QUE REPRÉSENTAIT JEAN-CLAUDE GAUDIN ?

Billet de blog
le 25 Mai 2024
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Jean-Claude Gaudin est donc mort lundi dernier, le 20 mai. Arrêtons-nous un instant sur son héritage.

Jean-Claude Gaudin

Jean-Claude Gaudin était de Mazargues. C’était un de ces enfants du peuple qui devraient, socialement, être de gauche, mais qui se disent qu’ils ont plus à gagner en adhérant à la droite. Il a, toute sa vie, eu un engagement de droite, en particulier pendant les quatre mandats qu’il a eus comme maire, de 1995 à 2020, et quand il a été ministre de l’aménagement du territoire, de 1995 à 1997, dans le gouvernement Juppé. Il fut aussi président de la région de 1986 à 1998. Homme de droite, il a dirigé la municipalité de Marseille et la région avec des orientations marquées par une conception ancienne de la politique marseillaise, faite de réseaux, fondée sur un urbanisme lourd avec de grandes constructions comme la tour CGM. Il faut rappeler qu’il avait été élu conseiller municipal, pour la première fois, en 1965, sur la liste dirigée par G. Defferre contre la liste gaulliste. Les différences entre un parti de gauche et un parti de droite laissaient J.-C. Gaudin un peu indifférent : ce qui était important, pour lui, c’était le pouvoir.

 

La rivalité entre J.-C. Gaudin et G. Defferre

La lutte entre Gaudin et Defferre a animé la vie politique marseillaise pendant tout le temps où ils ont vécu ensemble dans les assemblées municipales et régionales. C’était l’une des mises en scène permanentes du théâtre politique marseillais. Mais peut-être, au bout du compte, leur véritable confrontation se jouait-elle dans la politique nationale quand l’un était au P.S. et l’autre surtout aux Républicains indépendants, le parti fondé par V. Giscard d’Estaing pour faire échapper la droite à l’omniprésence de de Gaulle puis de Pompidou. Ce duel entre Defferre et Gaudin était un duel politique, mais, sans doute, surtout un duel entre deux personnes. Certes, il s’agissait d’une confrontation entre la gauche et la droite, mais les conceptions de la politique et de la ville de ces deux personnages étaient trop proches pour que le combat ait été une lutte entre deux approches du fait urbain. En-dehors de ce duel entre des partis, sans doute étaient-ils, l’un et l’autre, animés par une même conception de la politique et de la ville de Marseille : un domaine de lutte entre des animaux politiques se la jouant féroces, mais peut-être, au fond, attirés l’un par l’autre.

 

J.-C. Gaudin et la métropole

De 2016 à 2018, J.-C. Gaudin fut président de la communauté urbaine de Marseille, devenue la métropole. C’est important à rappeler, car, si les « communautés urbaines » sont nées, en France, en 1966, pour devenir, bien plus tard, les « métropoles », il n’y en avait jamais eu à Marseille avant Gaudin. En effet, d’abord, G. Defferre se méfiait de l’idée même de métropole, car il craignait de perdre son pouvoir sur les grandes affaires de la ville, en devenant minoritaire au sein d’une métropole, et, d’autre part, soyons honnêtes : si, dans des villes comme Bordeaux, Lille ou Lyon, qui furent parmi les premières, les villes de la métropole sont tellement liées entre elles que la notion de métropole y a un sens, à Marseille, les banlieues sont dans la ville chef-lieu, qui les a absorbées sous la forme de quartiers périphériques, et les autres villes comme Aix ou Port-de-Bouc n’ont rien à voir avec Marseille. En réalité, à Marseille, la métropole n’a été imaginée que pour servir de contre-pouvoir. Si l’on fait le bilan des activités de la métropole, les activités et les pouvoirs qui lui ont été transférés, comme les transports en commun et la régie des ordures et déchets, n’ont pas de résultats très brillants. Cela aura été, surtout, un point de clivage et de confrontation entre Marseille et les autres villes faisant partie de la métropole. Il ne s’agit même pas d’un contre-pouvoir venant équilibrer le pouvoir de Marseille, mais plutôt d’un autre pouvoir, concurrençant l’autre dans une rivalité incessante.

 

La fin d’un urbanisme 

Avant tout, ce qui s’achève avec Gaudin, c’est une certaine conception de la ville et de l’urbanisme : aux projets monumentaux, trop grands et trop pesants pour les villes, succède un urbanisme plus soucieux de l’environnement et du patrimoine et des conditions de vie des habitants. Cet urbanisme aujourd’hui dépassé est marqué, par exemple, à Marseille, par la destruction d’une partie du chantier des fouilles de la Corderie qui devaient être remplacées par un immeuble. L’urbanisme de Gaudin, c’était aussi la poursuite du plan Euroméditerranée lancé par R.P. Vigouroux, les Terrasses du Port, la tour Méditerranée, le soutien au MuCEM aussi, ainsi que la bibliothèque de l’Alcazar. Mais ce qui s’achève ainsi de nos jours, c’est un urbanisme qui se croit tout permis, qui ne tient pas compte de l’esthétique de l’aménagement ni de la culture de la ville. Un urbanisme, aussi, fortement inégalitaire : la fracture entre le Nord et le Sud s’est aggravée durant les mandats de J.-C. Gaudin. Avec Gaudin, comme d’ailleurs, avec Defferre, l’urbanisme était fonctionnel, soumis aux pouvoirs du commerce de l’immobilier, sans être soucieux de l’environnement : l’écologie n’était pas encore un projet politique, sans doute même moins encore dans les villes.

 

La rue d’Aubagne

L’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne, en 2018, aura été un autre signal de la fin. En dépit de nombreuses alertes émises avant le drame, la municipalité n’avait pas entrepris les travaux qui auraient permis de l’éviter. C’est, d’ailleurs, pourquoi un ancien adjoint de J.-C. Gaudin, J. Ruas, est renvoyé devant la justice – parce qu’il fallait bien un « bouc émissaire ». Mais, tout de même, c’est bien la municipalité dirigée par J.-C. Gaudin, et, avec elle, toute une conception de l’urbanisme, mais aussi toute une conception inégalitaire de la ville, qui sont les coupables. Les quartiers populaires comme la rue d’Aubagne, on ne s’en occupait pas, pour dire vite. Les moyens et les projets, c’était pour les quartiers favorisés. C’est ainsi que le centre de Marseille a été laissé à l’abandon. À Marseille, la tragédie des effondrements de la rue d’Aubagne aura marqué, peut-être durablement, cette conception de la ville qui ignore les habitantes et les habitants et qui se désintéresse du patrimoine et des centres historiques et anciens.

 

La fin d’une époque

À Marseille, la mort de J.-C. Gaudin marque ainsi la fin d’une époque. Quand Michèle Rubirola et Benoît Payan lui succèdent, en 2020, il ne s’agit pas d’une simple alternance : c’est toute une époque de la politique marseillaise, mais, peut-être, aussi méditerranéenne qui se termine. Nous en avons fini, espérons-le, avec cette conception de la ville. Ce qui s’achève avec la disparition de Gaudin, c’est une conception de la politique dominée par les partis, par les appareils, par les notables et, aussi, par les réseaux de pouvoir, au lieu de tenir compte des formes sociales contemporaines de la solidarité. La politique marseillaise de l’époque de Gaudin, héritière de celle de l’époque de Defferre, était souvent marquée par des complicités qui n’avaient, bien souvent, rien de proprement politique, qui étaient, même, des sortes de déni du politique. De nouvelles conceptions de la politique sont nées depuis, davantage fondées sur des critiques des conceptions dominantes de l’État et des pouvoirs. Mais on a découvert aussi de nouvelles conceptions des projets urbains, de nouvelles approches de la ville. Toute une écologie urbaine s’élabore, soucieuse de l’importance du temps long au lieu de n’agir que dans l’immédiat et le court terme. Un nouveau Marseille est en train de naître, avec de nouveaux projets, de nouvelles exigences, de nouvelles voix, de nouveaux mots, aussi.

Commentaires

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  1. Bernard LAMIZET Bernard LAMIZET

    Je publie ci-dessous un commentaire que m’a envoyé mon ami Robert Verheuge, grand acteur de la culture à Marseille. Il contribuera à enrichir le débat.

    J’ai quitté la cité phocéenne en 1998, mais je l’ai bien connue de 1971 à 1976 par le prisme des équipements socioculturels dont j’étais alors responsable, et de l’Office de la culture qui, dès 1974, s’attaquait à la décentralisation culturelle. Je la connais ou l’ai connue aussi d’un autre point de vue, en étant de 1984 à 1988, responsable des projets culturels sur la mission centre-ville, puis de 1988 à 1991, conseiller au cabinet du Maire (action culturelle, vie associative, sport), et, enfin ,de 1991 à 1996, comme directeur de l’Office de la Culture et conseiller technique à la musique. Ces différentes missions ne me donnent pas une légitimité particulière, mais m’ont permis de porter plusieurs regards croisés sur la politique de la ville.

    Oui les systèmes politiques sous Defferre et sous Gaudin, présentent quelques similitudes, notamment cette façon de s’appuyer sur un syndicat « maison » bras manœuvrier même pour les basses œuvres. Mais je n’ai jamais connu sous Defferre d’irruptions dans le champ culturel de phénomènes à caractère mafieux. Ensuite, les projets de l’un et de l’autre n’étaient pas comparables en différents domaines. Sous Defferre, à partir de 1974, de grandes concertations ont eu lieu, auxquelles participaient des élus des fonctionnaires de la ville et des représentants du tissu associatif, par exemple sur la ZUP numéro un – quartier nord-est – sur la plage du Prado, à Bonneveine. Ces concertations pouvaient être animées par l’Agence de l’Urbanisme, par l’office de la culture ou se déroulaient dans le cadre de commissions extra-municipales. Elles ont donné des résultats. La plage du Prado d’accès possible pour tous les marseillais, le Frioul qui n’est pas devenu une île pour millionnaires, certains équipements culturels du nord-est comme du sud, (Théâtre et médiathèque du Merlan, bibliothèque de Bonneveine, programmes d’équipements sportifs, etc.) résultent de ces concertations. Sous Vigouroux, la ville est allée jusqu’à créer un emploi en quelque sorte de « préfet de quartier » pour intervenir de façon plus efficace sur le nord-est (Alain Fourest assurait cette mission). Si le principe de la concertation a été maintenu sous Vigouroux, c’est-à-dire pendant douze ans, il n’a plus existé ensuite. En effet sous son dehors « bonhomme » Jean-Claude Gaudin détestait tout ce qui pouvait ressembler à une démocratie directe.

    Je trouve aussi que l’exercice consistant à comparer Defferre et Gaudin, en enjambant tranquillement les neuf années de Vigouroux est un peu simplificateur. Prenons un exemple (mais il en existe d’autres qui pourraient être cités) : le MUCEM. Il est né d’une délibération du conseil municipal de Marseille de 1990, sous le mandat de Robert Vigouroux. D’abord projet de délocalisation, à Marseille, du musée national des Arts et Traditions populaires (MNATP) de Paris, le MUCEM devait ensuite être enrichi. C’est un euphémisme que de dire qu’après Vigouroux, tout le monde n’était pas favorable au projet. C’est au point où, quand François Hollande et Aurélie Filippetti l’ont inauguré, celle-ci a dit que c’était la première fois qu’elle inaugurait un musée sans projet artistique et scientifique.

    Au fond il existe une tendance à comparer Gaudin et Defferre et à gommer la période Vigouroux qui a été pourtant fructueuse dans certains domaines. Pourquoi ? Parce que cette période est atypique. Robert Vigouroux n’était pas un homme de médias, et puisque le PS était divisé,  ne pouvait pas s’appuyer sur un appareil politique, de sorte, que, par nécessité, l’équipe de Robert Vigouroux relevait un peu d’une forme de  « péronisme ». Du moins, à ce moment  de l’histoire, nous a-t-elle évité le lepénisme.

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  2. Bernard LAMIZET Bernard LAMIZET

    Commentaire de Jacques Péronne, architecte :

    En réponse à l’analyse: pour les municipalités Gaudin, ne pas parler d’urbanisme mais plutôt d’absence d’urbanisme.

    L’urbanisme, ce sont les méthodes permettant d’adapter des lieux choisis aux besoins humains. Se loger, travailler, se cultiver, se distraire, faire du sport, respirer, etc .. Pour cela, communiquer, se concerter, réfléchir, choisir, programmer à long terme, dans le seul intérêt de la collectivité. Organiser la vie citoyenne, aménager l’espace public avec, depuis maintenant plus de 60 ans, des impératifs écologiques (rappelons nous de René Dumont)- diversité, piétonisation, espaces-verts, transports en commun, etc, etc .. Mettre en valeur le patrimoine, protéger les espaces naturels, multiplier les lieux de rencontre, installer une mixité sociale, démonter les ghettos, maîtriser le foncier, préempter…

    Que restera t-il des années Gaudin? Les grands projets sont nés des municipalités précédentes. Le parc du 26e centenaire? Le Stade vélodrome?

    Bon courage à la nouvelle équipe,

    Jacques Péronne – Architecte –

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  3. Alceste. Alceste.

    Vous en oubliez un ,non pas pour rendre hommage au maire décédé, mais juste pour être à peu près complet la transformation de l’hôtel Noailles en commissariat. Ce n’est pas très rock’n’roll, mais il l’a fait.
    Pendant sa mandature Gaudin à tenté d’éradiquer le souvenir de RP Vigouroux même en fermant le musée de la mode sur la Canebiere créé par Maryline Vigouroux pour aller au bout de son obsession.

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