RUE VIDE, RUE MORTE : LA RUE DE LA RÉPUBLIQUE

Billet de blog
le 9 Août 2024
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Depuis de nombreuses années, la rue de la République est vide, les magasins sont fermés, on y rencontre peu de passants, sans doute personne ne s’y promène. Que s’est-il passé ?

Comme une rue fanée

La rue de la République donne l’impression d’une fleur fanée, d’une vie urbaine éteinte. Si quelques boutiques ont ouvert, plus ou moins récemment, et donnent l’impression – à moins que ce ne soit une illusion – que cette rue renaît, la rue de la République semble avoir perdu son activité. Alors qu’il s’agissait, auparavant, d’une artère majeure reliant les deux lieux essentiels de Marseille, le Vieux-Port et la Joliette, et que, de cette manière, une vie intense pouvait s’y déployer, la rue de la République donne aujourd’hui, l’impression d’une rue morte, dont le seul rôle dans l’urbanité marseillaise est le déplacement, le transport. Dans un véritable espace urbain, les rues ne sont pas seulement fonctionnelles, elles ne sont pas seulement des lieux de circulation, elles sont aussi les lieux qui donnent la vie à la ville, en ne permettant pas seulement le déplacement, mais aussi la rencontre, les échanges : c’est la rue qui permet d’habiter pleinement la ville. C’est, d’ailleurs, le sens du terme « artère » qui désigne les rues importantes d’une ville : dans les rues, ce qui circule, c’est le sang de la ville, ce qui lui donne sa vie, ce qui lui assure la circulation de l’énergie en permettant la relation, la communication. On va vite, dans la rue de la République d’aujourd’hui, on ne s’y arrête pas, à la fois parce qu’on n’a rien à y faire, puisque trop peu d’activités y sont mises en œuvre, et parce que rien ne donne le désir de s’y arrêter.

 

Les mutations du centre de Marseille

Au temps de sa gloire, la rue de la République, l’ancienne « rue Impériale », a été imaginée pour relier l’un à l’autre les deux pôles de la grandeur de  Marseille et de sa richesse, ses deux ports : le port de la Joliette et le Vieux-Port, le centre de la ville. C’est pour cela qu’il s’est agi d’une véritable artère, permettant à la vie urbaine de circuler, de respirer, de se nourrir de l’activité et de la relation. Si, dans cette rue, la vie s’est affaiblie au point de presque disparaître, cela est dû à cinq mutations majeures du centre de la ville. D’abord, la mode urbaine des centres commerciaux est à l’origine, à Marseille, de l’ouverture du « Centre Bourse », dans les années 70. Rappelons, en passant, qu’à ses débuts, le chantier avait mis au jour des restes de la ville antique encore visibles de nos jours. La rue de la République a ainsi perdu de son attractivité et, de plus, une activité commerciale de la rue s’est déplacée au Centre Bourse. Ensuite, plus près de nous, en 2002, le chantier du tramway a littéralement éventré la rue, en la perçant par la pose des rails, et l’a réduite à un vaste chantier, la réduisant à un espace de travaux. Cela a entraîné la fermeture des commerces devenus inaccessibles. La troisième raison du déclin est la naissance d’espaces de commerce et d’activités à la périphérie de la ville. Des espaces commerciaux d’un type nouveau se sont installés dans les périphéries, comme à Bonneveine ou au Prado. Les activités urbaines d’échange, de commerce, de relation, ont quitté le centre. La rue de la République n’avait, pour ainsi dire, plus d’espaces vitaux à relier l’un à l’autre. C’est ainsi qu’une autre raison pouvant expliquer le déclin de cette rue est, justement, le déclin de l’activité du port. Les activités du port ont quitté la Joliette, désormais réduite à n’être pratiquement plus qu’un terminal pour les voitures traversant la Méditerranée. Le véritable trafic s’est reporté au train aérien pour les voyageurs et, pour les marchandises, aux terminaux du port situés bien plus loin du centre. Enfin, le déclin de la rue de la République est un symptôme de plus du déclin de l’activité de Marseille et de son importance économique. 

 

Les espaces aménagés dans les périphéries tuent les villes

Pour revenir à la question de la mutation des activités commerciales des villes, on peut remarquer, notamment rue de la République, que les « zones commerciales » des périphéries tuent les centres urbains à petit feu. Il y a une sorte de contradiction, d’antinomie entre les zones commerciales périphériques et la logique de la vie urbaine. En effet, on va dans les centres commerciaux périphériques justement pour échapper à la ville, pour en sortir. Les espaces commerciaux des périphéries se donnent pour rôle de remplacer les espaces urbains par de faux espaces de ville. Au fond, c’est la réalité de la vie urbaine qui semble avoir quitté la rue de la République pour se reporter dans l’ailleurs de la vie urbaine. Mais ne nous trompons pas : il s’agit d’une fausse vie urbaine. La rue de la République n’est pas seulement le symptôme d’une baisse de l’activité commerciale du centre de Marseille, mais elle est un symptôme d’un affaiblissement généralisé de la vie sociale dans l’ensemble des villes. Mais il ne s’agit pas seulement d’une mutation des activités faisant vivre l’économie de la ville : il s’agit aussi de l’importance qu’ont prise les voitures particulières. Si les activités commerciales se sont déplacées vers les périphéries, c’est aussi parce que les voitures n’ont pas leur place dans les villes, et cela rend nécessaire une nouvelle organisation de l’espace urbain. 

 

Des propriétaires illégitimes

Si, dans notre système foncier dominé par les logiques capitalistes, on ne peut discuter la légalité des opérations menées par les acteurs financiers qui ont acquis les surfaces commerciales comme celles de la rue de la République, cette façon de soumettre les villes à l’empire de la finance, elle, est profondément illégitime, car elle n’a aucun souci des villes ni de leur activité. Les fonds de pension, devenus propriétaires des espaces de la rue de la République ne s’intéressent pas à l’activité de la ville et à ce que l’on peut appeler sa vitalité urbaine, ils ne cherchent que des surfaces foncières pouvant par exemple, leur servir de garanties dans leurs activités. La finance tue l’économie et, pour cette raison même, elle tue la ville : ce n’est pas seulement la rue de la République qui devient une rue morte, c’est la ville qui pourrait bien devenir une ville morte si l’on n’y prend pas garde. La légitimité des propriétaires consiste dans la reconnaissance de la nécessité d’une vie urbaine véritable. Les propriétaires d’artères comme la rue de la République ne sont pas légitimes, car ils ne cherchent en aucune manière à faire vivre le sang de cette rue. On peut, d’ailleurs, remarquer qu’une telle évolution n’est pas propre à Marseille : il existe aussi dans le centre de Lyon des rues qui présentent ce même aspect de « rues fanées » que la rue de la République. Sans doute faut-il, désormais, repenser toute la centralité urbaine pour pouvoir, de nouveau, réveiller les centres urbains et les sortir de leur torpeur. Le centre de Marseille attend, comme une belle au bois dormant, qu’une véritable politique de la ville vienne enfin l’éveiller et rendre leur vie aux artères comme la rue de la République.

 

Je remercie Jean-Pierre Brundu pour ses apports sur l’histoire de Marseille

Commentaires

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  1. RML RML

    C’est un peu imprécis comme analyse. On passe du’Centre Bourse au tramway…on saute 20 ans…
    Les changements de la Joliette et Euromediterranée ne sont qu’à peine évoqués …
    Et la rue de République n’est pas complètement morte…elle l’a été, mais on y trouve une forme de rebond aujourd’hui, petit certes, mais les tentatives sont là…
    Et historiquement, n’aurait il pas fallu parler de sa création aussi ? Et du fait fait qu’elle soit victime aujourd’hui de ce qu’elle a fait subir elle-même ?

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  2. barbapapa barbapapa

    Une des solutions peut être extrêmement impopulaire dans un premier temps : expulser les voitures de tout le centre ville. Ensuite, les terrasses de cafés, les restaurants, et beaucoup de commerces de proximité prendront leur place, les piétons prnedront plaisir à flaner et à vivre en ville, etc. Cela suppose un énorme chantier de transports en commun, de modes de déplacement doux, de parkings périphériques, etc.

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    • Patafanari Patafanari

      Le bas de la Canebière piétonnisé n’est pas une réussite. (Litote).

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  3. Alceste. Alceste.

    Ayant vécu rue de la République contrairement à l’auteur du blog, du temps où cette artére avait une réelle activité économique, commerciale et lieu de vie,je vais apporter quelques éléments factuels,nous sortant des analyses dont certaines enfoncent des portes ouvertes.
    Cette mutation est tout simplement une opération immobilière gaudinesque, doublée d’une dégringolade du port.Le mirage parisien,un de plus.
    La rue de la République était le quartier Corse de Marseille de la place Sadi-,Carnot à la Joliette et plutôt commerçante de la même place au Vieux-Port. Lieu commercial avec tous types commerces couvrant l’ensemble des besoins, lieu économique avec toutes les compagnies Maritimes représentées par la Transat ,par la Mixte ou Charles Le Borgne et bien d’autres avec tous les métiers annexes autour ,comme les transitaires. Tout cela a été rayé de la carte.Lieu de vie avec deux pôles médicaux: Hotel Dieu et Desbief. Rayés de la carte aussi.Operations immobilières obligent.
    Habitats avec de vieux marseillais résidants depuis des générations dans cette rue, beaucoup de Corses comme dit plus haut ,marins obligent. La mixité sociale était presente ,les appartements cossus au 2e étage ,les plus simples au dessus ,le tout avec un concierge.
    Le fait politique de vouloir expulser pour des raisons de combines immobilières les habitants de l’époque à tué le commerce.Les gens achetaient dans le quartier.Optique Gauthier, Papeterie Robert,Chez Daru, Burelli, Prince, Barbarin , Magasin Kodak, Pharmacie Maritime ,médecins, restaurants épiceries corses (3) Uniprix et Monoprix etc .Tout y était. Le centre Bourse oui sans doute, mais n’a pas fait exploser la Rue de la République.

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  4. Alceste. Alceste.

    Cette rue est morte et enterrée.
    Alors on crée du coworking,des lieux éphémères. Du vent en résumé.
    Euromedirerranee pille ce quartier, heureusement la Poste Colbert à trouvé un repreneur.
    Ne pourrions nous pas créer la Cité du Judiciaire dans cette artère pour la sauvet plutôt que l’expédier au diable vauvert.
    Une idée comme une autre.

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  5. Pascal L Pascal L

    “Les espaces aménagés dans les périphéries tuent les villes” Non, ceci est une conséquence et non une cause.
    La vraie cause est celle-ci en 1960 seuls quelques français ont une automobile, en 1990 seuls quelques uns n’en ont pas. Il en résulte une première chose : de nombreux ménages peuvent accéder à un logement de type pavillon éloigné de leur lieu de travail. A mesure que ces zones ce développent, en périphérie, le commerce s’adapte et vers 1970 apparaissent les premiers super marchés avec le fameux “pas de parking, pas de clients”. Vers 1980, exception de villes prestigieuses ou très très étudiantes, les centres villes se spécialisent alors dans le commerce pour les pauvres, ceux qui sont restés, ceux qui n’ont pas de voitures. Certain (comme à Marignane, sont tellement désaffectés qu’ils tombent en ruine.
    C’est seulement depuis quelques années que le modèle pavillonnaire est battu en brêche et que les centre-ville (certains) se re-gentrifie. A Marseille , c’est pas encore fait.

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