Mes châteaux d’If: Quand nous chantions sous Franco.
Mes châteaux d’If: Quand nous chantions sous Franco.
Quand l’ agora se dit Gora…
«Il nous a mené du bar à la scène» raconte Xanpun, un bersolari labourdin à propos de Michel Labéguerie, homme politique basque qui collectait les chansons et les danses du pays basque.
Cet ouvrage passionnant sur la chanson basque, je vais vous l’écrire en français, excusez-moi d’avance, vous les abertzales et autres locuteurs de l’euskara.
Je m’empresse de traduire bersolari par improvisateur. Au pays basque, où il était interdit de parler la langue, on prenait des gifles des instituteurs dans les années 50. Et on devenait curé pour échapper au travail des champs, autant que pour fournir à l’église un enfant, un honneur en ce temps là. Mais à l’église, on y parlait en basque, on apprenait le chant (la messe en grégorien) la musique et parfois on y rencontrait un prêtre militant, de la langue basque, donc de la culture basque, donc un ami d’ETA par capillarité. Certains des chanteurs basques les plus connus ont eu ce parcours, parfois ouvert sur la musique par la famille, parfois par les fêtes de village.
La gifle, quand on s’en sort, c’est cette marque qui fait de vous un rebelle à la France, c’est celle que prit la sœur de Benat Sarasola de Socoa «une gifle tellement violente qu’une de ces boucles d’oreilles flambant neuve avait valsé au fond de la classe parce qu’elle avait introduit un terme en basque dans une poésie en français. Elle a dû copier cent fois:« Mes parents me parleront français à la maison.»
Pour Joanes Bordas, fils de métayers d’ Itxassou, « Pour moi la langue basque et le statut de paysan étaient liés» A l’école le système dit de la bûchette lui interdisait de parler. A la maison, «Nous chantions tout le temps chez nous. Même quand nous allions ou nous revenions de l’école, nous chantions. C’était une bonne période.»
La rencontre avec le curé rouge, Piarres Larzabal a été déterminante. Conscience de l’ euskara, apprentissage du chant basque.
Manex Pagola, un musicien, va diriger quelques camarades vers le chant basque. C’est en chantant ou jouant en basque qu’ils vont prendre conscience de leur identité basque. Et même découvrir un pays au sud où l’on parle aussi euskara, qu’on appelle tendrement Hegoalde. « mais ces espagnols, ils parlent comme nous» se dit Joanes un beau jour.
Michel Labéguerie va bouleverser la jeunesse basque avec un appel à la lutte nommé « Gu gira Euskadiko Gatzeria berria » chant nationaliste et chant de libération à la fois.
L’exil pousse les basques les plus pauvres à partir en Amérique du sud, d’autres partent faire berger dans l’ouest américain et les femmes s’engagent comme domestiques à Bordeaux ou Paris. Un étudiant appelé Enaut Etxamendi prendra la parole et fondra avec d’autres le mouvement Enbata. Il écrit une belle chanson d’exil: Bidez Bide nabilez» «Pourquoi je chante en basque. Il n’y a plus personne pour m’entendre...»
La dépossession foncière s’accompagne d’une détérioration de la pratique de la langue. ( Voir la chanson Otxagabia) Une fraction des basques va s’en rendre compte et réarmer son combat à coups de guitare et de chansons répétées jusqu’au bout de la nuit. Les chanteurs franco-basques vont même faire des tournées au pays basque sud qui vit depuis 1939 jusqu’en 1975 sous le règne du dictateur fasciste Francisco Franco. En 1970, Joseba Elosegui s’immole au fronton d’Anoeta à Donostia ( San Sebastian) lors du championnat mondial de pelote, qui est toujours remporté par des basques, quelque soit leur nationalité. Ceci en protestation du procés de Burgos, un procès historique suite à l’assassinat d’un policier espagnol en 1968. Seize basques dont deux prêtres et une femme doivent être jugés. Six d’entre eux sont condamnés à la peine de mort mais une mobilisation internationale les sauve du garrottage. L’enlèvement du consul allemand Beilh par ETA en représailles et ses péripéties en Soule donneront naissance à une chanson tordante de Roger Idiart. Une autre chanson comique va être écrite par Enaut Extamendi aprés l’attentat spectaculaire contre Carrero Blanco, le chef du gouvernement espagnol qui battit le record du monde de saut avec sa voiture : 30 mètres de haut. Un exploit revendiqué par le commando Txikia d’ ETA.
«In nomine patris et filli
Il a sauté en l’air et ensuite il est retombé!
Il en avait expédié beaucoup au ciel
Et donc nous étions en reste avec Carrero…»
La chanson fait un tabac avec son Yup la la…et le slogan « Et hop Franco, plus haut que Carrero qui a été poussé par des milliers de voix durant ses années de contestation mondiale. (L’ami Jeff me l’a encore confirmé ce matin à la brasserie de la Tour.)
Une autre chanson fera un tabac, Euskalduna naiz eta ( en 1969) dans les soirées, concerts ou les kantaldi. Elle est un appel à la lutte des deux cotés de la frontière. Peio et panxoa, les Simon and Garfunkel basques eux aussi sortis du séminaire, émergent à cette époque et rencontrent Telesforo Monzon, un tribun basque réfugié à Saint Jean de Luz. Il écrit Itziar-en semea, chanson qui dénonce la torture sous Franco et raconte l’histoire d’Andoni Arrizabalaga.
«Le fils d’Itziar
ne dénonce pas ses amis
et devant les Zakur la police
il reste silencieux et courageux.»
Une autre composition de Monzon s’appelle « Lepoan hartu ta segi aurrera» traduit par Prends le sur l’épaule et continue de l’avant. «Batasuna» «l’ Unité» c’est à dire l’unification des deux pays en un seul a aussi été interprété par Pantxoa et Peio et provoquait une grande émotion en Hegoalde. Sachez que les basques sont très émotifs avec les chansons…
Cet ouvrage richement documenté explore un sujet peu traité de la chanson: le chant basque, forcément contestataire à cette époque. On y retrouve aussi les figures du groupe Guk, de Zazpiri Bai; de Manex Pagola ou de Maité Idirin, une des rares femmes à avoir trouvé sa place. Un CD est inclus.
L’oppression subie par et avec la langue trouvera son chemin chez tous ceux qui l’ont aussi connu pour leur provençal de paysan, leur occitan, leur patois des montagnes ou de l’Allier. Corses, bretons, occitans, berbères…tous ont subi un redressement du palais pour bien parler la langue dominante. Ici et là-bas,on veut parler le chinois, le finnois, l’urdu, mais aussi le basque ou même le souletin, si l’on veut!
Mais surtout basque ou pas, prends le sur l’épaule et continue de l’avant…
QUAND NOUS CHANTIONS SOUS FRANCO, Colette Larraburu, Elkar Histoire, 2021,198 pages, 20 Euros. Les photos sont de Daniel Velez.
Milesker à Patxi pour ce livre.
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