MARSEILLE : UN MARCHÉ MÉDITERRANÉEN (6)
NOAILLES : LE MARCHÉ DES CAPUCINS
Entre l’ancienne station de tramway de Noailles et la Canebière, le marché des Capucins est réellement un marché du centre de la ville. Situé le long d’une rue étroite, il manifeste un Marseille vivant et actif.
Le marché des Capucins, à Noailles, en 2020. (Photo : BG)
Le marché des Capucins
Il y a des « marchés des Capucins » dans beaucoup de villes de France. Ordre monastique très actif dans les villes du Moyen Âge, les Capucins étaient, en particulier, à l’origine d’activités urbaines très développées dans le domaine de la culture. Mais ils disposaient aussi de vastes propriétés devenues des « biens nationaux » au temps de la Révolution. Ces propriétés étaient des espaces sociaux dans lesquels se tenaient toutes sortes d’activités de ville — en particulier, donc, les marchés. C’est en 1835 que Joseph Papère propose de construire, à Marseille, dans le quartier des Capucins, une halle, qui deviendra la Bourse du travail, et c’est sous cette halle que la première voie de tramway permettra l’ouverture de la première ligne, en 1893. Une rue porte, d’ailleurs, son nom : elle va de la Canebière au marché. Le bâtiment qui abrite la gare du tramway et la locale des syndicats semble veiller sur le marché en le dominant de sa construction imposante. Le Marché des Capucins a, ainsi, succédé aux jardins et à la propriété du couvent qui lui a donné son nom. C’est une vraie petite ville que les religieux avaient établie là, avec, à la veille de la Révolution, nous dit A. Blès dans son Dictionnaire, une fabrique de draps, une pharmacie et un jardin botanique : ainsi, les fruits et les légumes s’étaient déjà installés dans ce lieu du centre de la ville.
Un marché où l’on est proche les uns des autres
La foule qui se presse aujourd’hui sur le marché est compacte, elle nous étreint. Elle se livre eaux activités d’un marché le long de rues étroites qui favorisent un rapprochement des acteurs du marché, donnant au marché de Noailles une sorte d’intimité. On est dans ce marché comme dans une maison trop petite pour tout ce monde. Ce marché est, en ce sens, une sorte de figure du peuple de Marseille. Ce n’est pas pour rien qu’une Bourse du Travail a pu être installée sur un des flancs du bâtiment qui abrite la gare du tramway. Le marché des Capucins (on dit, d’ailleurs, plutôt, Noailles) est une expression de la vie sociale de la ville. C’est un marché en même temps qu’un lieu où l’on se retrouve parmi d’autres habitants de la ville – à moins que l’on ne s’y perde dans cet afflux d’habitantes et d’habitants de la ville. Noailles et les Capucins sont une espèce de Marseille en réduction. L’affluence est le signe d’une vitalité certaine de la ville, elle permet de la voir respirer, en se pressant, mais aussi en s’invectivant : le flux de la ville la fait vivre dans ces artères toujours engorgées du marché des Capucins. Comme dans tous les marchés, nous sommes toujours les voisins les uns des autres, mais, ici, à Noailles, peut-être encore plus qu’ailleurs.
L’opéra du marché des Capucins
C’est bien pour cela que « Le Marché des Capucins » pourrait être le titre d’un opéra, d’un oratorio ou d’une symphonie. C’est que le passage dans ce marché — si l’on arrive à s’y frayer un chemin, mais c’est une autre histoire — se fait en musique. Le défilé des usagers du marché est comme une artère qui donne sa vie à l’urbanité. Toutes sortes de bruits et de sons se font une place dans cette cohue, mais surtout le son des voix, des paroles, des cris, car il faut crier pour se faire entendre. Il y a tellement de voix dans ce concert que ce ne sont pas vraiment des conversations. Ce ne sont pas les mots qui s’échangent sur cette place, ce sont les produits et les denrées que l’on vend et que l’on achète. Il n’y a pas vraiment de mots dans ces voix : c’est pourquoi sans doute vaut-il mieux parler d’un opéra, car on a du mal à écouter les voix. Cette musique est faite de mots qui n’ont plus que le sens de leur sonorité.
L’opéra ou l’apéro ?
Cette musique est celle des voix, mais elle est surtout celle des relations et des échanges : elle est celle d’une foule qui se retrouve aux terrasses des cafés, pour permettre au cœur de Marseille de battre encore plus fort. Nous pouvons parler d’opéra, car, comme dans les opéras que nous avons l’habitude d’écouter ou d’entendre, ce ne sont pas les mots qui donnent le sens de cette œuvre de chaque jour, mais les airs qui s’y chantent et les postures ainsi que les regards de celles et de ceux qui s’y rencontrent. Quant à l’apéro qui borde cet opéra, il est mis en musique par les bars qui entourent la place et qui la nourrissent d’îlots de sociabilité. Cet opéra est la musique d’une infinité de rencontres et de relations : c’est pourquoi il vient chanter la ville. L’apéro, ce sont les cafés qui, en bordant la place, lui donnent sa géographie et son temps. Dans ce dialogue ininterrompu entre l’opéra et l’apéro, la ville s’écoule dans le flux de sa foule et dans la dynamique des échanges qui la font vivre.
Le retour de l’agora
Nous voilà ainsi revenus au temps où la ville consistait dans un centre politique fondé sur un marché et où la citoyenneté consistait dans un flux de paroles et dans une succession sans fin de mots et de cris. Au cœur de la ville, Noailles est un peu une agora pour Marseille. Celles et ceux qui se pressent en se parlant et en criant au marché de Noailles expriment de cette façon leur appartenance à la ville et la culture urbaine dont ils sont porteurs, en même temps que de leurs cageots. Ils nous permettent de ne pas oublier qu’une ville n’est pas faite seulement de maisons dans lesquelles on s’enferme sans regards et sans paroles les uns pour les autres, mais qu’elle est un ensemble de lieux où les opéras des marchés se parlent et se chantent, mettant en musique la vie de la ville. La ville se retrouve entre ces étals, ces marchands et leurs clients, mais aussi entre ces poissons et ces viandes, ces fruits et ces légumes, ces fromages et ces pains, car c’est ainsi que se nourrissent et vivent les habitantes et les habitants de la ville, à qui les marchés servent un peu de repères.
De nombreuses informations ont été recueillies dans le Dictionnaire historique des rues de Marseille d’A. Blès (J. Laffitte,2001)
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