Tout feu tout flamme

Idées de sortie
le 14 Avr 2017
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Tout feu tout flamme
Tout feu tout flamme

Tout feu tout flamme

Installée en France depuis une quinzaine d’années, la plasticienne d’origine malgache Ambi, dont le travail s’inscrit dans la lignée de l’arte povera, a fait du feu son matériau de prédilection. Discussion autour de l’art contemporain et de… la pétanque.

On attend Ambi sur la terrasse du bar des Treize Coins, en plein cœur du Panier, en face de ce haut lieu de la pétanque, à la fois galerie et boutique, dans lequel sont exposées une dizaine de ses œuvres. Le car qui l’amène d’Aix-en-Provence est tombé en panne et c’est avec une heure de retard, un immense sourire aux lèvres, que la Franco-Malgache à la silhouette d’éternelle adolescente, dont seuls quelques longs cheveux blancs trahissent les trente-neuf ans, nous rejoint.

Ambi — de son vrai nom Ambi-nintsoa Andriankajarivelo — a grandi à Tananarive dans un milieu qu’elle décrit comme extrêmement conservateur. Etouffée par les carcans de la religion, omniprésente à Madagascar, et l’éducation quasi militaire qu’elle reçoit, son désir de liberté se fait pressant. Son sésame, c’est le bac. À l’instar de sa sœur aînée qui a effectué le trajet trois ans plus tôt, elle traverse les neuf mille kilomètres qui la séparent de l’Europe : « Pour moi, c’était une nécessité de partir, c’était vital. J’ai quitté mon pays avec 80 kilos de bagages et une valise de chaussures. Toute ma vie, quoi. Je me suis dit, si mes chaussures arrivent à bon port, j’arrive à bon port. »

Elle s’inscrit en arts plastiques avec l’intuition féroce que c’est la voie à suivre. Le premier cours à la fac est un choc : elle n’ose pas regarder le modèle nu. Le carambolage des cultures. On est à l’orée d’un nouveau siècle et pour la jeune africaine de 22 ans s’ensuit une longue période de doutes et d’errements. En troisième année, enfin, c’est le déclic : « Tout est parti de là, je me suis révélée. Il y avait beaucoup de choses qui sortaient sans que je comprenne pourquoi. J’ai constaté que mon travail s’articulait autour de traces. Je ressentais quelque chose en réitérant le même geste, sans que cela ne produise jamais le même résultat. » Elle sculpte des tampons dans des gommes et les applique sur des draps ou des rideaux récupérés dans les poubelles. La récup’ comme une évidence puisque « à Madagascar, tout se transforme, rien ne se jette », assène-t-elle. Elle fait d’ailleurs sienne cette phrase de Le Corbusier qui considère que « le grand art vit de moyens pauvres », ne s’imaginant pas créer quelque chose à partir d’un objet fini. Progressivement, le feu devient sa matière première. Une fascination héritée de son enfance à Mada où la culture sur brûlis est une pratique courante. Après le feu, les montagnes calcinées se métamorphosaient en de longs chemins sinueux noirs qui l’éblouissaient. De fait, ce qui intéresse la plasticienne aujourd’hui, ce n’est pas tant la combustion que les empreintes de son passage. Des marques qui sont autant de cicatrices d’un passé douloureux qu’elle tente ainsi d’exorciser, le feu se parant ici de vertus purificatrices plutôt que destructrices. Sa pratique artistique, Ambi l’envisage comme une ascèse. Elle travaille toujours de nuit, seule, dans un silence de plomb, mettant au point ses propres mélanges de colle et de solvants, à la limite de la dangerosité. Une étincelle du chalumeau suffit à provoquer l’embrasement : « J’essaie de dompter le feu, mais je n’y arrive pas vraiment, il y a une part qui m’échappe, c’est peut-être ce qui me nourrit… », avance-t-elle en guise d’explication. Le support qu’elle utilise est un papier fabriqué à partir de l’écorce d’havoa, un arbuste de la famille du mûrier qui possède la particularité de se régénérer quand on le coupe. Une utilisation toute symbolique quand on sait que, à Madagascar, la déforestation fait des ravages.

À la Maison de la Boule, les tableaux d’Ambi intriguent les visiteurs qui y collent parfois le nez pour sentir l’odeur de brûlé. Ici, le noir de fumée prend des airs de fines dentelles, là de délicats poinçons ou d’imprimés animaliers. Les cellules et autres formes circulaires font écho à sa seconde passion : la pétanque. Un milieu qu’elle décrit comme « un peu space » mais qu’elle connaît bien puisqu’elle est à la fois joueuse et arbitre. À ce titre, la proposition d’exposer dans l’antre de la boule bleue, le fabricant de boules de pétanque marseillais, l’a immédiatement séduite. Outre le fait de lui permettre de « faire son coming out » en réunissant deux univers qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer, il s’agissait aussi pour l’artiste de faire découvrir son travail à un public différent. Pari assurément réussi.

Emma Zucchi

Ambi – Madagascar champion du monde : jusqu’au 30/04 à la Maison de la Boule (4 Place des 13 Cantons, 2e). Rens. : 04 88 44 39 44 / http://maison-de-la-boule.com/

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