Tragédie de la rue d’Aubagne à Noailles : comment en est-on arrivé là ?
A la mémoire de Fabien, Simona, Marie-Emmanuelle, Cherif, Niasse, Ouloume, Taher et Julien.
Tragédie de la rue d’Aubagne à Noailles : comment en est-on arrivé là ?
Depuis le 5 novembre, je suis en COLÈRE. Presqu’en permanence. Dès que je repense à ce lundi fatal (qui, en réalité, ne quitte plus mes pensées), quand j’ai reçu cette alerte concernant l’effondrement d’immeubles rue d’Aubagne, je suis en COLÈRE. Et ma COLÈRE n’a fait que croître, découvrant la « soirée chocolat » organisée à la mairie des 6e et 8e arrondissement de Marseille (maire de secteur : Yves Moraine) par une association tout juste née (en octobre), « Partage Amitié Fête », créée pour l’occasion par deux membres (la vice-présidente et le vice-trésorier) du CIQ de Callelongue, tous deux très engagés à droite, alors même que nos marin-pompiers sortaient les premiers cadavres des gravats, dans le quartier de Noailles… En COLÈRE en lisant que cette soirée ne pouvait être annulée, chose démentie plus tard, quand M. Moraine a reconnu qu’il aurait « certainement dû me poser la question de l’annulation, cela ne m’est pas venu »… En COLÉRE devant cette sorte de synthèse de la gestion municipale marseillaise : tout pour le paraître, pour l’entre soi, du copinage et une soirée entre gens du même monde, au point de ne pas se poser la question d’annuler par respect pour les premiers morts.
Fabien, Simona, Marie-Emmanuelle, Cherif, Niasse, Ouloume, Taher et Julien.
Vendredi, le journal Libération sortait un numéro spécial Marseille : « Au cœur de la colère ». Reprenant les chiffres du rapport de 2015 rendu par Christian Nicol, inspecteur général honoraire (40000 logements insalubres à Marseille concernant 100000 personnes), le journal donnait la parole à la Fondation Abbé Pierre. Voici synthétisées, les données du problème :
A Marseille, les familles pauvres habitent des immeubles insalubres du centre-ville et non des logements sociaux décents car l’offre est insuffisante. Le parc privé remplace alors le parc public.
C’est à ce moment qu’entrent en scène les propriétaires. Les locataires privés de logements sociaux sont littéralement une manne financière pour eux et leurs taudis trouvent rapidement preneur. Même quand lesdits propriétaires abusent d’un loyer extrêmement élevé.
Choqué par la tragédie de la rue d’Aubagne, je n’ai pu m’empêcher, les jours qui ont suivi le drame, d’en parler autour de moi, d’écouter l’avis des gens… Une dame, sans malveillance mais naïve, m’a répondu notamment : « Ça ne va peut-être pas vous plaire mais ce que je ne comprends pas c’est pourquoi les gens ne sont pas parti avant la catastrophe étant donné l’état de leur immeuble ». Je n’avais pas de réponse vraiment précise à lui donner si ce n’est celle-ci : « S’ils vivaient dans ces taudis, c’est qu’ils n’avaient pas d’autres choix ». Il est vrai que certains propriétaires (et non locataires) avec qui j’ai pu discuter en sont à choisir la couleur de peinture de leur balcon lors d’un ravalement ou la teinte du marbre utilisé lors de la rénovation du hall d’entrée de leur immeuble… Pour autant, l’émotion est forte et la plupart, s’ils ne peuvent comprendre (la fameuse fracture marseillaise), compatissent, voire s’indignent.
La réalité, la voici : comme l’explique Libération, ces appartements insalubres doivent trouver preneur auprès d’un public fragilisé (et privé de logements sociaux à cause de la politique – ou l’absence de politique – de la Ville). Dans cette optique, les propriétaires ne demandent ni bulletins de salaire, ni de garants, ni de contrats de travail en CDI etc. comme cela se pratique, hélas, dans le parc privé classique. Combien de fois ai-je entendu des gens, dans le 8e, évoquer devant moi leurs locataires en me disant : « Eux, ils sont bien, en CDI, beaux salaires, etc. ». Ceci étant, dans le 8e, au Lions Club comme chez les Francs-maçons marseillais, « ce sont souvent les plus riches qui rechignent à régler leurs cotisations » (sic)…
Dans une ville bien dirigée, ces locataires pauvres devraient avoir automatiquement accès à des logements sociaux ou, pour le loyer exorbitant qu’on les pousse à mettre dans des taudis, à des appartements où monsieur et madame tout-le-monde vivent habituellement.
Mais justement, comment ces ménages pauvres parviennent-ils à payer entre 700 et 800€ de loyer tout en vivant dans des taudis dont le m² revient souvent au double du prix pratiqué dans l’immobilier ? C’est à cet instant que nous basculons un peu plus dans l’ignoble : les propriétaires ne visant que la rentabilité (loyers élevés et travaux low cost), incluent dans le loyer réclamé l’allocation logement perçue par les locataires pauvres. En clair, non content de sucer le sang du locataire, ils pompent aussi l’argent public ! Parfois de la main à la main.
Par économie, les propriétaires, aussi indignes que leurs appartements, ne font effectuer que des travaux sommaires alors que certains immeubles marseillais ont parfois plus de 200 ans (mais où est passé M. Malrait, l’adjoint aux vieilles pierres ? Ah, sans doute trop occupé par ses propres travaux…). C’est là que la Ville ne fait pas (ou peu) son travail : lancer une procédure de travaux d’office, par exemple (Article L511-2 du Code de la construction et de l’habitation). Pourquoi ?
Peut-être parce que quand on creuse pour savoir qui sont ces propriétaires qui achètent à bas prix des taudis, on tombe, non pas sur le profil habituel du « marchand de sommeil » (genre le mec glauque, pas rasé, sale, le voyou pagnolesque) mais plutôt celui du notable. Ici, avocat. Ici, de droite (LR). Ici, proche de la Ville (l’un d’eux est un ami de Gaudin). Ou de la Métropole (le même travaillait pour Vassal). Ou de la Région (l’autre est l’avocat et ami de Muselier). Et les voilà qui démissionnent « afin d’éviter tout amalgame avec ma fonction d’élu » pour l’un et « afin d’éviter tout amalgame » entre son logement du 3e et les immeubles de la rue d’Aubagne, pour l’autre. Pas d’amalgame, donc. Mêmes notables, même camp. Même communication. Qui sera le ou la 3e ? Mais, pas d’inquiétude, comme l’expliquait un reportage incisif de France 2, les deux avocats “ont démissionné de leur fonction à la Région et à la Métropole. Mais pas de leur mandat de conseillers. Ils continueront donc à siéger. Et à toucher leurs indemnités”.
En clair, nous vivons dans une ville où la municipalité n’a que faire des pauvres (peu de logements sociaux), se repose sur le privé pour les loger, quel que soit le danger (insalubrité…) que courent ces familles ou les moyens (des loyers prohibitifs) que cela nécessite puisque ce parc insalubre (Noailles, la Belle de Mai, les quartiers Nord mais pas seulement) est tenu par des propriétaires (des notables : avocats, élus…) sans scrupules qui exploitent la misère humaine tout en étant, jusqu’à la tragédie du 5 novembre, protégés par leur statut.
Fabien, Simona, Marie-Emmanuelle, Cherif, Niasse, Ouloume, Taher et Julien.
Cela doit cesser. A l’heure où je termine ces lignes, il y a 183 immeubles et 1352 personnes évacués. Dont 1069 hébergés dans 28 hôtels de la ville.
Cela aurait dû cesser plus tôt, bien avant que Fabien, Simona, Marie-Emmanuelle, Cherif, Niasse, Ouloume, Taher et Julien ne meurent dans des conditions abominables, insoutenables. Un matin, votre maman vous dépose à l’école. Le soir, elle n’est pas à la sortie. Elle est morte à la maison, écrasée par son propre immeuble… Une abomination.
Et nous sommes toutes et tous responsables. Responsables d’avoir directement ou indirectement permis à la municipalité de Jean-Claude Gaudin de régner sur la Marseille pendant 23 ans. Moi le premier, même si je n’ai voté qu’une fois pour Gaudin, en 1995 (et celles et ceux qui ont voté pour lui jusqu’à aujourd’hui ont du sang sur le bulletin). Responsable car en croyant valoriser ma ville, j’ai indirectement soutenu des initiatives qui faisaient souffrir les plus pauvres. Je regardais monter les nouveaux bâtiments spectaculaires de l’avant-2013, les nouveaux musées, les hôtels, le nouveau Vieux-Port, les ravalements de façades… Je me laissais griser, charmer par les beaux parleurs du monde économique (qu’on entend plus aujourd’hui) ou architectural qui évoquaient des lendemains florissants. J’étais plus obsédé par la saleté de nos rues (mais, déjà, l’incompétence municipale et les relations troubles apparaissaient au grand jour) que par ceux qui vivaient dans l’insalubrité parce que, naïvement (et non idéologiquement), je ne voyais Marseille qu’à travers le prisme égotique (le « fier d’être marseillais ») de celles et ceux (hors de la ville) qui allaient la (re)découvrir avec 2600 ans de retard. Sans qu’on leur montre l’envers du décor. Je voyais déjà ces rentrées d’argent touristiques qui allaient alimenter les caisses municipales et permettre de relever la ville. Et forcément, aller aux plus démunis.
Fabien, Simona, Marie-Emmanuelle, Cherif, Niasse, Ouloume, Taher et Julien.
Ils n’ont certainement jamais pu se permettre d’aller ailleurs, ni en logement social (j’ai par exemple aidé administrativement un habitant de la Vieille Chapelle qui attend depuis 30 ans de quitter son studio trop vieux, trop petit… afin d’accéder à un logement social avec un appartement digne de ce nom. Il attend, attend toujours…), ni dans le parc locatif classique (où l’on demande 36 documents auxquels seuls des couples avec salaires conséquents et souvent un parent garant peuvent accéder). Ils sont restés là, dignes dans l’indignité, abandonné des propriétaires-notables, des syndics véreux et d’une municipalité dont la médiocrité et l’incompétence les ont conduits à la mort.
Ils sont morts debout, eux.
Fabien, Simona, Marie-Emmanuelle, Cherif, Niasse, Ouloume, Taher et Julien.
Marseille frémit, Marseille se réveille, Marseille commence à sortir de sa torpeur. Marseille est en colère. Faudra-t-il que NOUS allions chercher physiquement Jean-Claude Gaudin à la mairie pour l’y déloger physiquement, comme me l’a suggéré un habitant du 9e, pourtant riche, propriétaire de plusieurs appartement (qu’il habite, lui), de droite mais ulcéré par la déconfiture de la Ville, lui qui a connu, aimé et aidé les gens du camp du Grand Arénas, où il s’était lié d’amitié avec les plus pauvres ?
Non. Mais lui et les siens le mériteraient.
Pour Fabien, Simona, Marie-Emmanuelle, Cherif, Niasse, Ouloume, Taher et Julien. Et les 1000 autres évacués. Et les 100 000 marseillaises et marseillais, nos sœurs et nos frères.
Commentaires
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Merci pour ce texte de rage et de larmes.
Ce sont les miennes.
Ce sont celles des miens.
Tout le monde dit…I love Marseille. Mais pas ce Marseille qui écrase ses pauvres, ses jeunes, ses vieux sous les poutres et le gravats.
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