Pas à part

Attitudes Habillees de Balkis Moutashar- Mirabel White

En ouverture de bal et dans la suite presque logique de sa dernière création (qui nous parlait du deuil à faire après la tuerie du Bataclan), le maître des lieux programme Chers de Kaori Ito. Les Chers, ce sont ces êtres qui nous manquent, ceux qui ne seront pas là et dont les six interprètes au plateau convoquent l’absence, au moyen d’une danse précise, sensuelle, mâtinée de hip-hop et toujours intense. À leur suite, Le Corps utopique sera celui d’Emma Gustaffson, admirée pendant une bonne décennie au sein du Ballet Preljocaj, qui revient dans une “adaptation chorégraphique” d’une conférence de Michel Foucault donnée en 1966. En collaboration avec Laurent Hatat, elle en donne ici une version légère et décalée, mais éloquente de la pensée de celui qui s’autorisa presque toutes les directions en matière de réflexion sur le corps.

Plus loin encore dans la programmation, on retrouve les liens de Michel Kelemenis, son travail de veille et de suivi. C’est dans sa “maison pour la danse”, comme il aime à désigner Klap, que la chorégraphe Manon Avram avait trouvé vitrine pour sa très belle pièce l’an dernier et qu’elle revient présenter aujourd’hui Steps, un duo de femmes qui, sur un sol jonché de chaussures, prend pour matrice les mouvements de ceux que l’on trouve dans les camps de l’exil. Le même soir, un autre duo, formé par Joachim Maudet et Sophie Lèbre, détournera les narrations que nous vivons au quotidien, sans tri des situations et des contextes cette fois.

Les historiques compères de route de Kelemenis seront bien sûr là. À commencer par Frank Micheletti, toujours virtuose en hybridation, qui change encore sa façon de faire pour proposer une expérience chorégraphique avec quatre interprètes et un invité surprise, histoire de changer les formats et les attentes de chacun. Puis Christian Ubl dévoilera un pan de sa prochaine création qui réunit sept danseurs, un chanteur lyrique et un musicien dans un rituel inventé entre bouffons et puissants, aux allures certainement contestataires. Les femmes proches depuis toujours seront aussi là : Christine Fricker, avec un quatuor de “libres danseurs” qui s’expérimente sur les choix et surtout sur les décisions à prendre ; et Corinne Pontana, qui se dévoile seule au gré d’un cheminement poétique et sur la voix de son partenaire de toujours, François Bouteau.

Selon des enjeux de sensorialité chers aux partenaires naturellement liés que sont le Gmem et Klap, la création commune de la danseuse Wendy Cornu et du musicien Lucien Gaudion, Les Mers imaginaires, monte un « dispositif lumineux qui va générer du son qui à son tour va générer une sculpture sur le corps de Wendy », dans une ambiance pour le moins électrisante.

Au fil du festival, Mathieu Hocquemiller, bien connu pour ses audacieuses installations immersives, présentera son dernier opus, Goupils, plaçant en perspective la construction des normes avec le droit des minorités.

Mais l’événement le plus attendu de cette édition est sans doute les Attitudes Habillées de Balkis Moutashar, qui nous a souvent réjouis avec ses spectacles jeune public. Elle montre avec cette dernière pièce au casting excitant — que ce soit sur le plateau comme en coulisses et aux manettes — le point d’orgue d’un cycle dédié à la danse et au vêtement. Elle y pose des questions presque transcendantales à l’humanité, qui résument à elles seules l’attention portée par les créateurs chorégraphiques : “Quelle mémoire les corps contemporains pourraient en porter ? Des générations de corsets et de faux culs en métal ont-elles laissé des traces dans les corps d’aujourd’hui ?”. Savoir se poser les bonnes questions, c’est en octobre et à Marseille que ça se fait.

Joanna Selvidès

Festival Question de Danse : du 2 au 16/10 à Marseille.
Rens. : 04 96 11 11 20 / www.kelemenis.fr