Au commissariat des Chartreux, une victime d’exhibition sexuelle se voit refuser sa plainte

Actualité
le 28 Juil 2021
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Ce lundi, une jeune femme a tenté de déposer une main courante pour exhibition sexuelle dans le commissariat du 4e arrondissement. Celle-ci s'est vue opposer un refus. Elle a médiatisé l'affaire. La police l'invite désormais à venir déposer plainte.

Des policiers sont placés en garde à vue dans le cadre de l
Des policiers sont placés en garde à vue dans le cadre de l'enquête autour du jeune Hedi (Photo JML)

Des policiers sont placés en garde à vue dans le cadre de l'enquête autour du jeune Hedi (Photo JML)

Un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende quand elle est imposée à une personne majeure. Deux ans et 30 000 euros lorsque les faits sont commis sur mineur. L’exhibition sexuelle est lourdement réprimée par le code pénal. Pourtant, à Marseille, au commissariat de police des Chartreux, dans le 4e arrondissement, on aurait refusé, ce lundi, de recevoir la plainte d’une jeune femme se disant victime d’un tel délit. “J’ai hésité à porter plainte, mais après je me suis dis qu’il pouvait recommencer face à un mineur”, explique Eva Vocz à Marsactu.

Ce samedi soir, la jeune femme rentre chez elle, dans le centre-ville, lorsqu’elle voit un homme qui semble se soulager sur le trottoir, raconte-elle. Elle décide donc de se décaler quand elle s’aperçoit que l’homme se déplace vers elle. “Il était en train de se masturber. J’ai mis la main dans mon sac et il est parti en courant. Il a dû croire que j’allais appeler la police, il avait l’air d’avoir l’habitude de faire ça”, explique la militante féministe. Eva n’appelle pas la police tout de suite. “Je n’ai pas eu le réflexe. Je suis vite rentrée chez moi et j’ai fermé à double tour”, poursuit-elle.

Le lendemain, sur le conseil d’une connaissance policière, elle décide finalement de déposer plainte. “Dimanche, je suis allée au commissariat de Noailles. Ils étaient débordés mais ils m’ont dit que je devais déposer une main courante, que c’était important. Ma connaissance policière m’a conseillé d’aller aux Chartreux, parce que c’est plus calme”, poursuit-elle.

“Nous avons des affaires bien plus graves”

Ils m’ont dit qu’ils ne peuvent pas prendre des plaintes à chaque fois qu’on traite une femme de salope.

Eva Vocz

Lundi matin, la voilà donc repartie en direction du commissariat des Chartreux. Sauf qu’une fois sur place, elle n’est pas vraiment reçue comme elle s’y attendait. “J’ai expliqué à une policière pourquoi j’étais là. Elle m’a dit qu’elle comprenait et puis elle m’a demandé de patienter. Mais quand elle est revenue, elle m’a précisé qu’on ne pourrait pas me recevoir.” La raison invoquée, selon Eva Vocz, la fait bondir. “Selon ses supérieurs, ils ne peuvent pas prendre des plaintes à chaque fois qu’on traite une femme de salope, s’indigne-t-elle. D’une part, l’outrage sexiste est condamné par la loi. D’autre part, on parle là d’exhibition sexuelle, ce qui est bien plus grave !”

Contactée, la préfecture de police commence par rappeler que “la qualité de l’accueil des victimes est une priorité majeure” avant de démentir une partie du déroulé des faits. Plus précisément, quand Eva Vocz arrive aux Chartreux. “À l’accueil, il lui a été indiqué qu’il y avait à nouveau un temps d’attente. Cette personne a alors choisi de quitter les lieux en manifestant son mécontentement”, écrit la préfecture. Une version que la victime conteste : “J’ai attendu, j’avais annulé ce que j’avais prévu de faire pour cela. Je suis partie car on m’a signifié qu’on ne prendrait pas ma plainte. Et c’était définitif.”

Au commissariat des Chartreux, on se souvient d’Eva Vocz. Et, sous couvert d’anonymat on réitère spontanément l’argument développé plus haut. “Si, à Marseille, tout le monde se plaignait quand on le traite de connard, on ne s’en sortirait pas. Nous avons des affaires bien plus graves à traiter”, s’y agace-t-on. Et pour ce qui est de la suspicion d’exhibition sexuelle ? “Le procureur à d’autres chats à fouetter”, interrompt-elle en précisant que de toute façon, la personne en question “a changé 40 000 fois de versions et n’avait aucun élément.” Questionnée par Marsactu, la procureure Dominique Laurens se dit elle “très étonnée des propos qui auraient été tenus”. Elle ajoute : “les infractions d’exhibition sexuelle révèle un comportement particulièrement grave en terme d’emprise notamment sur des jeunes femmes dans l’espace public, ce sont des infractions qui sont très suivies par tous les parquets de France et particulièrement par celui de Marseille”.

En sortant du commissariat, Eva recontacte la personne qu’elle connait au sein de la police, et, en fin d’après-midi, publie une série de tweets pour faire connaître son histoire. L’affaire monte sur les réseaux sociaux. Le récit de la jeune femme récolte plus d’un millier de “j’aime” et l’adjoint au maire de Marseille en charge de la lutte contre les discriminations y répond en prenant position. “Les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale, rappelle Théo Challande-Nevoret. Beaucoup, beaucoup trop de plaintes d’agressions ou de viols, ne sont pas reçues ou pas déposées. Et c’est grave.” Mais l’élu ne veut pas pour autant “pointer du doigt une (énième) institution publique essoufflée, sous-dotée, en manque de formation”.

Sans pouvoir indiquer dans quels délais, la préfecture de police raconte les événements qui ont suivi la sortie du commissariat des Chartreux d’Eva ainsi : “La policière l’a recontactée immédiatement, en vain, pour lui proposer de traiter son dossier en personne. Recontactée une 4e fois, à l’initiative de la policière, cette personne a indiqué qu’elle était désormais en déplacement à l’étranger.” Effectivement, Eva est ce mardi en Espagne. “Un rendez-vous sera fixé avec elle à son retour pour prendre sa plainte dans les meilleures conditions et rechercher l’auteur de l’infraction afin qu’il réponde de ses actes devant la justice”, conclut la préfecture.

De quoi ravir la jeune femme, qui, quand Marsactu l’a rappelée ce mardi soir, ne semblait pas certaine de cette issue. “Mais si je n’avais pas le numéro de cette connaissance dans la police, qu’est-ce qui se serait passé ?”, se questionne-t-elle. Sans compter la médiatisation entreprise par cette habituée des combats pour les droits des femmes. “Je voudrais juste que les femmes puissent se promener seules tranquillement le soir, sans avoir besoin d’escorte. Laisser passer ce genre de violence, c’est les rendre banales.” La préfète de police des Bouches-du-Rhône, elle, renouvelle toute sa confiance dans les policiers qui ont, assure-t-elle, “manifesté un intérêt soutenu et un suivi attentif de la situation de cette victime”.

Actualisation à 11h20 avec la réaction de la procureure de Marseille Dominique Laurens

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Commentaires

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  1. Piou Piou

    A toutes fins utiles :
    Article 10-2 du code de procédure pénale:
    “Les officiers et les agents de police judiciaire informent par tout moyen les victimes de [leurs droits] […]”
    Article 15-3:
    “Les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents.”
    Article 434-5 du code pénal:
    “Toute menace ou tout autre acte d’intimidation à l’égard de quiconque, commis en vue de déterminer la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.”
    Il m’arrive trop souvent de répéter ces droits à mon entourage. Dire que les flics ne sont pas formés, c’est un euphémisme. Ils n’ont manifestement jamais lu le titre préliminaire du code de procédure pénale (pourtant ça ne me semble pas nécessiter une formation quelconque).
    Pour info également, pour ceux qui ont la chance d’être véhiculé, les gendarmeries sont bien moins surchargées et les gendarmes, de mon expérience, plus accueillants et compétents.

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    • Treblig Treblig

      Excellente réponse ! Merci

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  2. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    Darmanin résiste…!

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  3. petitvelo petitvelo

    Porter plainte pour un fait mineur est décourageant et trop souvent découragé par les officiers sur place (ah bon on vous a dit que vous pouviez porte plainte pour ça ? Qui vous a dit ça ? ) Normalement un registre est tenu å disposition pour indiquer sa satisfaction ou son mécontentement sur l accueil: a réclamer … et la première déclaration en ligne est un atout aussi. Mais passer les faits sous silence c est laisser certains se féliciter de leurs bon chiffres.
    Et puis l outrage quand il vise un policier leur semble souvent bien moins mineur 😉

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  4. Alceste. Alceste.

    Superbe réponse de la préfète,pur produit de l’Enarchie.
    Les femmes se sentent soutenues avec elle.
    La carrière avant tout.

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  5. Haçaira Haçaira

    Les commissariats sont probablement en manque de personnel, il n’empêche qu’après avoir déposé deux préplaintes par internet, je n’ai pas réussi à joindre une personne par téléphone, que l’on ne m’a jamais rappelé et que lorsque je me suis déplacée sur place à 15 heures on m’a dit que ma plainte ne serait pas recevable ce jour car il y avait trop de monde. C’était au Chartreux, mais je pense que c’est dans tous les commissariats de Marseille la même chose. De plus l’amabilité et l’empathie ne fait pas partie de la formation.

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    • Pascal L Pascal L

      Même vécu. On a l’impression de déranger mais le plus énervant c’est qu’on vous fait poireauter des heures pour rien, à croire que lorsque vous vous rendez dans un hôtel de police, on veut vous donner l’impression que le coupable c’est vous.

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  6. Assedix Assedix

    Ils n’ont pas le temps d’enregistrer les plaintes, pas le temps pour les procurations, pas le temps pour les infractions de stationnement, pas le temps pour la protection des femmes battues sous la menace d’un conjoint violent, pas le temps de transmettre leurs armes à l’IGPN après une bavure…

    Je ne doute pas qu’ils aient “des affaires bien plus graves à traiter” qu’une histoire d’exhibitionniste mais du coup ils étaient sur quoi mardi matin aux Chartreux quand cette dame est venue les importuner: une saisie d’armes à feu, un braquage ?
    Ce serait bien de le savoir, parce que sinon on pourrait s’imaginer qu’ils ne voulaient juste rien foutre ce jour-là.

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    • PATRICK BOX PATRICK BOX

      Citoyen du 4ème
      Nous sommes quelques-uns à avoir eu des difficultés à établir une procuration lors des dernières élections. Je pense que ce commissariat de quartier est débordé et que l’administration de la police est une administration totalement délaissée à Marseille et ailleurs.

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  7. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    C’est sans doute que le commissariat où cette jeune femme s’est rendue n’était pas encore équipé de la file orange, celle qui désigne à la vue de tous les victimes de viols et de violences familiales… Une idée du toujours génial Darmanin, dont on sait l’affection intéressée qu’il porte aux femmes.

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  8. Treblig Treblig

    Ce n’est pas aux Chartreux qu’il y a saturation…
    c’est partout ! Dans tous les commissariats qui restent car ils ferment petit à petit. Bientôt à Marseille il restera 1 commissariat central ! Avec ce système on peut être tranquille ! Bonne soirée

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    • LOU GABIAN LOU GABIAN

      mais non , un nouveau commissariat va être construit dans les colline de chateau Gombert

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  9. MarsKaa MarsKaa

    Très difficile de pouvoir porter plainte dans un commissariat de Marseille pour des faits relatifs aux violences conjugales ou intra-familiales.
    Des faits graves, urgents, sont relativisés.
    Vous êtes parfois interrogée de façon pernicieuse, limite mise en accusation.
    Ou pire, on vous écoute, on note (sur ordinateur) votre récit, et on ne vous propose pas de relire… lorsque que vous insistez, vous découvrez un récit non seulement très mal écrit mais surtout ne correspondant pas aux faits relatés tant il y a d’omission et de distorsions !
    Je connais 4 expériences sur 5 de cet acabit.
    Dans 3 commissariats : 1er, 4e, 5e ardt.

    Alors, les paroles relatées ici concernant les violences faites aux femmes, ne sont pas surprenantes.

    Il reste que cette situation est grave et inacceptable.
    Tout est fait pour décourager de porter plainte.

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  10. Pascal83 Pascal83

    Je confirme pour ma part qu’il est très difficile de porter plainte pour ces faits, comme pour d’autres, dans les commissariats de Marseille.
    Pour des faits similaires, j’avais essuyé un refus dans la mesure ou l’on m’avait rétorqué (au commissariat du 8e) que pour déposer plainte il aurait fallu qu’un officier de police judiciaire soit présent au moment des faits …
    Je me suis alors passé des policiers et j’ai écrit directement une lettre au procureur de la république qui a fait suivre.

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  11. Michel JOUVE Michel JOUVE

    “Nous avons des affaires bien plus graves à traiter” pose la question de la confusion entre urgent et grave. Je pense que les fonctionnaires de police ont le souci de la sécurité des citoyens mais le danger n’étant plus immédiat et aux vues des circonstances, la probabilité de résolution quasi nulle (merci la culture du chiffre), le “plus grave à traiter” peut s’interpréter “avec les moyens humains et matériels que l’on a, l’énergie qu’il nous reste, on ne va pas perdre ce temps là”. Sauf que, dans cette histoire, la même personne est victime 2 fois à minima de mépris, celui de son agresseur et celui de l’administration qui est sensée la défendre. Même si un corps entier d’état se tortille pour éviter de perdre la face, aller au bout de la démarche sera un bénéfice pour toutes et tous, car désormais dans l’équation moyens/énergie disponibles entre en considération l’écho dans les réseaux sociaux, nouvelle fuite potentielle d’énergie et de moyens que l’administration doit se fader. Ce n’est pas le chemin d’accès le plus noble pour arriver à sortir de la culture du viol, mais si c’est efficace !

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