Repenser la place de Marseille dans l’espace méditerranéen
UNE VILLE MÉDITERRANÉENNE
Pour poursuivre la réflexion engagée il y a quelques semaines sur la place de Marseille dans le monde méditerranéen, interrogeons-nous, aujourd’hui, sur ce qu’est une ville méditerranéenne et sur la façon dont Marseille s’inscrit dans ce champ
L’urbanité méditerranéenne
Le monde méditerranéen est un monde de villes : les villes ont toujours structuré cet espace, il y a toujours eu une culture urbaine dans la Méditerranée. Mais que quoi est faire ce que l’on peut appeler l’urbanité méditerranéenne ? Lisons ce qu’écrit Braudel, à ce sujet, dans son livre fondamental, publié en 1949 après avoir été entrepris en 1923 et travaillé de longues années, en particulier en captivité pendant la guerre de 1939-1945, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II : « Si prestigieuses soient-elles », écrit Braudel[1], « les villes de Méditerranée sont comme toutes les autres, soumises aux mêmes régularités. Comme ailleurs, elles vivent d’une prise sur l’espace par leurs faisceaux de routes, leurs ruptures de charge, leurs adaptations successives, leurs évolutions lentes ou brusques. Ruches, elles essaiment au loin, très loin. Voici un Ragusain au Potosi, un autre à Diu, et des milliers dispersés de par le monde. Un proverbe veut, et il n’a pas tort, qu’il y ait toujours un Florentin en n’importe quel point de l’univers. Voici un Marseillais en Transylvanie, des vénitiens à Ormuz, des Génois au Brésil… ».C’est que les villes méditerranéennes fondent leur urbanité sur la mer, c’est-à-dire sur le voyage, sur la circulation, sur l’échange. Les villes du monde méditerranéen sont en même temps des ports ou, en tout cas, s’il ne s’agit pas toujours de ports, ces villes vivent près de ports et leur économe s’inscrit dans une économie de la mer. Le réseau de villes qui fonde, ainsi, la métropole de Marseille, vit de la mer, soit que les villes qui en font partie se situent sur le littoral soit que leur activité, leurs métiers, leurs emplois, leur économie, vive de la mer même indirectement.
Une urbanité de voyages et d’échanges
L’urbanité de la mer est une urbanité de circulation, de voyages, d’échanges. C’est une urbanité de déplacements, de parcours, de flux de populations. Peut-être finalement, si l’on réfléchit bien, ce qui est conçu aujourd’hui comme un problème majeur de la Méditerranée, la migrance, est-elle, en réalité, un des éléments fondateurs de l’espace méditerranéen, de l’identité méditerranéenne. La migrance a plusieurs significations. Si elle est liée, aujourd’hui, à une forme de fuite, car les migrants sont souvent, aujourd’hui, ceux qui fuient le pays où ils sont nés, car il est devenu un pays invivable pour des raisons politiques, comme la Syrie, elle a été liée, à d’autres époques, à la recherche d’emplois dans des pays plus riches que celui des migrants qui leur offraient des raisons d’espérer une vie meilleure – voire une vie tout court. Mais la migrance désigne, finalement, une forme d’identité. Un migrant est quelqu’un qui se déplace, qui quitte son pays, sa langue, sa culture, ses amis, à la recherche d’un autre pays, d’un autre espace de vie et d’activité, d’un autre espace de relations sociales et de travail, un espace, surtout, dans lequel son identité soit pleinement reconnue, mieux qu’elle ne l’est dans le pays où il est né et où il vivait jusqu’à se rendre compte que son identité n’est pas reconnue, est déniée, refusée, dans ce pays. Si les villes de la Méditerranée sont des villes de voyages et d’échanges, c’est qu’il s’agit de villes de migrance : habiter une ville méditerranéenne consiste peut-être à habiter une ville de relations à l’autre. Les villes méditerranéennes sont des villes ouvertes à la rencontre de l’autre.
La ville est un espace d’ouverture à l’autre
Sans doute peut-on aller plus loin : si l’urbanité constitue un mode majeur de structuration de l’identité méditerranéenne, c’est aussi parce que, d’une manière générale, c’est la ville qui est un espace fondé sur l’ouverture à l’autre. L’espace méditerranéen est un espace de villes parce que la ville est l’espace de l’ouverture et de la circulation, l’espace de l’échange et de la relation à l’autre. D’abord, la ville st un espace de commerce. Or, le commerce se fonde justement sur l’échange. Marseille est bien une ville dont l’économie a toujours été fondée sur le port, c’est-à-dire sur une culture de l’échange. Par ailleurs, la ville est un espace de culture, se spectacles, d’information : c’est dans la ville que se montrent les spectacles et les expositions, c’est dans la ville que les livres et les journaux sont publiés, et, avec eux, justement, le savoir sur l’autre. Enfin, si, comme toutes les villes méditerranéennes, Marseille est ainsi fondée sur l’ouverture à l’autre, cela s’inscrit dans le récit mythique de sa naissance, puisque Marseille est, nous dit-on, fondée sur l’arrivée de Protis de Phocée, en Asie mineure et sur son union avec Gyptis.
[1]La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe Ii(1949), Paris, Armand Colin, 1966, deux vol. (588 et 628 p.), bibl., ind., t. 1, p. 286.
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