SI PARIS AVAIT LA CANEBIÈRE…
C’est une plaisanterie connue : « Si Paris avait la Canebière, Paris serait un petit Marseille ». Mais où en est la Canebière, aujourd’hui ?
Qu’est-ce que la Canebière ?
Tout commence par une affaire de cannabis, de chanvre : la Canebière se nomme ainsi parce cette artère a été implantée à l’endroit de champs où était travaillé le chanvre utilisé pour les cordages des bateaux. Rappelons-nous tout de même qu’il existe plusieurs chanvres, en particulier celui des cordages et le chanvre indien, le cannabis, comme on le nomme de nos jours, qui sert à autre chose. Cela signifie que la Canebière a toujours été une rue qui faisait le lien entre la ville et les bateaux, entre la ville et la mer. La Canebière a toujours été cette sorte de trait d’union entre la mer et le centre, entre la navigation et l’urbanité. Car celles et ceux qui travaillaient le chanvre à cet endroit n’étaient pas des marins, mais ils étaient ceux par qui la navigation devenait possible.
La gloire de la Canebière
Interrogeons-nous sur cette sorte d’orgueil dont témoigne la petite phrase citée au début de cette chronique. Si la Canebière a connu cette réputation, c’est qu’au moment de la grandeur de Marseille, au temps où elle était un grand port sur la Méditerranée, où les activités maritimes et commerciales rendaient la ville florissante, la Canebière était devenue le centre de la ville. Elle était devenue une rue le long de laquelle se trouvaient des immeubles, que l’on voit encore, dans lesquels étaient mises en œuvre des activités économiques, commerciales et financières liées à la navigation, mais, très vite, elle est devenue, aussi, un lieu de vie urbaine, où l’on faisait des rencontres, un lieu peuplé de cafés et de lieux de divertissement, bref : un lieu emblématique de la vie urbaine. La Canebière avait fini par devenir le cœur de la ville, le lieu qui disait l’identité marseillaise.
L’invasion par le commerce
Mais voilà : à partir d’un certain moment, les lieux de commerce ne se soucient plus de la ville, mais bien plutôt de leurs profits. La Canebière a, peu à peu, cessé d’être un véritable lieu de ville pour ne plus devenir qu’un lieu de trafics et de boutiques ordinaires, un lieu d’achats et de publicité, un lieu dans lequel les marseillaises et les marseillais ont fini par ne se rendre que pour faire leurs petites courses. Peu à peu, la culture a déserté la Canebière et, à part quelques exceptions qui demeurent, comme les témoignages d’un passé perdu, on a fini par ne plus y trouver que des vitrines, et encore des vitrines de plus en plus bas de gamme. Quand, peu à peu le commerce a délaissé le centre pour aller s’installer dans les périphéries et les centres commerciaux, seuls sont restés sur la Canebière des petits magasins proposant des produits de moins en moins distingués et de plus en plus ordinaires. La Canebière a connu la même évolution que les activités de commerce des centres des villes – on peut dire cela de Marseille comme des autres villes : le vrai commerce a disparu. C’est même à peine si, à quelques exceptions près, la Canebière est restée un lieu de rencontres, de plaisirs et de vie sociale. Ce ne sont plus les véritables échanges qui se déroulent sur la Canebière qui n’est plus envahie par le commerce, mais par la publicité.
Le déclin et la chute
Quand le « grand. commerce », le commerce haut de gamme a quitté la Canebière pour aller vers le Centre Bourse et, plus encore, vers les périphéries, la Canebière est devenue sale, mal entretenue, mal aménagée. Finalement, elle a trouvé un rôle nouveau dans l’urbanité marseillaise : elle est devenue socialement ce qu’elle était géographiquement : la frontière entre le Nord et le Sud de la ville. C’est autour de la Canebière que s’articulent les quartiers Nord et les quartiers Sud. Mais il s’agit bien d’une frontière, car sans doute cette artère n’est-elle que peu traversée, car les échanges entre le Nord et le Sud de Marseille finissent par être de plus en plus rares. En ce sens peut-on parler d’une chute de la Canebière. Au lieu d’être une frontière ouverte aux échanges, à la parole et aux relations, il s’agit de plus en plus d’une frontière étanche.
Le renouvellement et le projet
Pour que Marseille puisse retrouver « sa » Canebière qui fut son lieu pendant des années, il faut que le projet d’urbanisme qui pourra faire renaître la Canebière repose sur les échanges et, surtout, sur l’abolition de la frontière entre le Nord de la ville et son Sud. D’abord, il faut ouvrir la Canebière à de nouvelles activités : c’est ainsi, en particulier qu’il importe qu’il y soit proposé des activités culturelles. À cet égard, le renouvellement du cinéma des Variétés est une première étape : c’est plutôt une bonne nouvelle qu’un cinéma tel qu’il l’était avant soit devenu une salle culturelle où sont présentés des films de qualité. Mais il importe d’imaginer d’autres activités culturelles pour remplacer les magasins qui ferment et se dégradent les uns après les autres. Une autre initiative importante est la piétonnisation. En rendant la Canebière à la déambulation des habitantes et des habitants qui ont simplement envie de se promener, la piétonnisation lui fait retrouver le rôle qui était le sien au temps de sa splendeur : celui d’un « corso ». Par ailleurs, mais nous touchons là aux responsabilités de la métropole, et, une fois de plus, à la confrontation entre les pouvoirs de la municipalité et ceux de la métropole, il importe que la Canebière redevienne propre. L’entretien des trottoirs par la métropole doit être associé au ravalement des façades et à des aménagements municipaux de nature à faire retrouver à la Canebière le rôle d’un paysage. Et puis la Canebière pourrait se voir reconnaître le rôle d’une agora, c’est-à-dire d’un espace de ville dans lequel on rencontre l’autre pour échanger avec lui des marchandises et des paroles, le rôle d’un espace où ça parle : le rôle d’un espace de débat et de rencontres de nature à faire retrouver à Marseille le sens du politique. Peut-être cela a-t-il commencé. Pourvu, maintenant, que l’évolution se poursuive.
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