[Aix à l’Ouest] Réveiller le village des Figons
À Aix, l'urbanisation va vers l'Ouest. Passés les grands ensembles du Jas de Bouffan, de nouveaux immeubles de standing transforment le paysage. Au fil des étés dans le village de sa famille, notre journaliste Clara Martot Bacry a vu la bascule du rural au périurbain. Dans ce deuxième épisode, elle interroge les bouleversements silencieux de son hameau, les Figons.
Place du village des Figons, en juillet 2023 (Photo : CMB)
Après des siècles et des siècles en Algérie, une décennie en France et un nombre inconnu d’adresses, la famille Bacry s’est sédentarisée aux Figons en 1968. Je pensais que c’était vieux. Je n’avais jamais imaginé que dans d’autres maisons du village, les gens étaient “chez eux” depuis bien plus longtemps. C’est plus facile de remarquer les petits derniers, ceux qui construisent des maisons et remplissent le nouveau parking. Et moi qui parle, je viens tous les étés mais je n’ai jamais vécu là. En-dehors de notre bout de terre je ne connais rien, rien, rien des Figons !
L’entrée du village se détache de la route départementale au niveau de l’arrêt de bus, juste avant d’arriver à Éguilles. On traverse une allée de platanes et la mémoire la plus ancienne des lieux se trouve au bout de la place. C’est l’église. Précisons qu’en 55 ans et trois générations, aucun Bacry n’y a jamais mis les pieds. On ne sait même pas si elle est vraiment ouverte. Sur internet, je lis qu’elle a été construite au XVIIe siècle. En parlant avec une source informée du village, j’apprends qu’une vieille lignée, une autre famille B., vit aux Figons depuis tout ce temps. Certains ont fini par partir. D’autres les remplacent parce qu’ils trouvent ici la promesse d’une vie au vert, à quinze minutes d’Aix-en-Provence.
Toc, toc. Un salarié d’Orange doit passer par là pour installer la fibre du voisin. Boum, boum. Les fêtes des nouvelles maisons brisent le silence de la nuit. Entre les pins et les cyprès, entre l’avant et l’après Covid, des cubes de béton blanc percés de grandes fenêtres ont poussé dans les champs. Bonne ou mauvaise nouvelle ?
Palmiers dans le SUV
Ce jour-là, je suis seule dans le jardin. Pour la première fois, ma grand-mère est “remontée” par crainte de la canicule de l’été. “Aix, c’est comme être au fond d’une cuvette !” Le village est comme vidé. En passant devant certaines maisons, on entend les cris des enfants et les plongeons dans les piscines. En une heure, on croise un homme au volant d’une voiture de luxe. Une femme qui descend du bus avec un sac réfrigéré. Un SUV avec deux palmiers qui dépassent du coffre. Un chat.
Seule Bernadette traine au soleil dans sa longue tunique blanche. Elle étend son linge devant sa porte d’entrée, en haut du noyau villageois, et regarde les voitures passer. C’est ici que “ça bombarde”. Dans l’étroite rue principale, les gens doivent manœuvrer en marche arrière quand ils se croisent. “C’est un sacré changement, toutes ces voitures. Mais ça fait 23 ans que je suis là, et je me suis toujours sentie bien.” Bernadette est locataire de sa toute petite maison. Ancienne couturière, elle a toujours fait les ménages chez ses voisins. Aujourd’hui à la retraite, elle continue à “bricoler des trucs” pour se faire un complément de revenus. Elle ne connait pas les familles d’en bas comme nous : “C’est les quartiers nord, ici !”
Femmes de ménage, aides à domicile, ouvriers et jardiniers sont les petites mains invisibles des Figons. J’en rencontre une autre qui me déroule les portraits de ses 23 clients du village : chef anesthésiste, ingénieur nucléaire, commerçant, informaticien, responsable de pharmacie. “On est sur un statut social élevé. Pas n’importe qui, tu vois ? Mais pas du genre à le montrer non plus. Plutôt discret…” Comme mon interlocuteur. Je m’assois avec un paysagiste qui me raconte les fantasmes de ses clients, des choses qui paraissent si simples, “mettre des lauriers et des lavandes à côté… Mais ça n’a rien à voir !” Il en connaît, des gens qui ont abandonné l’idée d’avoir un gazon vert quand ils ont reçu leur facture d’eau.
En parlant de prix. On m’en a murmuré des gros. Un ancien intermittent du spectacle a revendu sa modeste maison à 500 000 euros et derrière, la famille a déboursé un million pour ajouter deux étages et tout reprendre en béton blanc. Du chemin de la colline, je vois un ancien champ abandonné qui dévoile une autre maison, elle aussi plus haute et plus blanche que son ancêtre. Sur la place du lavoir, un homme chez qui Bernadette faisait le ménage a fait construire une extension pour sa fille. Dans le coin, les maisons sans jardin se négocieraient au demi-million.
La ville aux extrémités
Les Figons, une enclave rurale entourée de béton. Mon paradis. La seule portion de la route d’Éguilles qui n’a pas encore été refaite. Après 55 ans de Bacry ici, qu’est-ce qu’il reste ? Beaucoup de choses, quand même. Sur la place des platanes, l’eau coule encore dans le vieux lavoir. Dans le cœur du hameau, l’étroitesse de la rue principale ne cède pas au défilé des camions de chantiers. Vers le chemin de la colline près de chez nous, des parcelles inconstructibles et des bouts de pinède accueillent toujours des cochons sauvages.
Ce qui a changé ? D’abord un grand parking collé à la départementale. Ensuite un encombrement permanent de l’allée de platanes, de la place du lavoir, de la rue principale. Au sud du village, près de la route de Berre, un cabaret déjanté qui s’appelait La Figonette a été remplacé par un restaurant sympathique mais cher qui s’appelle le Méli-Mélo. Les voitures s’accumulent là aussi. Juste à côté, le Set Club réserve désormais sa piscine à ses adhérents, et tout Aix s’y retrouve pour jouer au golf.
Le cœur du village reste un nœud de maisons et de petites allées en terre. C’est aux deux extrémités qu’on sent la ville se rapprocher. Je pratique surtout l’entrée nord, côté gros parking et hameau villageois. “En moins de dix minutes, tu es sur la route d’Éguilles mais tu as l’impression d’être aux États-Unis dans une série ! Tu veux du pain frais, des légumes, une pharmacie, même du liquide de cigarette électronique… Tu te gares devant l’entrée d’une zone commerciale et tu repars. Zéro bouchon, zéro feu rouge.”
Ma grand-mère ne pratique plus que l’entrée sud. “Le village ? Il y a trop de voitures ! Tu dois toujours faire une marche arrière dans la descente pour les laisser passer. Alors qu’en bas, on peut se croiser. Et tu as vu que sur la route de Berre, ils ont créé un petit Casino, et une zone commerçante avec du poisson frais et un traiteur italien ? C’est formidable.” Puis après quoi nos regards se perdent dans le jardin. “Tu te rends compte, il n’y avait rien ! Mais rien !” Au printemps 68, un grand terrain vierge à labourer. On plante des rosiers, des oliviers, des pins, un cèdre. Et des cyprès, beaucoup de cyprès, parce que la mairie distribuait des plants gratuitement. “Tu as vu comme ils sont hauts ?”
Hyper dortoir
“Les Figons, cela reste les Figons parce qu’il y a des gens qui veillent sur le hameau”, confie un habitant qui ne souhaite pas être nommé. Implanté là en 1975 et après un mandat dans l’opposition municipale à Éguilles, notre homme s’est investi dans une association de voisins. Elles sont une poignée aujourd’hui à se partager la salle communale du village. Il sait, via un ancien contrôleur des impôts qui a lui aussi son association (de défense des Figons), que des promoteurs immobiliers ont plusieurs fois tenté des projets de lotissements dans le coin. “Les quelques constructions individuelles qui sont acceptées ne représentent rien par rapport aux risques qu’on a encourus. On est privilégiés. On reste une zone verte.”
L’observateur ne fait plus de politique. Dans les années 80, il était le typique néo-rural avec sa carte du Parti socialiste et des adversaires “souvent propriétaires terriens, qui s’intéressaient surtout à la commission chasse”. Puis depuis 1995, la “dynastie” s’est imposée : Robert Dagorne, le maire LR actuel, prépare son fils (et 6e adjoint) à lui succéder.
Claire fréquente aussi la salle communale des Figons. Sa famille est au village depuis au moins quatre générations, elle a décidé d’y revenir à ses 30 ans. Parce que l’opportunité de construire sa maison s’est présentée. Le projet qui l’anime aujourd’hui est arrivé après : une association de pilates et de pratiques sportives douces. “C’est un prétexte pour créer une vie. Les Figons, c’est hyper dortoir. Et vu qu’il n’y a aucun commerce, on ne connait pas ses voisins.”
Notre trentenaire est très motivée. Elle vient d’organiser un tournoi de pétanque sur la place du lavoir le jour de la Saint-Alexis, pour faire comme à l’époque que son grand-père lui a racontée. Au printemps, un carnaval intergénérationnel a eu lieu sous les platanes. À la rentrée, elle animera avec d’autres le Forum d’associations des Figons, pour la deuxième année consécutive. Claire me raconte un visage des Figons que je ne connais pas. Je crois que notre maison est un refuge duquel on a du mal à sortir. Déjà qu’on a du mal à y aller.
Quel privilège. En 55 ans de Bacry, d’avoir tous gravi les escaliers de la maison. Sauté au-dessus du lavoir. Imaginé des histoires improbables dans les buissons. Donné des noms aux arbres. Est-ce qu’il est toujours debout, celui-là ? Pourquoi le chien n’aboie plus ? Qu’est-ce qui fait craquer les feuilles la nuit ? Il y a vraiment des serpents dans le ruisseau ? Les meilleures questions viennent des souvenirs d’enfants. “Faudrait qu’on vienne plus souvent…”
Commentaires
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Très belle prose mais vous ne comprenez rien aux Figons comme vous dites.
Pour commencer avez-vous demandé aux habitants si ils voulaient qui vous révéliez à tout le monde où se trouve leur hameau si bien caché ? Vous dites qu’il y a trop de passage mais votre article vas juste en attirer d’autres.
Nous aimons notre refuge et nous ne voulons pas de touristes en manque d’authentique, comme vous.
Combien de temps avez-vous passé ici pour juger de ses habitants ?
Je vous invite à venir en juillet prochain au repas donné chez Mme Arnoux et organisé par tous et pour tous les habitants du hameau mais pas pour venir chercher de quoi vendre des lignes, pour comprendre l’âme de ce magnifique endroit que vous ne connaissez pas.
Et la prochaine fois que vous manquez d’inspiration, allez la chercher autrement qu’ne faisant intrusion chez les gens.
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La voiture rouge en couverture de l’article est de très mauvais goût et ne reflète en rien l’esprit du hameau. Une Porsche à la mode ? Mieux aurait valu un vélo !
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Si j’ai bien compté cala fait 55 ans que cette famille s’est installée aux Fins. Et vous?
Je suis marseillais et je comprends de mieux en mieux pourquoi j’exhecre les aixois et la faune circum.
Au fait: doit-on en déduire que vous n’êtes jamais sortie des Figons pour visiter ces petits coins charmants du vaste monde et leurs petits restaus dont on se communique l’adresse entre initiés. Bof,rien que de très ordinaire en 2023.
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Il est fort probable qu’il y ait plus de Porsche que de vélos dans le coin, mais faisons comme si on était des bobos concernés par le réchauffement climatique.
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FERRARI, c’est une FERRARI sur la photographie faut pas confondre les gars, j’a la même.
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Ferrari California. La même qu’au point de deal de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).
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