Rue de la République : le retour du refoulé
Hier soir j’ai assisté à la présentation de l’étude de l’association Un Centre Ville Pour Tous sur la Rue de la République. Pas de surprise sur les chiffres : 33% des logements et 66% des commerces seraient inoccupés. Par contre, des analyses intéressantes sur la Rue devenue un endroit de passage (comprendre, où on se fixe pas), sur le très très cher déni de réalité des élus qui imaginent encore transformer la rue en Champs Elysées marseillais, et par contre, une absence de regard sur la nouvelle stratégie soft power d’Atemi via Marseille 3013. Deux heures d’échanges enrichissants avec des résurgences de l’esprit militant ci et là, largement tempérés par un appel des plus conservateurs : et si Euromed ou la Ville reprenait la main ?
Nous étions invités à la maison de l’architecture dirigée par André Jolivet (architecte et faux sosie de Pedro Almodovar que j’avais remarqué lors de la campagne des municipales 2014), la salle était tellement pleine qu’on l’a ouverte de tous les côtés. Patrick Mennucci est resté 45 minutes (et sans rien dire, un élu qui écoute, ça vaut le coup d’être souligné) avant de partir accompagné de M.Scotto. En fin de réunion, c’est Monsieur Alter Off qui a rejoint la salle pour prendre, et garder, la parole jusqu’à épuisement de la salle. Voilà pour les people, sinon, des étudiants (de l’école d’archi?), des militants, et même un couple d’environ 50 ans avec un plan de Marseille à la main qui s’est assis à côté de moi puis a quand même échangé ces mots en milieu de présentation “mais tu crois que c’est un bon plan d’acheter Rue de la République ?”, c’est dire qu’il y avait du monde. Mais pas d’habitants de la rue d’après ce que l’on a compris, ils auront une restitution pour eux, hier c’était pour les passionnés d’urbanisme et d’architecture.
Mais qui sont-ils ces habitants d’ailleurs ? Que se passe-t-il derrière les façades rénovées dont tout le monde a convenu qu’elles étaient quand même très belles ?
Précision d’importance, l’étude n’a porté que sur la moitié des logements, c’est à dire l’ancien patrimoine de la société immobilière de Marseille. Le reste appartient depuis le début à des petits propriétaires privés et n’ayant pas fait l’objet des investissements massifs dans le cadre de l’opération d’intérêt national, ils ne rentrent pas dans la comparaison. Dans ce qui était le patrimoine de la société immobilière de Marseille et qui a été vendu, revendu, découpé, revendu et encore un peu vendu (tout ça dans une immense partouze de sociétés à sigle dont j’ai juste retenu qu’elles avaient une passion prononcée pour le Grand Duché du Luxembourg), il y a aujourd’hui entre 13 et 16% de logements sociaux (suivant si l’on prend en compte l’augmentation du nombre de logements), 13% de nouvelles corpopriétés (comprendre appartements vendus à la découpes à des particuliers), 43% ANF et 31% autres grands proprios. Ça c’est pour le foncier.
Pour l’habitat, on compte donc 33% de logements vides. Et dans les 66% occupés, il y a très peu de propriétaires occupants, moins de 10%, 500 logements sociaux (occupés pour le coup) et donc beaucoup de propriétaires qui cherchent l’investissement locatif, et n’ont jamais eu l’idée de venir y vivre, voire même venir à Marseille tout court.
Trois choses ont attiré mon attention. La première c’est qu’il n’y ait aucune trace du montant d’argent public qui a été investi dans l’opération. Aucune trace et aucun bilan. En plus d’être moralement discutable, la stratégie de “montée en gamme” a lamentablement échoué (si ce n’est sur les images des caches misères posés sur les locaux commerciaux vides). En tant que contribuable généreux à la ville et à l’Etat, j’aimerais savoir combien nous a coûté le délire paranoïaque des Champs Élysées marseillais. J’aimerais beaucoup le savoir avant de demander comme j’ai pu l’entendre que la ville reprenne les choses en main. Pitié ! On les connait quand même ! Ils seraient capables d’arriver au même résultat mais sans avoir fait les bénéfices qu’on fait les sociétés immobilières !
La seconde, c’est qu’on parle d’une rue devenue un endroit de passage dans lequel seuls les habitants des logements sociaux sont stables. Sinon, ce sont surtout des étudiants, des stagiaires, des intérimaires (paye ta montée en gamme !) et des touristes de passage. “C’est un peu comme un hôtel” aurait dit un habitant lors de l’enquête. On a parlé d’agences spécialisées qui gèrent des meublés pour des propriétaires (marseillais cette fois). Avec le développement d’airbnb, la rue de la République réussirait peut-être à devenir utile en concentrant tous les touristes à la con dans un coin, idéalement placée entre la gare, le mucem et les terrasses du port. Une bonne division de l’espace qui nous permettrait de se protéger contre ce tourisme dans les autres zones de la ville (il faudrait sacrifier le Panier par contre).
Et plus sérieusement, un troisième point a lamentablement été expédié par un David Escobar ma foi peu rigoureux sur son sujet : “un local a été donné à une association, 3013, je ne sais pas qui ils sont”. En sortant de 6 mois d’enquête sur la Rue de la République, et en travaillant sur Marseille depuis des années, je ne sais pas comment on passe à côté de 3013. Et à mon avis, ce revirement stratégique d’Atemi, qui s’est rapproché de 3013 (donc l’ancien 2013 Off dont je siège au conseil d’administration ce qui ne doit pas m’empêcher d’avoir un regard critique) est tout à fait intéressant. Je le prends comme une meilleure prise en compte du marché marseillais et des règles de la montée en gamme d’un quartier : on ne passe pas de populaire à haut de gamme sans une étape gentrificatrice (sauf peut-être quand on a les moyens d’une monarchie pétrolière).
Cette étape me semble autrement plus déterminante à long terme que les agitations d’une Solange Biaggi ou d’un Gérard Chenoz. Dommage qu’on en ait pas plus parlé, d’autant plus que 3013 nous donnera sa vision des choses demain soir, dans leur local, dans un Manifeste de la République.
Commentaires
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Beau compte rendu, mais 45′ c’est davantage qu’un acte de présence.
Cordialement
Eric Scotto
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C’est vrai, j’ai été injuste, vous avez raison.
D’ailleurs, j’ai relu le passage et a posteriori j’ai peur qu’on m’ait mal compris : je trouve très bien qu’il ait écouté plutôt que de prendre la parole (c’est si rare chez les élus). Du coup, j’ai corrigé le texte dans ce sens.
En tous cas, merci du commentaire.
Cordialement
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Je confirme. On n’a pas vu le début du nez d’un sociologue d’un centre ville pour tous au 3013 depuis qu’on y est en juin. Et on n’a pas non plus eu de réponse à l’invitation qu’on leur a fait de venir présenter leur étude dans nos locaux… Car s’appeler “un centre ville pour tous” et faire sa présentation à la maison de l’architecture dans le 6e, c’est un peu de la gentrification de synapses, non ?
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Et pourtant il y aurait des choses à dire ! Je pense à nos débats internes au moment de la discussion du projet, c’est très bien de leur avoir adressé une invitation, en attendant leur réponse. En tous cas, je reviendrais volontiers !
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