sud. “Nous, on habite à la campagne, on n’est pas trop habitués à la ville, aux musées et tout ça. On était au Panier puis on est passé par là. On est vraiment de passage ici.“, explique Théo rapidement.

En redescendant de la tour, juste avant la passerelle qui mène au Panier, la vitrine du concept-store arbore les couleurs de la Provence. A l’intérieur, Marjorie et son ami font des essayages. Tous deux Marseillais, ils habitent dans le quartier du Rouet (8e). Marjorie connaît bien les alentours, elle est née tout près, dans le quartier du Panier. “On ne vient pas souvent au Mucem. Seulement de temps en temps pour se promener, boire un coup. Par contre, c’est la première fois que je viens dans ce magasin. On cherchait depuis longtemps un bleu de Chine. On en a vu en vitrine et on est rentrés.” Sur les expositions, Marjorie ajoute : “On n’a jamais fait le musée en soi. Récemment, j’ai vu qu’il y avait une expo sur la maternité. Comme je bosse dans ce domaine, je voulais y aller mais c’était fermé.

Des visiteurs sont attablés à la terrasse du café du Mucem

De l’autre côté de la passerelle

En continuant le parcours, on emprunte la passerelle qui relie l’historique fort Saint-Jean et le moderne bâtiment posé sur le J4. L’on y marche à un rythme de croisière, derrière ceux qui n’ont pas l’habitude de voir la Méditerranée habillée des bateaux du Vieux-Port. A l’arrivée, le toit offre une terrasse de café. Assise à une table, son casque sur les oreilles, Sasha est concentrée à taper sur son ordinateur. Artiste musicienne, elle est venue chercher l’inspiration pour l’écriture de son prochain concert. “Je commence toujours mon processus de travail par une balade. Je laisse les idées venir et puis je trouve un endroit pour tout poser. J’ai fait mon grand tour de quartier toute la matinée. Puis après, je suis venue déjeuner et écrire ici. Lever le nez et voir ces belles lumières, c’est hyper inspirant“, confie-t-elle avant de remettre son casque en place.

Pour rejoindre l’intérieur du musée, il faut descendre. On tourne autour du gros cube dans une allée quadrillée par les célèbres dentelles en béton qui jouent avec la lumière. Pour beaucoup, le trajet s’arrête là. À l’extérieur. Car plus que de le visiter, on s’y balade. On s’y arrête comme on s’arrêterait dans un parc pour pique-niquer, se reposer, se ressourcer. Parfois même, on ne fait que passer.

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Floriane Chambert

Commentaires

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  1. MalMass MalMass

    Bonne idée que de se pencher sur les atouts culturels de notre ville. Car il faut nuancer le “seulement 423 927 d’entre eux sont allés voir les expositions” : cette fréquentation place le Mucem sur le podium des plus grands musées hors région parisienne, aux côtés du Louvre Lens, et devant certaines grandes institutions parisiennes comme l’Institut du monde arabe, le musée Guimet, le musée des arts décoratifs ou le musée Cluny. Autant dire qu’elle est aussi sans commune mesure avec les autres grands musées de la région.

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  2. Fp Fp

    Idée pour votre série : un retour sur les mouvements sociaux rencontrés au Mucem, non ?

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  3. LN LN

    J’ai hâte que le fort St Nicolas ouvre ses portes et que ces déambulations puissent être du pareil au même

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  4. Patafanari Patafanari

    Rudy Ricciotti: » Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre si c’est pour voir des expositions d’artistes américains comme Jeff Koons. Ce sont des expositions qui hâtent le sous-développement du Mucem, la soumission à l’impérialisme et aux mythologies névrotiques anglo-saxonnes. C’est un comportement digne d’un musée de province que d’exposer des artistes déjà vus dans les capitales européennes. »

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  5. MarsKaa MarsKaa

    Cette balade extérieure est très agréable. Jardin, vues, vieilles pierres et architecture moderne se mêle, l’endroit est magnifique et reposant. On en a plein la vue, gratuitement.

    Entrer voir une expo demande d’être informé sur ladite expo. Or il y a très peu de communication, il faut chercher l’info. Ou être abonné (donc un habitué ) à des réseaux culturels.

    Mais cela demande aussi une habitude, une pratique, comme pour aller au théâtre. Combien de Français vont voir des expos ? Beaucoup pensent, a priori, que ce n’est pas pour eux, pas leur monde, que ça va etre ennuyeux…

    Heureusement il y a des professeurs qui font des sorties au musée ou au théâtre. Cela ouvre tant de possibles ensuite pour ces enfants… et leurs parents, amenés par leurs enfants parfois après une sortie scolaire.

    S’il y avait autant de publicité pour les expos (tout format et tout support média : affiches, videos, télé et réseaux sociaux, son radio) que pour les parfums ou les assurances, peut-être que la fréquentation serait plus forte ?

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    • MarsKaa MarsKaa

      Mais je crois que ce n’est pas le sujet de cet article finalement.
      Avoir laissé la possibilité d’un espace public gratuit, de cette qualité, ouvert à tous, visiteurs des expos ou pas, est vraiment un choix fort appréciable.

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  6. Richard Mouren Richard Mouren

    En tant que (vieux) marseillais né natif (cf nos amis bretons), j’ai trouvé extraordinaire de pouvoir m’approprier le Fort St Jean, ex-propriété de l’armée (surtout après la perte de la digue du large). La première fois que je me suis retrouvé en haut de la tour du Roi René, j’ai eu le souffle coupé par la beauté immersive du paysage. L’aménagement (très intelligent) du fort l’a transformé en un très beau parc public. L’élégance des passerelles fait le lien entre deux lieux historiques (St Laurent simple église des pécheurs et le fort énorme et menaçant) et ce lieu extraordinaire de légèreté et de lumière claustrée qu’est le Mucem. Cet ensemble est une totale réussite.

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    • LN LN

      Tout à fait d’accord. Remercions Riccioti qui a exigé de ne réhabiliter ce lieu, que si l’accès était gratuit, Gaudin voulant, lui, faire payer l’entrée…

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    • pas glop pas glop

      À quelques centaines de mètres, le même architecte a construit des logements de « grand standing » pour ces mêmes personnes qu’il conspue dans les médias… C’est lui aussi qui déclarait à la radio peu avant Marseille 2013 « Si en plus ça peut ramener des jolies pépettes au seins nus dans des décapotables… ». Lui aussi qui a été condamné pour avoir construit une salle de cinéma privé sans permis de construire. Lui aussi qui insulte des personnes qui travaillent au Mucem lors de ses visites guidées avec ses fans, etc.

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  7. catherine catherine

    Que Riccioti soit très très imbu de lui-même, parfaitement insupportable et un vieux macho de surcroît n’étonnera personne… En revanche que le site du MUCEM soit une parfaite réussite est indéniable….

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