[Aix à l’Ouest] Le long de la route d’Éguilles, le monde d’après
À Aix, l'urbanisation va vers l'Ouest. Passés les grands ensembles du Jas de Bouffan, de nouveaux immeubles de standing transforment le paysage. Au fil des étés dans le village de sa famille, notre journaliste Clara Martot Bacry a vu la bascule du rural au périurbain. Dans ce premier épisode, elle embarque non plus en autocar, mais en bus, le long de la route d'Éguilles.
Le long de la route d'Eguilles, des immeubles à "taille humaine" façonnent une nouvelle zone périrurbaine. (Photo : CMB)
Dans le monde d’après, la route d’Éguilles est bordée de trottoirs et ses nouvelles résidences peuplent les annonces immobilières de catégorie “standing Aix Ouest”. Des lauriers roses et des lavandes habillent les terre-pleins. Ils sont tellement propres. Comme les murs des immeubles, le béton brûlant, les abribus, la peinture des passages piétons, des pistes cyclables et des places de stationnement. Hier, une route sur laquelle toute ma famille, moi la dernière, a appris à conduire à 90 km/h : “Accélère, c’est la campagne ici !” Aujourd’hui, une voie péri-rurbaine, qui n’a jamais rien eu de particulier mais a le mérite d’être devenue si impeccable, si organisée, si praticable. Si attractive. Et quand je remonte la route, j’ai toujours un peu l’impression de remonter le temps.
Comme tous les étés depuis ma naissance, le périple commence à Paris gare de Lyon et le Sud commence à la gare routière d’Aix. Les cars et les bus s’y succèdent selon un plan logistique secret et infernal. Pour atteindre la maison de ma grand-mère maternelle, on a troqué le premier pour le second. Les dépliants des horaires de cars dorment toujours dans les tiroirs du meuble de l’entrée. Depuis que ce dernier a passé le relais à la ligne 26 d’Aix en bus, on se renseigne sur lepilote.fr. Mais le sort des horaires n’a pas vraiment changé : aléatoire.
“How much is it for a taxi to Puy-Sainte-Réparade ?” Face au Pasino, le soleil monte dans le ciel en cette journée caniculaire et inquiète trois touristes en provenance de Mongolie. C’est ici, sur la petite annexe de la gare routière que le bus 26 atteint son terminus. Comme une bonne partie de la ville, le secteur a fait l’objet ces dernières années d’importants travaux. Les quais sont neufs, les routes sont neuves, la voie qui permet aux bus de faire leur demi-tour est neuve. Qui se souvient des vieux quais avec leurs plantes accrochées aux grillages ? Le bus 26 s’élance avenue de l’Europe. Refaite aussi. On aperçoit la poche populaire d’Encagnane. Sur la place du marché devant le Super U, des messieurs retraités s’assoient toute la journée et toute l’année sur des bancs de béton. Neufs aussi, et aveuglants sous le cagnard.
Saint-Mitre et les vieilles maisons
Le bus 26 de 9h24 est presque vide. Notre conducteur estime que “c’est une ligne tranquille” sur laquelle “il n’y a jamais de surprise”. Un étudiant en sciences politiques descend devant la Maison de l’Europe pour son stage. Nous longeons le parc Saint-Mitre. Sa beauté en fait l’un des deux seuls lieux où toutes les couches sociales du coin se croisent. Le deuxième, c’est le Géant Casino du Jas de Bouffan. Là, une mère de famille monte avec son caddie et ses deux enfants. C’est la zone tampon. Après elle, la route d’Éguilles est une succession de lots immobiliers. Année après année, ils sont venus remplacer les vieilles bâtisses et leurs entrées en ferraille rouillée devant lesquelles on déboulait en voiture.
On peut parler de l’ancien numéro 1095. Il y a dix ans, la petite maison a vu pousser un premier immeuble face à elle. C’est toujours joli : on compte deux ou trois étages au maximum, on peint les murs en beige ou en terracotta, on met des balcons à tout le monde. En face, l’occupant de la petite maison s’en va. En 2019, les herbes folles couvrent l’entrée. En 2020, un espace de vente annonce le programme Millésime : 32 appartements, du T1 au T4. En 2021, le chantier accélère. Puis en 2022, on déplace l’entrée dans la rue qui fait l’angle, on créé des trottoirs et les gens commencent à arriver.
Si on ne veut pas que Aix figure un jour dans le palmarès des villes moches, il faut agir !
Extrait du blog “Vivre à Brédasque”
Entre Saint-Mitre et le Pey-Blanc, deux kilomètres et la même histoire qui se répète plusieurs fois. Devant l’ancien numéro 1200, deux nouvelles résidences ont poussé. Dans leur dos, c’est tout un nouveau quartier qui est sorti de terre en quelques années : Brédasque. Non sans poser des problèmes de nuisances, d’usages et de stationnements, comme cela est documenté bataille après bataille dans un blog de quartier nommé “Vivre à Brédasque” : “bruits, dégradations, abus de toute nature, nous avons vécu une année 2021 détestable !” ; “Si on ne veut pas que Aix figure un jour dans le palmarès des villes moches, il faut agir !” ; “Je me suis demandé ce que Cézanne penserait, si il pouvait voir ce que devient sa ville !”, peut-on y lire.
Le bus avance. Numéro 2155 : un hangar désaffecté a laissé place à une résidence jaune clair protégée derrière une barrière en bois. 2462 : un champ d’herbes sèches a vu pousser une flopée de maisons individuelles. 2628 : un autre bout de terre vient d’accueillir le “Hameau de Victoria”. La chaussée abîmée, les petites routes de campagne, l’arbre fatigué recouvert de lierre et tout ce que la route d’Éguilles avait connu a été métamorphosé en l’espace de trois ans. Une vie urbaine ordinaire s’offre aux nouveaux occupants. Ils cohabitent toujours avec quelques vieilles bâtisses, mais certaines sont placardées de permis construire.
Télétravail pour CSP+++
Toute cette nouveauté est salutaire pour ceux qui ne peuvent pas s’aligner sur les monstrueux loyers du centre-ville, mais tiennent à leur cadre de vie. C’est dans ce coin que Catherine Serr a monté son agence immobilière, en lieu et place d’un ancien car wash. En 2001, l’ouverture de la gare TGV d’Aix-en-Provence offre un boost inédit au marché. En 2008, Catherine Serr arrive. “Le secteur Aix Ouest a un immense avantage sur les autres quartiers périphériques. D’un côté, on est les mieux reliés à la gare, à l’aéroport et au littoral. De l’autre, on est presque encore dans la nature car les environs d’Éguilles sont très boisés et offrent une vue en hauteur. En clair, on est près de tout, mais on n’est pas au milieu des autoroutes, contrairement à Aix Sud”, déroule la professionnelle.
Chez Catherine Serr, on va trouver dans le secteur un petit deux-pièces à 237 000 euros. Ou un T3 à 365 000 euros. C’est beaucoup, mais c’est finalement proche des prix moyens sur Aix-en-Provence. Avec la terrasse et la tranquillité. Dans ce cadre idéal, on a construit quelques résidences services pour seniors. Par ailleurs, les plus gros projets immobiliers contiennent 25% de logements sociaux. Mais cela ne concerne pas la route d’Éguilles à proprement parler. “Le schéma ici, c’est de transformer un terrain qui comprenait une ou deux maisons en petits lots immobiliers collectifs, adaptés aux familles de classe moyenne et aux jeunes cadres”, analyse Jean-Louis Gauvin, secrétaire général de Devenir, une association aixoise d’architectes et urbanistes.
Dans l’arrière-pays, c’est moins vrai. “Au moment du Covid et du développement du télétravail, on a vu un afflux. Mais avec l’inflation et la hausse des crédits, le profil des acheteurs est moins diversifié aujourd’hui. On s’est resserré sur les CSP+++”, précise Catherine Serr. Qui énumère : beaucoup de Parisiens, “vraiment beaucoup”, des expatriés qui reviennent en France, “par exemple une famille de Singapour, une autre de New York”, des cadres ou des PDG “qui peuvent travailler d’ici ou font les trajets la semaine”, des résidences secondaires… Je sens bien que ce qui se joue là me concerne de moins en moins. Résultat : “Le prix des maisons a augmenté de 15 ou 20% et ça énerve les locaux”.
Bohème chic
“C’est sûr que c’est pas des pauvres qui viennent !” Un peu plus loin, juste avant le village d’Éguilles, les fameux locaux se ravitaillent dans un Intermarché planté sur la route. Notre homme est lui-même responsable de magasin. Il habite à Ventabren, petite commune d’Aix Ouest qui connaît le même sort que notre route à nous. “Avant, c’était que des champs, maintenant, il y a des immeubles partout.” J’ajoute mon grain de sel : “Avant, l’Intermarché n’en n’était pas un, et le vieux monsieur qui était à la caisse avait des oies et des poules dans l’arrière-cour, et on me racontait que les oies mordaient les mollets des enfants ! Aujourd’hui, c’est plus pareil…” La liste des évolutions pourrait continuer pendant des heures.
Sur le chemin d’Éguilles, la piscine qui organisait des soirées chicha a été remplacée par un lieu “bohème chic”.
Mais il y a des exemples particulièrement savoureux. Derrière notre Intermarché, un lieu, plus que les autres, incarne ce changement d’époque. Avant le Covid (qui a entraîné le télétravail, qui a entraîné l’afflux des gens ici), une piscine privée du chemin d’Éguilles organisait modestement des soirées chicha. Depuis, elle a été reprise par deux Aixois trentenaires qui l’ont transformée en concept “bohème chic”. Le Domaine d’Aix, c’est son nom. Et comme dans tous les endroits du genre, on paye son transat ou son “bed” plus cher. Et plus on est proches de la piscine, plus on paye.
“On devait remettre du standing pour casser l’image des anciens gérants, avec eux c’était plutôt ambiance mecs de quartier”, explicite Jérémy, à l’accueil dans son cabanon. “Ils se sont pris une fermeture administrative après des histoires, des bagarres… On a voulu redorer l’établissement. Avant la chicha, ici, c’était la piscine du Tennispart, et tous les Aixois connaissaient !” En plus de la piscine, le Domaine d’Aix sert des plats chics le midi et le soir et organise deux “soirées blanches” durant l’été. Désormais, il y a des videurs à l’entrée pour vérifier que “n’importe qui ne rentre pas”.
Léo explique qu’on croise ici les fameux locaux (ceux qui n’ont pas leur propre piscine), des commerciaux en pause déjeuner, quelques touristes. “Pour cette saison, on a installé les couverts dans le grand barnum. On voulait une terrasse en dur, mais la voisine nous a embêtés avec notre permis de construire. Elle se plaint du bruit.” Bloqué, le permis ! Mais qui sait ? La prochaine fois, l’entrée de la voisine sera peut-être placardée d’un panneau immobilier.
Pour ma famille, la route s’arrête au village des Figons, un bout de campagne provençale qui porte les marqueurs d’un bouleversement silencieux. Deux SUV qui se croisent. Une maison de pierres recouverte de ciment blanc. Des cochons sauvages qui descendent de la pinède. Et pour tout ça, il me faudra poursuivre à pied.
Commentaires
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J’aime beaucoup ce reportage témoignage.
Peut-être parce que j’ai moi même vécu ce type de bouleversements paysagiers et sociaux du côté de Cabries, Bouc Bel Air, Simiane…
J’y ai vecu 15 ans, quand j’y repasse j’ai du mal à reconnaître.
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Pareil sur Léa vieille route de Berre entre Aix et La Fare. Une jolie route de campagne, devenue méconnaissable.
Même technique à Istres : les vieux pavillons sont abattus, remplacés par des cubes sans âme. Et petit à petit, les gens partent et leurs maisons sont rasées. Ils rasent aussi les jardins, comme ça c’est irrespirable.
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Ils ne rasent pas,ils vendent cher aux promoteurs la parcelle et ils partent ensuite .
Ahhhhh! Les sous,les,sous,les sous.
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Très bel article, C’est quoi le blanc périscope tentaculaire sur la photo ?
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Bonjour ! Il s’agit d’une borne électrique pour les bus.
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Intéressant de connaître l’évolution des permis de construire délivrés durant la dernière municipalité Maryse Joissains par Alexandre Gallese adjoint à l’urbanisme.
Sinon les premiers bénéficiaires de la spéculation sont les propriétaires Aixois de ces vieilles bâtisses vendues à des promoteurs rapaces.
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La fuite en avant de la bétonnisation recommence, comme dans les années 60/70.
D’un côté, pour des raisons bureaucratiques et électoralistes, l’État impose aux communes de construire des logements sociaux n’importe comment et n’importe où pour tenir les quotas, avec l’accord d’élus locaux qui y trouvent leur compte. Voir l’ exemple de Marseille et de la rivalité entre l’adjointe à l’urbanisme que le maire a virée car elle voulait justement faire de … l’urbanisme et la grande prêtresse des quartiers Nord qui veut continuer à bétonner son secteur .
D’un autre côté la spéculation immobilière qui a repris de plus belle avec la complicité de municipalités comme Aix, qui veulent mettre à profit la métropolisation notre territoire et la course vers le soleil des cadres et autres couches aisées .
Il est question d’une loi interdisant l’aggravation de l’artificialisation des sols, à laquelle s’oppose le Sénat ( qui représente les élus locaux). J’espère que cette loi ne sera pas, comme beaucoup en matière d’écologie, qu’une coquille vide et qu’elle s’appliquera avant qu’il ne soit trop tard, car les promoteurs vont se dépêcher…
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Environnement : la majorité souhaite assouplir les critères de non-artificialisation des sols https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/environnement-la-majorite-souhaite-assouplir-les-criteres-de-non-artificialisation-des-sols_5817779.html#xtor=CS2-765-%5Bautres%5D-
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André , je ne sais si nous parlons de la même personne, mais lors d’une réunion publique à Marseille , madame Chaboche pérorait sur le fait que les gens qui construisaient des “pavillons” ( terme purement parisien) étaient des égoistes et qu’il fallait densifier beaucoup plus les villes. Elle n’a pas proposé de limiter le surface vitale par habitant , ainsi un 100 m2 pour un seul occupant serait proscrit , mais moins une. Alors densification et écologie ? .
Quelle différence entre l’utilitarisme des années 60/70 et la densification des soit disants “verts”?
Le problème de ces gens gens là , ils oublient le social au profit du sociétal
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Je ne dirais que les gens qui construisent des pavillons sont des “égoïstes” (on reconnaît là le style rugueux et quelque peu caricatural de Mme Chaboche, au sujet duquel j’avais d’ailleurs formulé des critiques), ces personnes sont simplement prises dans un système. Cependant, le pavilon genère l’étalement urbain qui, lui-même, entraîne l’utilisation de la voiture au détriment des TC, favorise la construction de centres commerciaux dévoreurs de terres agricole à la grande périphérie des villes, demande toujours plus de routes, etc
Plus de villes, plus de campagnes, de l’entre deux sans vie sociale … l’Amérique! Sauf qu’aux EU, a côté de leurs villes-flaques, ils ont toujours beaucoup de place. Pas nous!
D’où l’idée de construire la ville sur la ville avec une certaine densification. La densification urbaine avait déja bien commencé à Marseille avec Gaudin (voir toutes les opérations “Nexity” du côté de la Joliette et du bd National, Docks Libres et autres). Toutefois, ce choix nécessite absolument de développer des équipements publics suffisants ( et coûteux) ce que n’a pas fait Gaudin et ne fera pas Payan.
On aura donc les deux si on continue comme ça, des villes étalées à l’infini dans la campagne et des centres villes étouffants, l’ensemble vidé de toute vie sociale. L’Amérique du Middle West ou de Los Angeles….
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Ci-après, un article de France Info concernant le phénomène des lotissements.
Crise du logement : comment le pavillon, une “passion française”, va devoir se réinventer pour ne pas disparaître https://www.francetvinfo.fr/economie/pouvoir-achat/logement/crise-du-logement-comment-le-pavillon-une-passion-francaise-va-devoir-se-reinventer-pour-ne-pas-disparaitre_5877806.html#xtor=CS2-765-%5Bautres%5D-
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On peut voir la densification comme écologique, mais en termes de qualité de vie c’est difficile à tenir. Une alternative intéressante consiste à revitaliser la france périphérique: les sous-préfectures, petites villes et villages…
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quelle horreur la condescendance et le classisme racisme du Jérémy qui se vante du standing de son bar piscine… A gerber !
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le monde d’aprés est à gerber
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