Numérisation de l'économie

Un Amazon local, sauveur des centre-villes des Bouches-du-Rhône ?

Billet de blog
par Le Sonar
le 28 Mar 2018
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Les petits commerces sont-ils voués à être détruits par le numérique ? La fédération Commerce en 13, constituée depuis l’automne dernier, s’est alliée avec des start-ups pour prouver le contraire. Ensemble, ils ont l’ambition de redynamiser les centres des villes des Bouches-du-Rhône avec une application commerciale, une sorte d’Amazon des petits commerces.

Un Amazon local,  sauveur des centre-villes des Bouches-du-Rhône ?
Un Amazon local, sauveur des centre-villes des Bouches-du-Rhône ?

Un Amazon local, sauveur des centre-villes des Bouches-du-Rhône ?

Au milieu de la rue de Rome, à l’angle d’une seconde artère de la ville, Sophie Toye prépare les ordonnances de ses clients. Il est 17h30 passé. Heure de la sortie du travail. Et pourtant, il n’y a que trois clients. Voilà dix ans que la Marseillaise tient sa pharmacie. Des clients, elle en a vu, mais en une décennie, la fréquentation a baissé. « Il y a moins de monde qu’avant. C’est un peu la faute du tram ». La commerçante ne remet pas en cause la construction du tramway, mais elle constate qu’il a réduit la fréquentation des trottoirs : « Avant les gens passaient à pied dans la rue. S’ils avaient besoin de quelque chose ils s’arrêtaient dans une boutique. Aujourd’hui, ils prennent le tram, descendent à l’arrêt le plus proche de leur logement et font leurs courses à proximité ». L’air pensif, la pharmacienne explique que les transports en commun ne sont pas la seule explication à la désertification du centre-ville. « Il y a Amazon », lâche-t-elle. La plateforme de commerce en ligne est un concurrent sérieux pour les professionnels du commerce.

 

Alors, comme Sophie Toye, bien d’autres commerçants regardent les rideaux des boutiques se baisser définitivement. Combien de boutiquiers ont jeté l’éponge rue de la République ? Combien ont fui la rue Saint-Ferréol ? Ils ne les comptent plus. Les commerçants des autres rues voient leur clientèle se réduire avec impuissance. Mais aujourd’hui ils ont décidé d’agir et ils s’unissent pour être plus combatifs.

 

Une application couteau suisse

 

Leur projet phare : le passage collectif au numérique pour les commerces, déjà baptisé informellement “l’Amazon des petits commerces”. L’enjeu, proposer les mêmes services que les grandes plateformes en ligne, comme le précise Audrey Lucchinacci, gérante d’un salon de coiffure à Marseille : “l’idée n’est pas de créer quelque chose qui n’existe pas, mais de reprendre pour les petits commerces un système qui marche dans la grande distribution.

 

Quand il s’agit d’évoquer les fonctionnalités de l’application, l’enthousiasme gagne ceux qui travaillent sur le projet, qu’il s’agisse d’Audrey Lucchinacci, de Nadia Makhloufi, propriétaire d’une boulangerie dans le 13ème arrondissement, ou de Christophe Szabo, directeur de la start up Zabox.

 

Le fond de la question, c’est trouver comment intéresser le client, le garder, recréer le rythme de vie où on va dans le centre-ville pour se balader”, indique Nadia Makhloufi. Pour cela, plusieurs services : la géolocalisation des commerces par produit et par service, comme sur Google Maps, “avec en plus les promotions des commerçants et un système de fidélisation”, promet Audrey Lucchinacci. Également proposées, la commande des produits et leur livraison. “Ce sera un couteau suisse, abonde Christophe Szabo, les commerçants pourront mettre en place une série de services et choisiront ce qui leur convient.

 

“Est-ce que c’est intelligent de vivre les problèmes chacun de son côté ?”

 

L’idée d’un tel dispositif naît d’un constat partagé par les professionnels de la vente actifs dans les associations ou syndicats de la profession. D’un côté, des réunions de commerçants qui tournent souvent en boucle, avec les mêmes questions toujours abordées et jamais résolues : “Dans les réunions avec Monique Cordier, l’adjointe à la propreté, par exemple, à chaque fois c’est pareil : ça finit toujours par tourner autour du problème de la collecte des cartons”, raconte Audrey Lucchinacci, qui y assiste en tant que présidente d’une association de commerçants et vice-présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises des Bouches-du-Rhône (CPME 13). De l’autre, des initiatives, comme la French Tech et les programmes d’attractivité des territoires, auxquels les commerçants assistent sans avoir l’impression d’en être partie prenante.

 

Au-delà, ils voient également une urgence à agir, comme l’explique encore Audrey Lucchinacci : “On me dit que le centre-ville, ça va, mais quand j’y vais, je vois beaucoup de rideaux baissés. Quand je me rend au tribunal de commerce, il y a beaucoup d’affaires de liquidation ou de redressement pour des commerces. Il y a des commerçants qui y laissent leur maison.” Elle s’interroge : “Est-ce que c’est intelligent de vivre les problèmes chacun de son côté ?” La réponse est vite trouvée, c’est non. Les commerçants, encouragés par la CPME 13, décident de fédérer les associations de commerçants au sein d’une nouvelle structure : la fédération Commerce en 13. La démarche fait boule de neige : la fédération réunit aujourd’hui déjà 46 associations, qui vont de l’l’ACAM (Association des Commerçants et Artisans de Marseille) à l’association de défense des commerçants de Belsunce, en passant par des associations de zones commerciales comme Plan de Campagne. Elle représente plus de 2100 personnes venant de tout le département.

 

Le projet numérique se concrétise lorsque les représentants de Commerce en 13 et la French Tech (ensemble des start-ups) Aix-Marseille officialisent leur travail commun sur ce projet. La French Tech ouvre alors à la fédération son répertoire de start-ups. Les commerçants en identifient cinq qui développent déjà des services proches de leurs besoins concrets et immédiats. Parmi elles, par exemple, Flash2connect, qui développe une géolocalisation commerciale : un flashcode sur les publicités permet d’identifier les revendeurs d’un produit les plus proches. Ou encore Zabox, qui met en place un système de boîtes à colis intelligentes, destinées aux particuliers et professionnels. Une fois rencontrées, les start-ups acceptent de se lancer dans l’aventure.

 

Une solution numérique pour contenter plus de 2000 commerçants

 

Maintenant que l’idée est trouvée, les commerçants voient la solution à leurs problèmes se concrétiser et s’autorisent à imaginer l’idéal pour leur usage personnel de l’application. Sophie Toye, par exemple, espère que l’”Amazon local” lui permettra de créer un site marchand pour vendre des produits de parapharmacie. Elle a déjà son propre site internet depuis quatre ans, mais pour elle, le côté commercial de cette vitrine numérique manque.

 

Comme elle, ils sont plus de 2 000 à avoir des attentes précises pour cette application. La difficulté d’une telle collaboration est peut-être là : réussir à répertorier toutes ces attentes, à y répondre simplement sans les décevoir, et répartir le travail entre les cinq start-ups. Pour cela, les commerçants et leurs alliés du numérique ont dû peaufiner leur organisation. “La première étape, c’était d’arriver à bien se comprendre entre commerçants et start-ups, parce que les deux parties ne parlent pas le même langage. Mais une fois que c’est fait, que les start-ups comprennent qu’elles sont là en tant qu’outil, ça se passe bien”, explique Nadia Makhloufi. Le groupe de travail fonctionne selon plusieurs cercles, à partir des besoins remontés par les présidents des associations membres. Audrey Lucchinacci et Nadia Makhloufi cotoient le plus restreint, celui qui, de l’avis de la dernière, “se voit tout le temps. Il y a à la fois des commerçants et des start-ups, pour que l’on se comprenne”, ajoute-t-elle.

 

“Je suis nulle en informatique, donc c’est ça qui est intéressant : pouvoir faciliter la relation entre informatique et commerçants.”

 

Sophie Toye explique : “On est très bien accompagnés par les start-ups.” Il est vrai que sur la question informatique, pour les commerces, le travail est parfois considérable. Audrey Lucchinacci souligne un point : de nombreux commerçants n’ont pas encore d’adresse mail. La fédération travaille à un partenariat avec le grossiste Métro pour doter tous les commerçants d’au moins une adresse et un site web : “avant de faire une application, il faut déjà que tout le monde existe sur le web.

 

Nadia Makhloufi, boulangère dans le 13ème arrondissement de Marseille / Photographie - Raphaëlle DenisNadia Makhloufi, boulangère dans le 13ème arrondissement de Marseille / photographie – Raphaëlle Denis

 

 

La question délicate du calendrier

 

Si tous les soucis d’ordre technique, comme la détermination des fonctions de l’application, ont enfin réussi à mettre tout le monde d’accord, il reste encore un détail qui n’est pas des moindres et fait du bruit : l’échéance du projet.

Ce travail collectif, “c’est un grand moment”, pour Nadia Makhloufi. Mais tout n’est pas encore calé. Quand ils parlent de l’état d’avancement du projet et du lancement d’une première version de l’application, il y a désaccord entre les membres du groupe. “Nous sommes très avancés”, se réjouit Nadia Makhloufi. Elle voit la sortie de l’application finalisée avant l’été. La présidente de la fédération Audrey Lucchinacci et Christophe Szabo, eux, indiquent en être au recensement des besoins. Certains choix stratégiques doivent être arbitrés par les présidents d’associations. Audrey Lucchinacci espère cependant que l’échéance sera fin avril. Sophie Toye, de son côté, était moins optimiste et évoquait la fin de l’année. Pour l’instant personne ne se rejoint sur la date exacte, mais tous s’accordent à dire que ce sera pour 2018.

 

Avant un déploiement dans tout le département, l’application serait d’abord testée par un groupe de 500 commerçants du centre-ville et éventuellement de quelques noyaux villageois de Marseille. Audrey Lucchinacci explique la démarche : “Les commerçants sont prêts à payer pour l’accès au numérique, mais ils veulent d’abord être sûrs que cela fonctionne. Si notre solution est un succès sur un territoire, les autres suivront.” Pour l’instant, les start-ups travaillent gratuitement. Elles comptent sur le succès du test pour convaincre les commerces de s’abonner à un futur service payant, à l’échelle du département. La CPME 13 envisage également la piste de subventions publiques.

 

Bordeaux comme exemple

 

D’autres volets viennent se greffer au projet. Une dimension sociale, prolongeant des actions lancées par Nadia Makhloufi dans sa boulangerie : l’application recenserait des points de collecte chez les commerçants, de vêtements pour les SDF. Une dimension écologique aussi : une des start-ups investies, Green Flash, se spécialise dans la collecte des cartons ou des huiles usagées. Le projet numérique prend donc presque des accents de politique de la ville. Audrey Lucchinacci ne fait pas mystère que l’enjeu dépasse pour elle la simple question des commerces : “Les commerces de proximité concernent tout le monde : les commerçants, mais aussi les politiques et les citoyens. Une rue sans commerce, c’est une rue qui dépérit, qui devient moins agréable, moins sûre.

 

Ces idées qui émergent viennent des constats établis par les commerçants, mais aussi des discussions avec leurs collègues d’autres villes qui se sont déjà lancés dans des projets semblables. Le 9 avril prochain, elle recevra les présidents des fédérations de commerçants de Toulouse, de Montpellier et de Bordeaux. La démarche entreprise dans cette dernière ville semble être un modèle pour Commerce en 13 : “Aujourd’hui à Bordeaux, le centre-ville va bien, mais il faut se rappeler que ça n’a pas toujours été le cas. Pour arriver à la situation actuelle, les commerçants ont beaucoup travaillé. Et la ville s’est concertée avec eux pour tous les projets qui ont un impact sur le commerce.” Audrey Lucchinacci se rappelle d’époques plus fastes pour le centre-ville de Marseille : “nous, ce qu’on veut, c’est ça : rendre le plaisir d’acheter en centre-ville.

 

Raphaëlle Denis, Justine Lamard, Julie Le Mest, Andy Millet, Jonathan Roisin

Photo de Une : Andy Millet

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