“Per-trauma”
Suite à l'effondrement, le secteur a été bouclé pour permettre le travail des secours comme ici rue Jaubert. Photo C. By.
« L’odeur et la fumée m’ont poursuivi jusqu’à chez moi… Je connaissais le bruit sourd d’un immeuble qui s’effondre, maintenant j’en connais le parfum et la lumière floutée. La rage et le désespoir face une ville qui se fait du mal à elle-même, ça fait trop longtemps que je les connais, peut-être depuis que je suis arrivé à Marseille. Je viens de rentrer chez moi, je ne sais pas de quoi sera faite la nuit, ni la journée de demain. Nous sommes en vie, et ça c’est précieux ». J’écris ces mots pour clore un moment. Il est 4h du matin d’un dimanche 9 avril et je viens de rentrer chez moi. Après des heures passées dans le froid à attendre, je m’endors dans une nuit sombre, comme beaucoup d’autres.
Il y a bientôt cinq ans, je parlais dans cette agora d’une « mélodie macabre » et du « bruit sourd d’un effondrement ». Cette fois, la ville toute entière s’est sentie secouée d’une percussion lourde venue de la rue Tivoli. La ville festive et la ville endormie, la ville populaire et celle bourgeoise, toutes ont tremblé aux sons de l’explosion. La dernière fois qu’elles s’étaient déjà réunies, c’était le samedi 10 novembre 2018 lors d’une marche blanche silencieuse. Elles savent s’unir quand elles souffrent.
Rien n’est désormais pareil, ou presque. Les causes de l’explosion de ce weekend, d’abord, ne sont pas les mêmes. On ne parle pas ici d’habitat indigne. Malgré tout, malgré nous, les conséquences, nos émotions, nos souvenirs se font écho. En 2019, c’est ce que les psychologues bénévoles réuni·es autour du Collectif du 5 novembre avaient appelé un « per-trauma ». Ils et elles identifiaient un traumatisme périphérique, prenant racine dans un même événement et au tempo du mal-logement. Chaque délogement que nous accompagnions lui donnait l’occasion de se réveiller, se diffusant au gré de l’éparpillement de milliers de marseillais·es. Chaque décès, aux Lauriers, à Félix Pyat, aux Flamants, venait rappeler ce souvenir macabre.
L’explosion de la nuit du 9 avril, qu’il faut qualifier pour le moment d’accident collectif, est venue travailler ce traumatisme à coup d’images de gravats, de cabas remplis de vêtements, de la présence des mêmes sapeur·es-pompier·es et des mêmes solidarités de voisinage. Depuis cinq ans, des accords ont été passés pour assurer aux délogé·es des droits et un accompagnement, dont les collectifs et associations se font gardiennes. Ils sont applicables ici aussi, au-delà des causes du drame qui diffèrent. C’est un autre écho : celui qui saisit les 199 délogé·es, dont certain·es étaient des citoyen·nes solidaires au moment du drame de la rue d’Aubagne. Les élu·es, cette fois, se montrent présent·es et accompagnant·es, malgré les flottements dont certain·es sinitré·es témoignent. Rester dignes, cela change déjà beaucoup de choses.
Nous, militant·es du logement digne, ne sommes pas grand-chose et ne pouvons que rappeler cela, transmettre notre expérience à ceux et celles qui, sur place, ne nous ont pas attendu·es pour s’entraider[1] et qui prendront la parole comme bon leur semble.
[1] Pour proposer des dons et/ou un hébergement solidaire, vous pouvez contacter l’association des parents d’élèves de l’école Roosevelt, que le Collectif du 5 novembre soutient : tivoli.ape@gmail.com ou utiliser l’application AOUF, qui avait été mise en place après le drame de la rue d’Aubagne, réactivée pendant le confinement et à nouveau opérationnelle pour soutenir les délogé·es de la rue Tivoli et environs : https://beta.aouf.fr/ . Pour notre part, nous chercher à identifier les besoins non-pouvus et à apporter notre soutien au bon endroit en favorisant l’auto-organisation des personnes délogées.
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