La Corderie (suite)

SIGNIFICATION DES VESTIGES DANS LA VILLE

Billet de blog
le 13 Août 2017
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Réfléchissons encore un peu, aujourd’hui, aux vestiges de la Corderie, à ce qu’ils représentent, pour les habitants du quartier, mais aussi à ce qu’ils signifient, pour la ville, pour sa politique, pour son économie. Pourquoi faut-il se battre pour conserver, dans l’espace urbain, ces traces du passé, ces ouvertures du présent sur un autre temps ?

LES TRACES

Le mot, d’abord, bien sûr – j’ai envie d’ajouter : comme d’habitude, parce que c’est comme cela que nous commençons toujours par réfléchir. C’est un mot latin dont nous ne connaissons pas l’origine, vestigare signifie suivre à la trace (c’est de ce mot que viennent le latin investigare et le français investigation), et vestigium, c’est la trace du pied. C’est intéressant, parce qu’on comprend mieux de quoi il s’agit. Après tout, les vestiges sont des traces du passé, en effet, et, par conséquent, c’est intéressant de comprendre quel est le passé de ce mot que nous employons. Les vestiges, ce sont donc les traces qu’ont laissées dans l’espace ceux qui y ont habité avant nous, et, en les suivant, en les parcourant, en les comprenant, nous pouvons mieux comprendre quelle est notre histoire, et nous pouvons mieux nous approprier l’espace que nous habitons en y reconnaissant notre culture. En suivant les traces des pas de ceux qui ont parcouru la ville avant nous, nous nous mettons mieux à même de découvrir et de nous approprier ce qui fonde, dans le temps, l’identité de la ville. En déambulant parmi les vestiges, nous ne nous contentons pas de vivre dans la ville, nous l’habitons pleinement, car nous y reconnaissons une part de notre identité – un peu quand nous feuilletons les vieux albums de photos de notre famille et que nous y reconnaissons des visages que nous avons connus ou que nous y découvrons des visages que nous n’avions jamais vus mais que nous finissons par reconnaître. Si nous prenons plaisir à feuilleter ces albums que nous avons déjà feuilletés, c’est comme quand nous nous promenons dans les vestiges : c’est parce qu’en regardant ces traces du passé que nous partageons avec ceux qui vivent avec nous, nous nous ancrons dans cette culture et dans cette identité.

VESTIGES ET PATRIMOINE : LES SIGNES DE LA VILLE

Finalement, à bien y réfléchir, les vestiges et le patrimoine, ce sont des parts de la ville, des espaces et des constructions qui ne servent à rien, ce sont des champs de la ville qui échappent à l’économie urbaine. Sans doute, d’ailleurs, est-ce justement pour cela que les promoteurs immobiliers et les pouvoirs urbains veulent s’en débarrasser, les jeter, les détruire, pour mettre à la place des constructions qui rapportent. Mais c’est justement parce qu’ils ne servent à rien qu’il importe de les conserver et de les protéger. Les vestiges et le patrimoine n’ont pas de fonction, précisément parce que ce sont des signes. Un de ceux qui ont le plus réfléchi sur les signes, Saussure, qui vivait à la fin du dix-neuvième siècle et qui enseignait la linguistique à Genève (peut-être est-ce en partie parce qu’il était suisse et que les Suisses, on le sait, n’ont pas une seule langue nationale, mais trois, ce qui les oblige à réfléchir à ce qu’est la langue), Saussure, donc, a expliqué que les signes sont arbitraires : cela veut dire qu’on sait d’où viennent les mots et les signes –c’est ce que l’on appelle l’étymologie – mais qu’il y a toujours un moment où on ne peut pas dire pourquoi ils expriment leur sens. Je sais ce que c’est qu’un pied, je sais même que le mot pied vient du latin pedem, d’accord, mais je ne peux pas dire pourquoi « pied » a ce sens. D’ailleurs, les anglais, pour désigner le pied, disent « foot », ce qui n’a rien à voir, et, pourtant, je le sais parce que je suis allé en Angleterre, les anglais ont les mêmes pieds que nous. Eh bien, les vestiges, ces traces que nous suivons dans l’espace urbain, c’est la même chose : comme ce sont des signes de notre passé et de notre culture, ils n’ont pas de fonction dans l’économie (sauf un peu, dans le tourisme, mais justement le tourisme est l’économie des pays pauvres, des pays qui n’ont pas d’activité économique, mais c’est une autre histoire – à laquelle Marseille, justement, devrait réfléchir, mais c’est un autre débat).

ÉCHAPPER AUX LOIS DU MARCHÉ

C’est justement la raison pour laquelle il importe que nous conservions ces vestiges, ceux de la Corderie comme les autres : c’est que ce sont un des quelques lieux de l’espace de la ville où nous pouvons nous réfugier hors de l’emprise du marché. Toute la ville est vendue aux agents immobiliers, aux promoteurs, à ceux qui se partagent l’espace urbain, avec la complicité des pouvoirs que nous avons pourtant élus, pour faire de l’argent avec les lieux de la ville, pour faire du profit avec les espaces urbains et avec le patrimoine urbain. Dans le débat en cours, les pouvoirs municipaux, en donnant le permis de construire, et, donc, dans le même temps, celui de démolir des parties des vestiges, mais aussi les pouvoirs de l’État avec le rôle qu’a décidé de se donner la D.R.A.C., la direction régionale des affaires culturelles, ont choisi leur camp : celui du profit et des marchands contre celui des habitants et de la culture. Une fois de plus, dans notre pays, le marché va peut-être gagner avec la complicité des politiques. Et, dans cette affaire, on se rend compte que tous les partis, la gauche, bien sûr, le P.C.F., le Front de gauche, les Verts, le P.S., mais même des élus comme la députée de la République en marche, ont décidé de se battre contre la braderie des vestiges à Vinci. C’est bien le signe qu’une fois de plus, le marché est contre la politique, parce qu’il ne cherche pas à faire du sens, mais à faire du profit. C’est ainsi tout l’enjeu de la lutte pour préserver la totalité des vestiges de la Corderie, le sens des manifestations de toute sorte qui ont eu lieu et qui vont de nouveau avoir lieu, c’est aussi l’enjeu de la décision que prendra le préfet des Bouches-du-Rhône, qui montrera, une fois de plus, de quel côté choisit d’être l’État : du côté du profit ou du côté de la culture. Nous revoilà, à Marseille, une fois de plus dans la même guerre que celle des indiens contre les Etats-Unis, celle de ceux qui vivent dans un espace contre ceux qui veulent s’en emparer pour le vendre. C’est pour cela qu’il faut s’engager : pour éviter que la ville ne soit confisquée par le marché, pour empêcher le profit d’être plus fort que les habitants, que ceux qui vivent là.

Commentaires

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  1. Magnaval Magnaval

    Note de blog très interessante mais qui pêche par un prolégomène totalement erroné.
    Sans le grand méchant marché et l’ignoble promoteur buveur du sang de petits enfants, ce terrain serait resté ce qu’il était, un square pouilleux à crottes de chiens et un terrain de boules privatisé par une clique de riverains. Riverains tellement soucieux de préserver les traces du passé que les derniers vestiges du mur d’enceinte de Louis XIV sont recouverts de traces beaucoup plus modernes de l’art urbain du 21e siècle.
    Et les vestiges grecs seraient restés à tout jamais invisibles, y compris des archéologues. Les vrais.

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