VOUS PRENDREZ BIEN UNE SEMOP ?

Billet de blog
le 14 Juil 2023
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VOUS PRENDREZ BIEN UNE SEMOP ?
VOUS PRENDREZ BIEN UNE SEMOP ?

VOUS PRENDREZ BIEN UNE SEMOP ?

Observations sur le rapport relatif à une « Assistance à Maîtrise d’Ouvrage pour le choix d’un mode de création, rénovation et/ou de gestion d’équipements d’importance de la Ville de Marseille » présenté aux élus en janvier 2023 par quatre cabinets-conseils, dont en particulier Finance Consult, spécialiste des montages complexes envisagés par les collectivités.

Par Clément

Ce rapport porte sur la réalisation de plusieurs équipements distincts :

– La piscine de Luminy et la piscine Nord, qui sont des équipements fermés depuis plus de 10 ans, et qu’il s’agit de reconstruire en les transformant en « centres aquatiques » ;
– Une piscine nouvelle « classique » dans le 2/3, à construire près du parc de Bougainville ;
– La piscine de la Castellane (16ème arrondissement) et la piscine de Frais-Vallon (13ème arrondissement), disposant de bassins couverts de 25 m, à rénover.
Un projet d’Arena (salle de spectacle polyvalente de 15 000 places) est également étudié mais ne fera pas l’objet de remarques dans cette note.

Le rapport comporte :
– d’une part une étude des coûts et de l’économie globale de ces opérations ;
– d’autre part sur les modalités juridiques et les procédures de réalisation et de gestion susceptibles d’être mises en œuvre (Régie, concession, SEMOP).

N.B. Il y a quinze ans, en 2008, la précédente municipalité avait envisagé de réaliser un grand centre aquatique (non précisément localisé) en ayant recours le cas échéant à un PPP. Une évaluation préalable (sur le mode classique des évaluations relatives aux PPP) avait alors été réalisée sur la base d’un équipement de 16 000 m2 environ (auquel s’ajoutaient des espaces « valorisés » de bureaux, restaurant) d’un coût de réalisation de 43,8 M€ HT pour un coût net pour la ville de 6,3 M€ par an. Aucune suite n’avait été donnée à ce projet.

Remarques sur l’étude des coûts et l’économie globale.

L’étude des coûts repose sur des « études techniques et financières » non annexées au document et non précisées. L’absence d’hypothèses économiques, de coûts standards au m2 et un benchmark très succinct ne permettent pas d’étayer sérieusement les chiffres présentés.

Dans tous les cas de figure, les coûts de financement, de réalisation et d’exploitation ne tiennent pas compte des différents modes de gestion. La seule différenciation porte sur la rémunération des actionnaires, supposée globalement inférieure dans une SEMOP comparativement à une concession. L’incidence fiscale (assujettissement ou non à la TVA) est évoquée, mais non chiffrée.

Piscines de proximité (Castellane et Frais Vallon)

Celles-ci devraient en tout état de cause demeurer en gestion en régie.

Le coût net annuel moyen d’une piscine de proximité (hors investissement) est évalué entre 670 et 850 K€ (sur la base du coût de la piscine de Bonneveine, dont les coûts ne sont pas connus au-delà de 2018). Les recettes sont actuellement inférieures à 50 K€. L’évolution des coûts de l’énergie (140 K€ par an gaz + électricité) pèsent lourdement sur les coûts de fonctionnement et leur évolution est aléatoire dans la conjoncture actuelle. Le rapport estime, de façon plutôt optimiste, qu’il est envisageable de réduire ces coûts de 20 %.

Piscine Nord et Piscine Luminy

La piscine Nord est la plus coûteuse, du fait de choix tarifaires et de profil de fréquentation. Pour un investissement évalué à 31,6 M€ pour 1 200 m2 de surface utile (hors terrains de foot), les coûts d’exploitation s’élèvent à 2,212 M€/an. Le coût pour la Ville (incluant l’amortissement et les frais financiers pour 2,242 M€) s’élève à 3,5 M€. Les recettes s’élèvent à 997 K€ (186 000 usagers).
La piscine Luminy est estimée plus rentable, du fait d’un profil de fréquentation différent. Pour un investissement évalué à 42,66 M€ pour 3 000 m2 (estimés ?) de surface utile (hors terrains de foot), les coûts d’exploitation s’élèvent à 3,387 M€/an. Le coût pour la Ville (incluant l’amortissement et les frais financiers pour 3,027 M€) s’élève à 3,2 M€. Les recettes s’élèvent à 3,157 K€ (218 000 usagers).

Ces chiffres appellent de nombreuses réserves.

Les coûts du site de Luminy semblent systématiquement biaisés par rapport à ceux du site Nord. Les coûts au m2 sont incohérents (26000 contre 14 000) ; Les coûts d’exploitation ressortent à 7 % du montant de l’investissement pour le site Nord contre 7,8 % pour ceux du site de Luminy. Ces chiffres, trop généraux pour qu’une appréciation puisse être portée avec précision, semblent globalement sous-estimés pour des équipements aussi complexes. Les piscines sont des équipements fragiles, énergivores, délicats à entretenir. La leçon de la piscine Vallier a-t-elle été entendue ? En outre, aucune projection contenant des scénarios d’évolution du coût de l’énergie, point clef d’un tel projet, n’est présentée (A part le tableau présentant les gains possibles en économies d’énergie sur Castellane et Frais Vallon)
Mais ce sont surtout les recettes qui font la différence : elles sont estimées à plus du triple pour Luminy, alors que de nombreuses incertitudes pèsent sur l’attractivité du site pour une clientèle lointaine et supposée « haut de gamme ». Les tarifs de 30 et 40 € pour les espaces « détente » et « fitness » sans parler des abonnements qui s’élèvent jusqu’à 800 € (on va concurrencer le cercle des nageurs…) à qui s’adressent-ils ?. Trouvera -t-on réellement 25 000 usagers pour ces services coûteux et lointains ?
Pour la piscine Nord, c’est le concept même de centre aquatique « à plusieurs vitesses » qui paraît douteux. La clientèle « de base » qui paiera 5 euros va côtoyer les « privilégiés » qui vont payer 12 ou 18 euros pour se retrouver « entre eux ». Quand aux abonnements, qui vont de 240 à 540 euros, à qui sont-ils destinés ? De même pour les « locations de terrains » censées rapporter 362 K€ par an ? Les recettes « de base » (bassin de natation) ne représentent que 30 % du chiffre d’affaires escompté (contre 45 %, paradoxalement, à Luminy dont le tarif de base 7€ est plus élevé).

Piscine du 2/3

Elle présente un profil plus classique, et elle est traitée sommairement dans le rapport. Aucun des sites retenus ne semble parfaitement convenir. Les coûts sont difficiles à comparer, du fait du peu d’éléments fournis. Les recettes sont faibles : 54 K€ hors scolaires (soit 10 800 entrées à 5 €), un peu plus que les piscines présentées comme « type » (Bonneveine) pour un coût annuel total de 1,8 M€ pour la ville

Benchmarking

Il se résume à une présentation sommaire de l’équipement de Bordeaux, au coût d’investissement très supérieur, aux tarifs inférieurs et qui ne fonctionne que depuis moins d’un an, donc sans retour d’expérience.

Valorisation

Le rapport présente des scénarios de valorisation du foncier adjacent aux projets, sous forme de logements ou de bureaux. C’est une pratique qui rappelle celle des PPP. On verra ci-dessous qu’il n’est pas évident qu’elle puisse être mise en œuvre dans le cas du choix d’une SEMOP comme opérateur. De plus, la mise au point d’une telle valorisation est complexe et laborieuse, et pèse lourd en termes de délais.

Cadrage du mode de réalisation et de gestion

Le rapport présente différentes hypothèses de travail avec des modes de gestion et d’allotissement différenciés.
Il privilégie le recours à un marché global de performance pour Castellane et Frais Vallon.
Pour les autres (Nord, Luminy et 2/3) il préconise le recours à une concession, plutôt unique pour les trois sites, sous réserve de faisabilité budgétaire.
Mais l’originalité du rapport est de préconiser le recours à une SEMOP comme opérateur de la concession.

L’objet d’une SEMOP est défini par l’article L. 1541-1.-I de la loi du 1er juillet 2014 :
La société d’économie mixte à opération unique est constituée, pour une durée limitée, à titre exclusif en vue de la conclusion et de l’exécution d’un contrat avec la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales dont l’objet unique est :
1° Soit la réalisation d’une opération de construction, de développement du logement ou d’aménagement ;
2° Soit la gestion d’un service public pouvant inclure la construction des ouvrages ou l’acquisition des biens nécessaires au service ;
3° Soit toute autre opération d’intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales.

Cet objet unique ne peut être modifié pendant toute la durée du contrat.

Une SEMOP n’est pas un contrat de la commande publique ni une concession ; le choix de l’actionnaire privé s’effectue cependant via une procédure déjà connue et pratiquée pour l’attribution de contrats de service public. Elle dépendra de la nature du contrat attribué à la SEMOP : délégation de service public, marché public, concession d’aménagement… En matière de contrats, la SEMOP relève donc intégralement du droit commun. La SEMOP aura recours à des contrats qui pourront ou non relever de la commande publique (en fonction de son actionnariat majoritaire) pour réaliser son objet.

Elle est, au sens européen, un PPPI (Partenariat Public Privé Institutionnel).

Qu’est-ce à dire ?

La Commission européenne, avait admis en 2008 l’hypothèse de l’attribution libre d’un contrat public à une structure au sein de laquelle le partenaire privé serait sélectionné au terme d’une mise en concurrence (supprimant ainsi la nécessité d’une mise en concurrence « en cascade »). Mais elle insistait alors sur l’importance d’un véritable partenariat avec l’opérateur privé. La Cour de justice de l’Union européenne admettait, peu de temps après, l’attribution directe d’un service public à une société à capital mixte au sein de laquelle l’associé privé était sélectionné sur appel d’offres. C’est une interprétation large de la notion de « in house ».

La loi de 2014 relative aux SEMOP a consacré cette notion en droit français.
La SEMOP est comme son nom l’indique dédiée à une opération unique. Une interprétation large de cette définition permet d’estimer que la réalisation d’un ensemble de parcs nautiques maillant un territoire est conforme à cette définition.

Mais qu’en est-il des opérations de « valorisation foncière » contenues dans le document de présentation ? Si les textes relatifs aux PPP autorisaient et encadraient de telles possibilités, qu’en est il du cas d’une SEMOP ?

Dans le cas d’espèce, la SEMOP envisagée relève du 2ème alinéa de l’article de loi ci-dessus (les alinéas sont exclusifs les uns des autres) sauf à considérer que le projet de SEMOP relève de l’alinéa 3. Il paraît alors difficile de considérer que l’adjonction d’opération de valorisation foncière incluant des logements préserve la qualité d’opération d’intérêt général. Le rapport est d’ailleurs muet sur ce sujet, se contentant de chiffrer des possibilités…

Plus généralement, la SEMOP a fait l’objet de critiques dont certaines rejoignent celles faites aux PPP, mais d’autres portent sur les potentiels conflits d’intérêt au sein de la SEMOP entre la collectivité – Maître d’ouvrage et l’opérateur privé co-actionnaire.

Celui-ci se retrouve « juge et partie » et aura naturellement tendance à privilégier ses intérêts financiers en cas de problème. Ceci est bien entendu aggravé au cas, prévu, où l’opérateur privé est majoritaire au capital de la SEMOP.

Merci à Bernard Mounier d’avoir dès 2017 dans son blog de Médiapart pointé du doigt les risques associés à ce montage. Les passages les plus significatif de son billet sont reproduits ci-dessous :

Une maîtrise publique en trompe-l’œil et la participation minoritaire de la collectivité à la filiale d’une société privée destinée à distribuer des dividendes maximums dans l’opacité.
Les SEMOP n’ont d’intérêt pour les opérateurs privés qu’au cas où elles en assument le contrôle. La SEMOP devient donc une filiale de cette société privée, qui bénéficie des remontées de dividendes masquées dues à son ingénierie financière et des pratiques de « mutualisation » avec leur groupe, selon des clés de répartition analytiques. Elle est comprise dans son périmètre de consolidation. Cependant la présence d’un élu de la collectivité à la présidence non exécutive, alors que cette collectivité est minoritaire, est présentée fallacieusement comme une preuve de maîtrise. Peu importe alors qu’on ait précédemment excipé de l’incapacité de savoir et de savoir-faire rendant la création d’une régie impossible.
D’ailleurs, comme toutes les sociétés commerciales les SEMOP ont pour objectif de produire des dividendes élevés pour leurs actionnaires. Cette clause implique que la collectivité publique intègre la recherche du profit maximum dans une opération d’intérêt général financée par des usagers, ce qui est contraire à ses objectifs.
En outre, le secret industriel et commercial s’applique à l’ensemble des éléments de gestion, sous réserve des documents à publier au registre du commerce. Les élus, les fonctionnaires, les experts qui, éventuellement, procèderaient à des opérations d’audit, seraient obligés de garder le silence. Cette disposition s’oppose clairement au contrôle des citoyens, comme on peut le constater dans l’ensemble des gestions public-privé.

Une confusion d’intérêts public-privé lourde de dangers légaux

Malgré quelques garanties légales concernant les conséquences civiles pour les élus actionnaires d’une gestion fautives de la SEMOP, il reste qu’une société concessionnaire n’est ainsi définie qu’en cas de transfert du risque d’exploitation de la collectivité vers elle. En ce sens, la responsabilité de la totalité des actionnaires, dont les élus siégeant au CA, pourrait être recherchée.
Mais aussi, dans la situation où le contrat de concession ne serait pas respecté par la SEMOP, en cas d’inaction de la collectivité, le préfet pourrait l’attaquer devant le tribunal administratif ainsi que tout citoyen ayant intérêt à agir.

Un développement favorisé par l’État

Néanmoins, actuellement les SEMOP, ont le vent en poupe, puisqu’après Dole et Chartres, où elles fonctionnent déjà, des délibérations en ce sens ont été prises à Sète, La Seyne et au SIIAP. Plus de 25 sont en gestation selon des sources professionnelles. Le gouvernement les favorise dans le contexte du changement d’échelle des compétences, en mettant à la disposition des projets l’ingénierie et les ressources financières de la Caisse des dépôts. Cette intervention de la puissance financière de la Caisse est paradoxale dans la mesure où les SEMOP sont présentées comme devant pallier l’impécuniosité de l’État et les difficultés d’emprunter.

Y a-t-il un avantage financier à recourir à une SEMOP plutôt qu’à une concession ?

Le rapport estime que l’avantage réside dans le moindre « appétit » de la collectivité et des investisseurs publics pour les dividendes.

Il estime que les taux de rémunération attendus par les différents acteurs sont les suivants :
– Opérateur privé : 10 %
– Collectivité : 1%
– Partenaires publics (Caisse des Dépôts, ANRU…) : 1 %
– Prêteurs : 4,5 %

Le résultat estimé est que pour un investissement de 80 M€, le gain pour la collectivité sur 25 ans est de 8,2 M€.
Ce résultat est sujet à caution en particulier du fait que les taux attendus par exemple par la CdC sont nettement plus élevés, qu’ils soient actionnaires ou prêteurs.

Calendrier

Un argument majeur en faveur du recours à la SEMOP serait le raccourcissement des délais qu’il permettrait. Sans véritable surprise, les calendriers présentés dans le rapport font état de dates de livraison entre mai (projet 2/3) et novembre 2026 (projet Luminy). Juste à temps pour les élections… Mais ce calendrier, outre qu’il est peu réaliste (durée des travaux, pour des équipements complexes, de 14 à 18 mois) est déjà totalement dépassé, puisqu’il débute en … février 2023 !

Conclusion

L’absence d’éléments détaillés à l’appui du chiffrage des coûts ne permet pas de valider ceux-ci. Les éléments fiscaux sont évoqués mais non pris en compte, et les éléments d’actualisation des coûts sur la durée inexistants. Il s’agit donc d’une évaluation très sommaire insuffisante pour être la base d’un dossier de consultation. Par ailleurs les hypothèses de fréquentation sont peu cohérentes, et l’élargissement du champ d’activité de la SEMOP à des activités de valorisation du foncier est juridiquement contestable.

Le choix de réaliser des « centres aquatiques » destinés en partie à un public aisé au moyen d’une SEMOP est paradoxal alors que l’urgence est de construire des piscines pour l’apprentissage de la natation par les petits marseillais. Il n’a de sens que pour attirer un opérateur privé, en espérant limiter les coûts pour la collectivité. Malheureusement les expériences passées de centres aquatiques (au premier chef Aquaboulevard à Paris) montrent que les espoirs de rentabilité s’évanouissent rapidement. Si aucune piscine n’a été réalisée en PPP, malgré de nombreuses études menées dans ce sens, c’est que les risques et les coûts d’exploitation liées à ce type d’équipement sont rédhibitoires pour la plupart des opérateurs privés.

Le service public a un coût, il faut s’y résoudre.

Commentaires

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  1. toto toto

    Merci pour cette analyse !

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