PROPOS SUR L’HISTOIRE DU LOGEMENT À MARSEILLE
Nous n’allons pas écrire une histoire du logement à Marseille. Ce serait trop long, de nombreux ouvrages ont déjà été publiés sur la question. Je voudrais seulement proposer quelques idées pour comprendre cette histoire, pour lui donner une signification, et pour engager une réflexion sur le « squelette urbain » qui fonde la culture de la ville dans le temps long et dessine, dans le temps long, une trame inconsciente du logement
La première vie urbaine à Marseille
La première vie marseillaise est celle des pêcheurs et des artisans. Elle va structurer un squelette de rues et de parcours encore présent aujourd’hui dans les plans d’urbanisme. Ce logement marseillais est celui de celles et de ceux qui vivaient là les premiers et celui des grecs arrivés ici pour fonder la colonie de Phocée. Dans ce « squelette urbain » des premiers temps de la ville, se perçoivent déjà deux tendances majeures dans le logement marseillais. La première est, comme dans toutes les villes, une séparation nette entre la Marseille des riches et des pouvoirs et celle des petites gens, de celles et ceux qui font réellement vivre Marseille en y imprimant une véritable culture populaire. Le long de ce qui deviendra la Canebière et autour du port, le logement est un univers de petites maisons, qui seront une architecture permanente à Marseille dans le temps long. À côté se dressent les premières constructions riches et les édifices institutionnels comme les temples et les édifices religieux, ainsi que les premiers réseaux de rues et de voies de circulation comme celles qui sont apparues sous nos yeux au moment des fouilles du quartier de la Bourse. L’autre tendance première du logement marseillais est l’importance du parcours, du déplacement, y compris dans le logement. Cette sorte de « culture du parcours » est à la fois celle des voies de circulation et celle des espaces d’échanges.
Boutiques et premiers immeubles : le commerce commence à façonner Marseille
En effet, lLe commerce va devenir l’activité urbaine essentielle, celle qui va donner à la ville ses formes et ses structures jusqu’à l’époque contemporaine de la Marseille d’aujourd’hui. Le commerce va faire du port un véritable centre urbain et c’est de cette époque que date la Loge, qui deviendra l’Hôtel de ville, construit à partir de 1653 à l’emplacement de la « Loge », qui, à partir du treizième siècle est le siège des autorités consulaires et marchandes. Le commerce va façonner le logement de Marseille de deux manières. Il va organiser la ville autour des activités liées au port et au commerce. C’est ainsi que les logements vont se construire autour des axes Est-Ouest et Nord-Sud autour desquels se déploient les activités des négociants. C’est aussi de cette manière que des quartiers comme celui de la Plaine vont se construire autour des lieux des marchés. Les « trois fenêtres », ces immeubles comptant trois fenêtres par étage, vont devenir une constante importante du logement marseillais. Mesurant en général 7 mètres de largeur et 30 mètres de profondeur, ils permettant d’accueillir la famille classique du XIXème siècle ; ces immeubles ont vu leur « modèle » conçu en 1847 par l’architecte Victor Leroy.
Les « grands immeubles » : la fin du dix-huitième siècle, puis la culture « haussmannienne »
Comme toutes les villes de France, Marseille a connu une importante urbanisation à l’époque de Napoléon III. C’est le moment où les campagnes commencent à se vider de leurs paysans et où la culture de la ville commence à attirer des populations de plus en plus nombreuses. Haussmann est préfet de la Seine au temps de Napoléon III et c’est lui qui élabore des schémas de structuration de l’aménagement urbain qui seront bientôt ceux des villes françaises, mais, au-delà, c’est l’ensemble de la culture urbaine qui va se structurer à cette époque : Haussmann ne fait que donner aux villes françaises le modèle dominant de la ville de son temps. À Marseille, c’est de ce temps que datent à la fois les premiers grands immeubles et les rues qu’ils bordent, qui deviennent les axes de la vie urbaine. La Canebière moderne, la rue de Rome, le boulevard Chave, ne sont que quelques exemples de cette forme d’urbanisation, qui va connaître une logique de structuration renforcée par l’arrivée du chemin de fer.
Les grands ensembles et la rupture de la guerre 1939-1945
La structuration haussmannienne du logement marseillais va être la conception dominante dans l’espace de la ville jusqu’à la deuxième guerre mondiale. En fait, c’est dès les années trente que le logement marseillais va être transformé par deux ruptures fondamentales. La première est cette sorte d’effet d’œuf et de poule – une fois de plus, c’est une façon ordinaire de parler de « dialectique », forme majeure de la rationalité contemporaine – qui va organiser la ville et le lien entre le centre et les périphéries autour de l’hégémonie de la voiture particulière. La voiture va permettre d’atténuer l’effet d’éloignement des périphéries et va y faciliter le logement. En même temps, les périphéries vont se peupler de façon irrationnelle en multipliant les cités, en faisant s’accroître les immeubles en hauteur et en largeur, mais aussi en multipliant les effets indésirables de la voiture particulière : la pollution et les embouteillages, pour commencer. Mais l’autre rupture de la guerre va consister, à Marseille comme dans la plupart des grandes villes, dans la construction de « cités » et de grands ensembles autour de la pression du marché de l’immobilier. Cela va engager trois évolutions du logement. La première est l’aggravation des clivages sociaux entre les « ensembles pour riches » et les « ensembles pour pauvres ». L a seconde est l’affaiblissement de la vie sociale urbaine : ne sortant plus de leur grand ensemble où l’on trouve les écoles et les commerces, les habitantes et les habitants de la ville n’habitent plus que dans leur logement, autour de la télévision et, aujourd’hui, des médias numériques. Enfin, cette rupture va imposer de nouveaux modes urbains de vie en aménageant des sortes de « fausses villes », des espaces dans lesquels se mène une vie urbaine illusoire. C’est dans ces fausses villes qu’ont lieu, aujourd’hui les trafics de stupéfiants et les violences qui se multiplient, accentuant l’emprise sur l’espace urbain de la disparition d’une véritable vie culturelle et d’une vie sociale authentique. On ne peut pas comprendre la crise contemporaine de la vie urbaine, ainsi que les violences qu’elle connaît à Marseille, sans la situer ainsi dans l’histoire du logement dans le fait urbain.
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