Voyage en Alcazarie : une brève histoire du lieu

J’avais lu que l’Alcazar était chargé d’histoire et je le découvre riche d’histoires. On m’avait dit que c’était un lieu au passé glorieux et je suis saisi par la richesse de son présent, prenant tous les instants volés comme des présents. Mais j’entends déjà les plaintes. Comment ? Nous voyageons avec lui par procuration depuis trois mois et il ne nous a toujours rien dit des origines de ce pays ? Comment ? Il n’inscrit pas ses chroniques dans le temps long et préfère succomber à l’instantanéité post-moderne ? Et que fait-il des fantômes du passé, des traces d’hier et de leurs effets prolongés ? Je pressens aussi les réticences des blasés. Arrête ! On la connaît par cœur, l’histoire de l’Alcazar. Tu ne vas pas nous refaire le coup d’Yves Montand. Il a fait son temps celui-là. À quoi répondent les plus ignorants : Ah bon, Yves Montand est né à Marseille ? Et l’y vit encore ? … Mais non, l’est mort et l’était de Toscane, l’Ivo Livi.

D’où vient donc cette médiathèque dont on dit qu’elle est la plus grande de France hors Paris (mieux que Lyon : ouf !) : 11 000 mètres carrés ouverts au public et 1 700 places assises, ce n’est pas rien en effet. Conçu par les architectes Adrien Fainssilber et Didier Rogeon, le bâtiment est, je cite le site, “recouvert d’un plaquage de marbre de Carrare blanc pris entre des panneaux de verre semi-translucides. Et le fronton offre une touche de nostalgie parfaitement intégrée à une construction utile et actuelle fort appréciée des habitants de Marseille”.

Le passé ! Le passé ! relancent les lecteurs pressés. Ce bâtiment a en effet une longue histoire puisque l’Alcazar lyrique a ouvert ses portes le 10 octobre 1857, offrant une salle de 2 000 places à un public que l’on disait impitoyable. Son décor en fantaisie mauresque est une référence à l’Alhambra de Grenade. Les événements se sont ensuite succédés : incendie en 1873 à la fin d’une représentation ; reprise en café-concert de “conservatoire” de la pantomime ; rénovation en 1889 avec la “création d’une entrée mythique” de style Art Nouveau ; présentation des « Revues marseillaises » de 1890 à 1914 avec jongleurs, danseurs de claquettes, acrobates et funambules ; music-hall dans les années 1920 et 1930 avec la présence de, de, de… d’Yves Montand, heureux gagnant d’un concours de chant amateur ; cinéma en 1931 ; faillite déclarée en 1964 et dernière séance de cinéma le 9 août 1966 (Pour qui sonne le glas !) ; rachat par un marchand de meubles et de valises en 1966 ; incendie des sous-sols en 1969. Finalement, les salles seront détruites en 1979 et divers projets s’ébaucheront – ensemble commercial, salle des ventes, salle d’expositions – jusqu’à l’option médiathèque avec pose de la première pierre en mars 2000 et ouverture au public le 30 mars 2004. Quelles traces restent aujourd’hui de ce passé flamboyant ? Où sont les jongleurs de livres et les acrobates de rayonnages ? Quels chanteurs de mots mettent encore le feu au public ? Y a-t-il toujours des porteurs de valises et quels livres contiennent-elles ?

“L’histoire n’est pas une pêche au filet ; l’historien ne lance pas son chalut au hasard, pour voir s’il prendra des poissons, et lesquels. On ne trouve jamais la réponse à des questions qu’on ne s’est pas posées”, écrit Antoine Prost dans Douze leçons sur l’Histoire.