Mes châteaux d’If: Séverine l’Insurgée.

Billet de blog
le 20 Oct 2022
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Mes châteaux d’If: Séverine l’Insurgée.
Mes châteaux d’If: Séverine l’Insurgée.

Mes châteaux d’If: Séverine l’Insurgée.

Un journalisme anarchiste.

 

« Allume ta croix au foyer des chaumières, aux cuisines des châteaux, aux fournaises des usines, et fais-le flamboyer sur le monde, ce vivant drapeau rouge sur lequel nul n’osera porter la main.» Ecce homo, voici un texte publié dans le Cri du peuple, d’un superbe lyrisme, enflammant les esprits dans une langue perdue. Séverine ou Caroline Rémy fut journaliste, féministe et libertaire. Alors qu’elle écrivait des articles dans un grand nombre de titres, son nom reste méconnu. Je crois que j’ai découvert son nom dans le livre d’ Anne Steiner sur Miguel Almeyreyda à l’Echappée, livre incroyable sur le début du 20éme siècle, la trahison politique devant la guerre et la presse de l’époque.

Séverine c’est une écriture comme on n’en trouve plus. Un style entre Hugo et Vallés, une manière de parler de l’actualité avec des formes de l’ancien testament et des vers d’Homére. Vaillant, Ravachol et le peuple deviennent ainsi les Achille, Hector et Troyens de son époque. Vaillant qui jete dans la chambre des députés une bombe pleine de clous sera exécuté. Sante Caserio, anarchiste italien le vengera en assassinant Sadi Carnot. En ces temps-là, les chefs d’États craignaient encore les anarchistes. Séverine tente d’obtenir la grâce de Vaillant en vain. Sante Caserio hérite de chansons.

Ce ne sont évidement pas les 4 barbus qui ont cette si jolie voix.

 

Cette édition préparée par Laurence Ducousso-Lacaze et Sophie Muscianese, deux professeures de lettres sous la bienveillante houlette de Jacques Baujard offre une sélection de texte de Séverine montrant son parcours qui n’est pas sans erreurs. Son boulangisme, son anti dreyfusisme vite passé, sont compensés par ses engagements à la LDH et en faveur des communards, des anarchistes poseurs de bombes, ou pour l’avortement comme dans le journal Gil Blas, en faveur de Jeanne de Jonquieres, l’épouse infidèle d’un officier de marine, qui se retrouve condamnée pour avoir jeté son fœtus à la mer.

Séverine, ce sont des milliers d’articles : 6000! Christophe Barbier est battu! Les éditions de l’Echappée ont retenu le papier émouvant sur les femmes de Fourmies qui seront, même mortes, victimes de calomnies. Un journaliste du Temps se permet de qualifier les victimes manifestantes de femmes de mœurs légères. Séverine répond finement avec: «Je voudrais bien n’être désagréable à personne, mais vrai, je me demande où il avait la tête, la rédacteur mal avisé...» Cette formule vaut de l’or comme l’expression de la Camarde qui nivela les corps. Elle n’hésite pas à parler des mortes avec la précision d’un tireur: «Maria Blondeau avait 15 ans. Une balle arriva, qui d’après le mot d’un témoin, lui détacha le sommet du crane comme un couvercle de bouilloire.» Chacune des jeunes femmes passe dans cette description qui ne fait pas dans la dentelle. En guise de conclusion, elle a encore cette phrase sublime: «Chaque pavé de nos rues est un cœur de misérable, sur lequel passe, fringant, joli, pomponné, l’équipage de riches.»

Avec les pauvres, toujours-malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes…malgré leurs crimes!

Elle défendra Ravachol et ceux qui sont passés aux actes, «avec les pauvres, toujours-malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes…malgré leurs crimes!» écrit elle dans le Cri du peuple combattant Jules Guesde. Dans ce texte, elle résume sans fard la vie d’une femme du peuple, violée par le contremaître, enceinte à quatorze ans, chair à plaisir, chair à travail. Comme dans la chanson de Jules Jouy.Toujours Séverine inscrit ses plaidoiries pour le peuple dans le cadre ouvert du féminisme social, d’un féminisme de classe.

Un article dans l’ Eclair de 1892 évoque le droit des femmes à porter pantalon et à sa battre en duel. Séverine en rencontrant Marguerite Durand rejoindra la journal La Fronde, journal féministe s’il en est. Dans le journal En marche( à ne pas confondre avec le mouvement du hold-up macronien) elle attaque les journalistes qui prennent prétexte de la passion pour défendre le crime des hommes violents, enfin pour dessouder leurs compagnes et s’absoudre de leurs forfaits.

Dans Mon féminisme paru dans l’Humanité en 1919, elle explique que la durée de la guerre aurait pu être abrégée si les femmes avaient voté, qu’elle souhaite que, malgré les souffrances, «le féminisme ne dégénère en bataille des sexes» Et conclut «Tout mon féminisme tient en deux mots: Justice, d’abord; et puis tout de suite, bien vite, tendresse

Un drapeau noir, c’est bien cela: Louise avait l’air d’un drapeau noir.

Mais Séverine s’il elle s’emploie à combattre ses adversaires, sait leur rendre hommage. Elle dresse un portrait magnifique de Barbey d’Aurevilly, un ennemi des femmes de lettres, tandis qu’elle abat son stylo sur Jules Ferry, qui participa à la répression de la Commune de Paris et fut favorable à l’expansion coloniale. Elle nous instruit sur tous ces personnages qui sont désormais dans les livres d’histoires, les rues et les hommages. Dans Le Populaire du centre, elle rend hommage à Louise Michel: « ...elle avait gardé le rire divin qui attire les enfants, rassure les bêtes, réchauffe les cœurs, met du soleil dans les plus sombres galetas.» Louise Michel «qui avait la sourire, oui, et surtout dans le risque et davantage quand le risque était grave. Parce qu’on savait qu’un visage clair inspire de la confiance, dégage de la lumière, promet des fins plus belles.» Son portrait est si beau qu’on a envie de le reproduire en entier: «Un drapeau noir, c’est bien cela: Louise avait l’air d’un drapeau noir.  Ses colères flambaient comme flambe une meule.»

Est-il besoin de dire que le titre de l’Insurgée est là pour rappeler sa filiation avec Jules Vallès? On attend avec impatience la rééditions des ouvrages, tous épuisés sur Séverine. Comme le rappelle Paul Couturiau, Séverine était la journaliste la plus connue de son temps. On l’a un peu vite oublié. Peut-être que Dreyfusard, antimilitariste, féministe et anarchiste, cela fait beaucoup, non?

 

L’Insurgée. Séverine, L’échappée, collection Lampe tempête, Paris, 272 Pages, 20 euros. Préface de Paul Couturiau.

Commentaires

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  1. Christophe Goby Christophe Goby

    L’insurgée c’est son nom…

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