REPENSER LA VIE POLITIQUE À MARSEILLE APRÈS LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES

Billet de blog
le 12 Juil 2024
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Les transformations et les bouleversements de la vie politique liés aux élections législatives se sont aussi manifestés à l’échelle de la municipalité de Marseille

Premières réflexions sur les résultats des élections législatives

Au-delà des chiffres et du « temps court », il nous faut donner un sens aux résultats des élections législatives, à Marseille. L’avancée de la gauche intervient après deux autres victoires récentes, celle des élections municipales de 2020 et celle des élections législatives de 2022. Mais les élections législatives de cette année se distinguent des autres. D’abord, en-dehors de la cinquième circonscription, où H. Davi a été élu en tant que « divers gauche », la gauche présentait des candidatures uniques sous l’appellation « Nouveau Front populaire ». Il importe donc de comprendre ce que signifient, pour la ville et pour la métropole, l’émergence d’un « nouveau Front populaire », puis sa victoire, à Marseille, dans quatre circonscriptions aux élections législatives. Ce Nouveau Front populaire, né à l’échelle nationale à l’occasion de ces élections législatives, entend réunifier une gauche morcelée et dispersée, mais aussi faire renaître ce qui est devenu un mythe : le Front populaire de L. Blum et de l’union de la gauche en 1936. L’autre caractéristique des élections législatives de cette année est l’importance acquise par l’extrême droite. Cette importance s’est construite peu à peu : même si les alertes ont été nombreuses, ce processus engagé lors de l’élection présidentielle de 2002, où, pour la première fois, Jean-Marie Le Pen avait été présent au second tour face à Jacques Chirac s’est confirmé et accentué lors des élections législatives de cette année : dans les Bouches-du-Rhône, hors Marseille, le R.N. a été élu dans toutes les circonscriptions, et, à Marseille, il est élu dans trois circonscriptions.

 

Les attentes des marseillaises et des marseillais

Ces élections prennent la suite des élections municipales de 2020, qui avaient représenté une rupture par rapport aux « années Gaudin ». Cette année-là, la gauche retrouvait la confiance des habitantes et des habitants de la ville qui voulaient une autre politique municipale à Marseille. Les élections législatives de cette année manifestent pour la ville une immense attente. D’abord, comme elle n’en est qu’à la moitié de son mandat, la municipalité dirigée par B. Payan n’a pas encore eu le temps de réaliser tous les projets dont elle était porteuse, ce qui fait que ces élections législatives étaient le moment d’un bilan : la gauche devait montrer où elle en est. Même s’il ne s’agit pas d’élections destinées au même mandat, le calendrier électoral les place au moment d’une évaluation pour les habitants. Mais cette attente est aussi l’expression à l’échelle de la ville de la confiance mise par les électeurs envers la gauche. Les députées et les députés de gauche qui viennent d’être élus ne doivent pas décevoir ces attentes, d’autant plus qu’ils sont confrontée à des élus du R.N. Enfin, ces élections législatives expriment la volonté d’une rupture avec la politique mise en œuvre par E. Macron et par son exécutif depuis l’élection présidentielle de 2017 et celle de 2022, notamment avec le fameux plan « Marseille en grand », dont on a du mal à percevoir les résultats. Que cette exigence de rupture se manifeste à droite par le succès d’une extrême droite qui ne s’était jamais trouvée si près du pouvoir ou à gauche par l’élection des députés appartenant au Nouveau Front populaire, l’électorat marseillais attend qu’il soit mis fin aux anciennes pratiques et aux anciennes cultures politiques et qu’à Marseille s’imagine une façon vraiment nouvelle de concevoir la politique. 

 

Répondre à l’urgence sociale

Répondre à ces attentes n’est pas seulement, pour la gauche, un impératif politique, c’est aussi la réponse à une urgence sociale. Le message envoyé par les votes du 30 juin et du 7 juillet est clair : il faut qu’à Marseille se construise un nouvel espace public où s’engagent de nouveaux débats, où se prononcent de nouveaux mots, où s’expriment de nouveaux acteurs. La Marseille politique d’aujourd’hui et de demain ne doit plus être celle d’hier. L’importance acquise par la France insoumise manifeste ainsi le désir que se construise une gauche nouvelle, différente de celle qui dominait jusqu’à présent à Marseille. Il ne s’agit pas seulement de répondre à des objectifs ou d’exécuter un programme : il s’agit de concevoir une autre vie politique pour la ville. Il ne s’agit pas seulement d’élaborer une nouvelle politique, mais d’entreprendre la construction d’une nouvelle société urbaine. Pour cela, il importe, d’abord, d’en finir, mais, cette fois, pour de bon pas seulement par des mots, avec la cassure entre la ville et ses périphéries er avec la cassure entre les quartiers Nord et les quartiers Sud. Il ne faut pas mettre la tête dans le sable : si l’on excepte Marseille, la métropole ne compte que des députés R.N. C’est le signe d’un décalage social et culturel entre deux Marseille. La première est celle de la culture, des dialogues, des mots, des débats : c’est la Marseille de la vie politique et des paroles qui font les échanges. L’autre Marseille est celle de la violence, des silences, du refus de parler et de reconnaître l’autre, celle, par conséquent, du racisme et des discriminations. Quand une députée  R.N. nouvellement élue nous dit (Voir l’article de Violette Artaud, « Qui sont les députés des Bouches-du-Rhône ? », dans « Marsactu » du 9 juillet) : « On n’est pas en train de nettoyer les fauteuils avec notre derrière », cela montre le décalage entre deux mondes. L’urgence sociale à laquelle doit répondre la gauche est là, à Marseille : il faut recoudre le tissu social déchiré et faire se retrouver ces mondes en décalage. C’est ce que nous disent les élections législatives de cette année, à Marseille. Sans doute l’exigence de rupture formulée lors des élections municipales de 2020 et des élections législatives de 2022 n’avait-elle pas été assez entendue. Est-ce ce que B. Payan veut dire quand il explique (« Marsactu » 10 juillet 2024) : « On ne peut pas gouverner une Marseille avec une partie de la ville contre l’autre. La ville a besoin d’être rassemblée, pas d’être coupée en morceaux » ? Toujours est-il que la fracture sociale est bien là et que les acteurs politiques n’ont que deux ans pour la réparer d’ici les prochaines élections municipales qui seront l’occasion de confirmer la gauche dans ses fonctions ou de confier le pouvoir sur la ville au pire.

 

La perspective des élections municipales de 2026

C’est que ces élections législatives de 2024 se situent à deux ans des prochaines élections municipales. Sans doute cet horizon est-il présent dans l’esprit des décideurs et des acteurs politiques. En tout cas, on ne peut pas ne pas en tenir compte dans la lecture des résultats marseillais des élections législatives. Trois éléments apparaissent nettement dans cette perspective. Le premier porte sur les conditions de l’élaboration de la liste de la gauche. Une rupture semble actée entre la conception de B. Payan de la politique municipale et celle d’un S. Delogu, mais ni la France insoumise ni les partis de la gauche classique ne peuvent gagner seuls les municipales. Il va donc bien falloir imaginer les conditions dans lesquelles peut se construire un projet réunissant toute la gauche. Le second élément à comprendre est l’apparition d’un autre clivage, celui qui traverse la droite. Entre certains acteurs de droite opposés à tout accord avec le R.N. et d’autres qui, après tout, seraient prêts à un tel accord, le fossé semble trop grand pour être facilement comblé, d’autant plus qu’un autre fossé vient se superposer à lui : celui qui est interne à Renaissance entre ceux qui, venant de la gauche, ne veulent pas d’une orientation plus droitière, et ceux qui seraient disposés à un rapprochement avec les Républicains.  Ce clivage-là va se manifester à Marseille, comme partout dans le pays. Enfin, les élections municipales de 2026 seront peut-être l’occasion d’une nouvelle croissance de l’extrême droite. Comment se situeront les partis de droite par rapport à elle, et comment cette croissance se manifestera-elle dans les projets des acteurs de l’extrême droite pour Marseille ? Surtout, comment les projets municipaux et l’aggravation de la coupure entre le Nord et le Sud de la ville porteront-ils, ou non, les traces de cette croissance de l’extrême droite ? Mais, à Marseille comme ailleurs, cet accroissement de l’extrême droite, de sa force et de sa violence, consiste peut-être dans de simples images illusoires de l’optique politique et dans des rabâchages martelés par les médias et même par les institutions.

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