Aux Crottes, Euroméditerranée rejoue l’éternelle comédie de la concertation publique

Reportage
le 17 Nov 2022
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Ce mardi, la mairie de secteur des 15e et 16e accueillait un "atelier" destiné à consulter les habitants sur les futurs équipements publics du quartier en cours d'aménagement aux Crottes. Mais les urgences soulignées par les 15 habitants présents sont bien loin des plans dessinés par Euroméditerranée et arbitrés en d'autres lieux.

Des membres du cabinet de concertation et de l
Des membres du cabinet de concertation et de l'établissement public Euroméditerranée restituent la parole des habitants en maire des 15e et 16e. Photo : B.G.

Des membres du cabinet de concertation et de l'établissement public Euroméditerranée restituent la parole des habitants en maire des 15e et 16e. Photo : B.G.

Même salle, mêmes acteurs, deux ambiances. Ce mardi, Euroméditerranée organisait un “atelier de concertation concernant les besoins en équipements publics” au sein du second périmètre de l’opération nationale, aux Crottes (15e). En mars, dans cette grande salle de la mairie des 15/16, une réunion plénière avait tourné à l’empoignade, avec, au centre des vitupérations, le marché sauvage en marge des Puces, l’insécurité, la propreté et le spectre de l’embourgeoisement du quartier.

Six mois plus tard, on est passé de la cocotte-minute à la salle qui sonne vide. Seule une quinzaine d’habitants est au rendez-vous, en face d’autant de représentants de l’établissement public, de la mairie ou du cabinet mandaté pour animer la concertation. A posteriori, la maire de secteur Nadia Boulainseur se félicite d’une “réunion animée, avec des discussions vives”, en mars dernier. Elle souligne “la question essentielle des services publics et de proximité alors qu’on attend 30 000 habitants, d’ici 2025, dans ce bas du 15e”. La maire de secteur dessine le projet Euromed 2, à très gros traits, que cela soit dans le nombre de nouveaux habitants comme dans le calendrier. Visiblement, elle n’a pas battu le rappel pour remplir la salle.

“Au service des habitants”

Sans reprendre sa collègue, présidente d’Euroméditerranée, Laure-Agnès Caradec vend à son tour “un projet urbain au service des habitants existants et de ceux qui vont venir”. Elle liste les équipements publics prévus : une médiathèque, deux écoles, un collège, un gymnase, une maison municipale d’animation, un bureau de proximité… Et un parc, pièce maîtresse du projet qui doit permettre de “renaturer le ruisseau des Aygalades” en prenant la place de la gare de fret du Canet. “Nous avons eu une réunion la semaine dernière en préfecture pour déterminer la forme qu’aura ce parc, précise l’élue LR, avant de rapidement évacuer. On va devoir choisir entre un parc à plat ou en creux, mais je vous épargne les détails”.

La forme du futur parc aura un impact sur le nombre de logements construits autour.

Ce n’est certes pas le sujet du jour, mais le choix qu’elle évoque en passant est loin d’être un détail. La forme du parc et la façon dont il va recueillir les eaux du ruisseau les jours de crue vont influer sur le nombre d’hectares du parc et le nombre de logements prévus autour. Un lit en creux sera plus étroit et offrira donc plus d’espace à la construction. Un lit à plat doit permettre aux crues de s’étendre sans buter sur des immeubles neufs. Ce n’est pas un choix anodin alors que le futur quartier est appelé à recevoir plusieurs milliers d’habitants.

“Les représentants de toutes les collectivités présentes étaient d’accord même si nous attendons toujours la réponse formelle de la mairie de Marseille, se satisfait Laure-Agnès Caradec, en aparté. J’aimerais pouvoir inscrire cette décision à l’ordre du jour de la prochaine réunion du conseil d’administration d’Euroméditerranée“. Conseillère métropolitaine déléguée au plan local d’urbanisme, elle se réjouit de voir l’effort de construction de la Ville porté ailleurs que sur le périmètre de l’opération d’intérêt national.

Priorités terre à terre

Mais la question du parc est loin d’être stratégique et certains participants n’ont jamais même entendu parler du projet. “On pourra faire une guinguette”, plaisante une femme âgée, entraînant un “oh” indigné de sa voisine…

Leurs priorités sont plus terre à terre et collent parfaitement au sujet du jour : la proximité et les services associés. Comme souvent dans ce genre d’ateliers, censés libérer la parole des habitants, la salle se scinde en trois tables, bientôt réduite à deux en raison de la faible assistance. Les thèmes séparés, entre commerces d’un côté et services publics de l’autre, finissent par se croiser. Quant aux préoccupations, elles concernent le présent immédiat et les quartiers adjacents de Cazemajou et de la Cabucelle, plutôt que le nouveau quartier de Smartseille.

Comme en mars, la question principale porte sur le marché sauvage que les travaux du tramway n’ont qu’à peine entamé. “Avant, ce marché se limitait au week-end, en lien avec le marché aux puces, maintenant, c’est tous les jours et partout“, s’offusque un habitant de la rue Honorine. Il comprend les éboueurs qui “renoncent à ramasser ce que les marchands ont eu de la peine à vendre“.

Il est de nouveau question d’un vrai marché des biffins, inspirés de celui de Montreuil, qui permettrait à ces marchands de la débrouille de trouver un abri sans troubler l’espace public. La mairie a lancé une étude mais l’animatrice de la tablée ne s’étale pas sur l’hypothèse. De fait, le sujet fait polémique. L’ancienne maire de secteur, Samia Ghali est vent debout contre le projet et laisse entendre à quiconque pose la question qu’il ne se fera jamais.

La plupart des habitants venaient des quartiers adjacents au périmètre d’Euroméditerranée 2.

“Que le quartier soit sûr et agréable à vivre”

Qu’importe la solution, les habitants présents voient dans le maintien du marché un signe de la déliquescence qu’ils vivent au quotidien. Un couple venu en voisins explique qu’il a renoncé à faire ses courses sur place et “préfère aller à Plan-de-Campagne ou à la Valentine” plutôt que d’affronter l’anarchie du quartier.

Saleté, insécurité, abandon des espaces publics, la Cabucelle est peinte en noir triste. “J’habite rue Zoccola et c’est devenue une poubelle, s’indigne Mustapha Ben Ammar. L’entrée du métro [capitaine Gèze], on dirait qu’on n’est pas en France. Ce n’est pas forcément pour moi, parce que dans cinq ou six ans, je ne serai plus là mais faites en sorte que le quartier soit sûr et agréable à vivre“. À la même table, une habitante de la rue Honorine dont toute la famille a toujours vécu là, souhaite que “les habitants futurs aient la même enfance merveilleuse qu’elle a vécue. Parce que cette réalité-là, on l’a connue par le passé“.

Comme le résume Coline Grégoire, du cabinet Sennse, les conditions actuelles rendent difficile de se projeter dans le projet. “On s’habitue à fonctionner avec des manques“, ajoute Mélanie Lebas, chargée de la concertation pour Euroméditerranée. De la même façon, les conditions mêmes de la concertation en freinent la portée. Un silence poli répond à la question de l’animatrice d’Euromed sur le besoin en crèches et écoles. Dans une très large majorité, les participants de la tablée n’ont plus d’enfants scolarisés.

Des décisions prises ailleurs

En poussant plus loin la logique, il transparaît rapidement que les remarques des participants, dument inscrites sur de grandes feuilles, ne viendront pas nourrir directement le projet des aménageurs. Ils ont confié la construction des macro-lots du projet aux géants du BTP Eiffage et Bouygues. Rien ne perce publiquement des négociations avec les multinationales. “Et on sait qu’ils ne sont pas venus pour rien, souligne Rachida Haddouche, une habitante de la Cabucelle, en aparté. Ils ont des logiques financières et quand on regarde ce qu’ils projettent sur le quartier, on est presque à Dubaï“. Pas sûr tout de même que la capitale émirati prévoie 30% de logements sociaux.

Le département ne prévoit pas d’installer de nouveau collège dans le secteur.

Comme le formule Guillaume Kolf, qui pilote l’aménagement du périmètre pour Euromed, “les futurs services publics sont en cours de programmation”. Or, pour être programmés, les équipements doivent être validés par les différents partenaires. Ainsi le collège inscrit au programme est, pour l’heure, un établissement privé de la congrégation des Jésuites. Le conseil départemental n’a rien prévu en raison de la proximité de la future cité scolaire internationale et du collège Arenc-Bachas, à la Cabucelle.

Le quartier des Crottes devrait pourtant compter 20 000 habitants, une fois les programmes de logements bouclés. Largement de quoi nourrir un établissement public même si le collège catholique prévu est attentif à l’accueil des élèves les moins argentés. De la même façon, il y a débat sur l’implantation d’un centre social, doté d’un espace extérieur, pour accueillir les enfants en centre aéré. Mais, où sera-t-il ? À l’intérieur du quartier des Fabriques ou à Gèze ? Pour l’heure, la seconde hypothèse tient la corde. Mais le choix final sera fait ailleurs, loin de la Cabucelle.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Des vieux et les filous.

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  2. Christobel Christobel

    La pseudo-concertation cache une stratégie de manipulations et d’abus de confiance publiques. L’opération Euromed est une entreprise mafieuse et coloniale. Ses acteurs sont des voyous dont les prédations physiques et psychologiques relèvent de la justice pénale. Merci de pousser les investigations jusqu’à manifester la fabrique des squattes et leurs lots de suites criminelles.

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  3. Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

    Tout cela est un mensonge.

    Une concertation sur un projet urbain global se fait après une première phase d’étude urbaine (type AVP, et même plutôt EP -études préliminaires), qui doit être mise-à-jour en fonction de la restitution de la concertation.

    Là ils concertent alors que :
    – la planification urbaine est déjà établie et délibérée; cette dernière inclut obligatoirement les équipements publics, dont le coût (au même titre que celui des espaces publics) est répercuté sur les opérateurs (ceux qui achètent le foncier pour construire logements et bureaux) via une taxe d’aménagement selon un bilan qui ne peut être modifié que marginalement
    – le projet urbain issu de la planification est, selon le fonctionnement d’EUROMED par quartier (cf le quartier de la tour La Marseillaise qui avait été attribué à CONSTRUCTA), déjà attribué à des opérateurs privés qui sont les seuls à pouvoir modifier la programmation urbaine (les volumétries en l’occurence, pas la SDP totale ni les équipements publics)

    En gros, concerter à ce stade c’est faire croire aux habitants qu’ils ont leur mot à dire. C’est mentir, mener en bateau, appelez ça comme vous le voulez.

    C’est sûrement difficile à croire, mais les opérateurs privés ne sont pour le coup pas des voyous : ils ont remporté il y a déjà un bon moment un appel d’offre selon un cahier des charges issu de la planification urbaine, elle-même validée et délibérée par EUROMED et la Collectivité… et que les élus et EUROMED, les vrais voyous en l’espèce, présentent aux habitants comme encore malléable aujourd’hui à travers cette mascarade de concertation.

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    • Assedix Assedix

      Intéressant, merci. 🙂

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  4. Brigitte13 Brigitte13

    Combien de milliers d’euros et de francs ont été versés à de nombreux cabinets d’études depuis plus de 20 ans sur ce quartier ? rénovation urbaine, politique de le ville, redynamisation économique…et toujours rien pour les habitants, aucun centime investi concrètement.

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  5. Alceste. Alceste.

    Que voulez vous ce type de manifestation fait partie de la panoplie de l’élu(e) au même titre que l’écharpe que la médaille ou que des cérémonies de commémoratives.On fait la réunion.
    Ce qui est excellent, c’est le mimétisme de madame Boulainseur qui une fois dans la place s’applique la même autosuggestion concernant son action.Rien n’a changé bien entendu , mais elle est convaincue “mordicus ” du contraire que grâce à elle les ânes sont devenus des cheveaux de courses.
    Concernant Caradec , son nez , tel Pinocchio , a pris encore 20 centimètres.
    Allez les “gueux” , circulez , il n’y a rien à voir , les zélites marseillaisses s’occupent de vous “On s’habitue à fonctionner avec des manques” , oui cela est vrai et je puis rajouter que l’on s’habitue aussi a la connerie de ces zélus marseillais.Du vent et du flan au profit des promoteurs immobiliers.

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  6. Fabienne Fabienne

    Avec la pollution de l’air venant des nombres toujours croissant des paquebots j’ai du mal que des gens vont payer un prix important pour acheter a Euromed et risquer des cancers. Meme pour Vinci ou Bouyges je doute que c’est si evident.

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  7. Forza Forza

    Je rappelle quand même le sujet annoncé de cet atelier : “Commerces, services publics, activités de loisirs… Venez partager vos souhaits en matière de services de proximité : commerces, activités de loisirs, services à la personne, services du quotidien… “. Là-dedans il y a des choses qui ne sont pas pliées d’avance et personnellement j’aurais été ravie qu’ils fassent ça sur Euromed 1. On les a suffisamment engueulés parce que ce volet n’avait absolument pas été pris en compte dans l’aménagement sur le premier périmètre.
    Maintenant on peut continuer à casser du Euromed du matin au soir et bien sûr on trouvera toujours de bonnes raisons pour le faire mais je ne pense pas que ça rende service à quiconque : ni aux habitants qui sont déjà là ni à ceux qui viendront.

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    • BRASILIA8 BRASILIA8

      N’oubliez pas ce que disait Coluche “Dites nous ce dont vous avez besoin on vous apprendra à vous en passer”

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    • Assedix Assedix

      @forza: merci pour ce rappel. 🙂

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    • Citoyen-ne-s-de-marseille.fr Citoyen-ne-s-de-marseille.fr

      La concertation est nécessaire, seulement elle nécessite des moyens financiers et humains.elle ne doit pas se résumer à une réunion dans une salle mise à disposition par la mairie de secteur. C’est à l’échelle du quartier et quartiers limitrophes que cette concertation ou l’avis des personnes auraient du être pris, avec des médias, des supports, des annonces … tout ceci a un coût. Dans l’esprit de la loi PLM, c’est bien le rôle de la mairie de secteur de faire le job. Comment concerter sans apporter de la transparence, de la diffusion des documents. c’est vraiment honteux. Les mairies de secteur ont des reports financiers de plusieurs centaines de milliers d’Euros, celui de la mairie du 15 16 on approche des 2M€ d’argent du contribuable non dépensés … Franchement, plus que son budget annuel … Rien ne change … à ce qu’il parait, la mairie centrale en ligne droite avec son budget d’austérité récupérerait en 2023 une partie du magot… elle est où la démocratie participative ? avec quel budget ? … Bref … faudra penser à interroger Sophie Camard sur son suivi du dossier de la loi PLM, les révélations du Canard d’hier font dire que les choses évoluent sans même que nous soyons informés. Appliquons déjà correctement la loi PLM avec une juste indemnisation des adjoints de secteur (la ville actuelle est du même niveau que Gaudin, alors qu’elle avait la possibilité d’indemniser les adjoints du double de ce qu’ils ont) et laissons les moyens aux mairies de secteur de faire de la vraie concertation à l’échelle des quartiers avec les moyens financiers et techniques dont elle disposent. Mais ça la mairie actuelle a déjà loupé la marche …

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  8. Pascal L Pascal L

    “Le quartier des Crottes devrait pourtant compter 20 000 habitants, une fois les programmes de logements bouclés. Largement de quoi nourrir un établissement public même si le collège catholique prévu est attentif à l’accueil des élèves les moins argentés. ”

    Effectivement le collège Arenc Bacchas n’existe plus, il a été remplacé par le collège Rosa Parks bien plus au nord. La cité internationale n’accueillera pas beaucoup d’élèves au niveau collège et ils seront certainement triés. Enfin le futur collège de Provence associé à l’école du même nom dans le 8e fera comme la maison mère : le tri. Quelques pauvres qui travaillent très très bien et qui sont bien sages et ceux que les parents veulent mettre à l’abri des croquants du public, donc, comme pour Lacordaire, un oasis de petits blancs au milieu d’un ensemble de collèges tous classés en “éducation prioritaire”.

    Je l’ai déjà dit dans un autre message : le risque est grand qu’en l’absence de réels services publiques, des retards importants (ou de la suppression) de tout ce qui pourrait rendre le quartier agréable et qui avait été annoncé dans le plan guide (particulièrement la mise en sarcophage de l’A55 et de la passerelle “mode doux” à sa place et le parc) l’attractivité du quartier baisse rapidement de manière très importante entrainant un cercle vicieux (chute des prix, dégradation des copropriétés, départ des propriétaires occupants et arrivée des marchands de sommeil, …) qui a déjà pourri de nombreux quartiers de Marseille.

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    • Patafanari Patafanari

      « Une oasis de petits blancs » ! Ou le fantasme du Village d’Astérix et Obélix (ou village gaulois, ou encore village des irréductibles gaulois) !

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  9. Jean-Louis MICHEL Jean-Louis MICHEL

    La crise sanitaire et d’une façon plus large l’évolution du travail ont rendu inutile de nombreux immeubles de bureaux tel que ce l’on trouve aux Docks ou encore a la Tour La Marseille. Il est grand temps que l’on transforme ces artefacts en logements destinés a des particuliers.

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