Au tribunal, le désastre ordinaire d’une copropriété au bord de l’effondrement

Actualité
le 6 Déc 2022
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Les copropriétaires et le syndic du 234 avenue Roger-Salengro passaient devant le tribunal judiciaire ce lundi. Le parquet souhaiterait faire du dossier un exemple de la mise en danger d'autrui entraînée par l'absence de travaux. Les débats à la barre décrivent plutôt l'inertie coupable d'une petite copropriété.

Les copropriétaires de l
Les copropriétaires de l'avenue Salengro devant le tribunal. (Illustration : Ben8)

Les copropriétaires de l'avenue Salengro devant le tribunal. (Illustration : Ben8)

L’affaire a tout d’une réplique. D’ailleurs, à l’audience, ce lundi 5 décembre, les avocats ou le parquet ont tous à cœur de rappeler “le drame” ou “les évènements” de la rue d’Aubagne. L’immeuble du 234, avenue Roger-Salengro, pourrait être cousin de ceux qui se sont effondrés, le 5 novembre 2018.

On y trouve aussi un mur mitoyen qui fait ventre entre deux immeubles de cette artère qui file vers les quartiers Nord. En creusant à peine le sous-sol, on va trouver, de la même façon qu’à Noailles, des canalisations en grès fuyardes et même un raccordement sauvage en PVC qui se déverse dans le sous-sol depuis des années, sapant les maigres fondations de ces immeubles marseillais. Les raisons du sinistre sont établies par le rapport d’expertise d’un certain Richard Carta, mis en examen dans l’affaire de la rue d’Aubagne. Il a été rendu en novembre 2022, plusieurs années après qu’un tribunal l’ordonne. “Il conclut que l’immeuble était habitable”, assure Pierre Dupillet, avocat des propriétaires du rez-de-chaussée. D’autres experts ont conclu à l’exact inverse avant lui.

L’affaire du 234 a déjà rebondi plusieurs fois à la barre. Au départ, elle était programmée lors d’une journée spéciale consacrée à l’habitat indigne. Marsactu avait fait le récit des audiences de marchands de sommeil prévenus et durement condamnés ce jour-là.

Mais, avenue Salengro, ce ne sont pas des malandrins qui sont appelés à comparaître. Le procureur Michel Sastre le dira d’emblée lors de son réquisitoire : “Il n’y a pas de vendeur de sommeil” dans cette affaire. Et pour cause : ici, la plupart des propriétaires vivaient ou travaillaient sur place. D’ailleurs, il ne réclame pas plus que des peines d’amende avec sursis, graduées selon l’implication des prévenus, du syndic Citya Paradis ou des copropriétaires, pas tous à jour de leurs charges. Il leur est pourtant reproché “la mise en danger d’autrui avec risque immédiat de mort ou d’infirmité”, ainsi que “le refus délibéré d’exécuter sur un bâtiment menaçant ruine des travaux prescrits par arrêté de péril”.

Crainte d’un effet domino

L’arrêté de péril grave et imminent visant le 234 date de janvier 2019, mais l’évacuation des propriétaires occupants a eu lieu un peu plus tôt, en novembre 2018. Juste après l’effondrement des deux immeubles du centre-ville, dans une période marquée par les délogements massifs pour raisons de sécurité. Depuis, personne n’a pu regagner les lieux. La Ville a mandaté des travaux d’office qui ont permis de libérer le trottoir, mais pas plus. L’immeuble a été squatté, pillé. Son voisin du 236, évacué le même jour, par crainte d’un effet domino, a été partiellement détruit par un incendie. C’est un éperon de désolation qui tremble désormais sous les à-coups du chantier du tramway qui va le longer.

Pour leur avocat, les copropriétaires ne sont “Que des honnêtes gens, des travailleurs, des laborieux”.

Qui est donc responsable de cette Bérézina immobilière, “dans ce dossier révélateur de l’état de notre ville”, selon les mots du procureur ? Pour le parquet, il s’agit d’Amin Abousalihac et sa femme. Arrivé du Vietnam comme boat people en 1977, il avait au rez-de-chaussée, une petite fabrique de nougat vietnamien et un appartement refait à neuf, mais qu’il ne louait plus depuis le premier arrêté de péril simple, pris en 2013. Dans les étages, il y avait aussi Gérard Atlan, patron de bar aujourd’hui au RSA, Daniel Garcia, marin-pompier, Oualid Saadi, agent du parc des Calanques ou encore Florent Chapuis, le seul à ne pas comparaître, car hospitalisé pour une grave dépression. “Que des honnêtes gens, des travailleurs, des laborieux”, avance Fabien Dupillet, dans sa plaidoirie.

La présidente Azanie Julien-Rama tente de démêler l’écheveau du dossier qui ressemble à tant d’autres affaires de péril qui sommeillent parfois depuis des décennies sur les étagères du service de prévention des risques municipal.

“Le mur avait déjà un ventre dans les années 1990”

En 2013, le péril simple est décrété pour les mêmes motifs que ceux qui entraînent l’évacuation cinq ans plus tard. Il n’entraîne qu’une molle réaction des propriétaires. “Mon père était le gérant du bar voisin, au 232, raconte Daniel Garcia. Et le mur avait déjà un ventre dans les années 1990.” À partir de ce premier arrêté, tout le monde se hâte lentement jusqu’en 2018, où des travaux de confortement seront votés à l’unanimité. Le financement doit être assuré à moitié par les propriétaires et par le voisin, responsable des fuites en sous-sol. Et puis les travaux ne se font pas.

La représentante du syndic Citya Paradis argue qu’un bureau d’études l’avait alertée sur la nécessité de prendre en compte les désordres souterrains, avant de réparer le mur. “Mais l’entreprise que vous aviez désignée en amont, n’aurait-elle pas pu vous en avertir ?”, interroge le tribunal. La réponse de la responsable se perd un peu dans les confusions de dates.

La Ville absente à l’audience

Et puis tout s’emballe en novembre 2018. Alerté par le bureau d’études de la situation des sous-sols, Citya Paradis saisit la Ville qui évacue aussitôt. Cette célérité interroge la défense. “La Ville connaît l’état de cet immeuble, plaide Fabien Dupillet. Elle sait qu’il ne va pas tomber.” Son confrère, Fall Paraiso, qui défend les autres copropriétaires, souligne l’absence de la municipalité, “pourtant présente en tant que partie civile à tous les renvois“. Il y voit le signe d’une responsabilité conjointe. Certes, ses clients n’ont pas exécuté les travaux dans le délai de 21 jours prescrits par l’arrêté, “mais ils les avaient votés”, souligne-t-il. La Ville elle-même devait faire exécuter ces travaux d’office, dans le même délai d’urgence. “Ils n’auront lieu qu’en octobre 2021, trois ans plus tard“.

L’administrateur judiciaire, nommé en août 2019, est chargé par le syndic : “a-t-il fait mieux que nous ?”

De la même façon, il s’étonne de ne pas voir citer à la barre, l’administrateur provisoire, Frédéric Avazeri, qui a pris la place de Citya Paradis en août 2019. Lui aussi, estime-t-il, aurait dû faire réaliser les travaux puisqu’il avait récupéré la totalité des fonds et du pouvoir d’agir de la copropriété. Fall Paraiso souligne à dessein que les 6500 euros d’honoraires annuels de l’administrateur judiciaire “représentent trois fois ce que le syndic retirait [en bénéfices] de la gestion de l’immeuble“.

“A-t-il fait mieux que nous ?, s’interroge Pierre Gassend, l’avocat de Citya. N’aurait-il pas pu être cité comme complice ou comme témoin ?“. L’ensemble des avocats de la défense, pourtant opposés entre eux, se refusent à voir dans ce dossier le socle d’une nouvelle jurisprudence. “Vous n’avez pas payé vos charges, vous êtes renvoyés en correctionnelle“, résume Fabien Dupillet.

Effectivement, le procureur Michel Sastre a étagé les amendes avec sursis, de 5000 à 25 000 euros, visiblement en fonction des sommes dues à la copropriété, ou d’une citation pourtant vieille de 20 ans sur le casier du seul prévenu absent. Le tribunal se donne jusqu’au 2 janvier pour déterminer si sa balance penchera vers la relaxe demandée par la défense ou vers les amendes de principe réclamées par le parquet.

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Commentaires

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  1. Neomarseillais Neomarseillais

    Notre époque résumée en un exemple : laxisme, irresponsabilité, incompétence, absence d’autorité… l’incapable collectif qui mène à la catastrophe.

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  2. Phenix Phenix

    Oui, mais il faut reconnaître qu’après des années d’inaction, qui pourraient interroger, la Ville a enfin pris ses responsabilités et a agis dans la foulée à partir du 2ème semestre 2020 : communication sur la situation des immeubles, études CSTB, procédures judiciaires et surtout travaux d’office et ceux parmi des centaines d’autres immeubles à gérer. Faut rendre à César…

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