[Mes châteaux d’If] L’arabe du passé
Christophe Goby est un littéraire. Il écrit et lit beaucoup. Il tient ici une chronique littéraire qui embrasse le monde dans toute sa diversité.
Le château d'If (Crédit : Milena/Flickr)
Pourquoi ce journaliste au Monde a–t-il perdu l’usage de l’arabe ? L’arabe, langue qu’il pratiquait enfant avant d’émigrer du Liban. Nabil Wakim s’interroge, puis questionne sa famille ainsi que des personnes de premier plan, très à l’aise avec le français sur leur rapport à la langue familiale, à la langue d’origine. Ces recherches vont des dispositifs ELCO à l’enseignement par cœur des sourates du Coran. Pourquoi l’arabe est si peu enseigné en France alors que ses locuteurs sont si nombreux ? L’arabe est même la seconde parlée en France. Deux raisons émergent : “On ne veut pas de petits bougnoules dans notre bahut du centre-ville ou l’arabe c’est fait pour la mosquée.”
On oublie simplement que l’arabe est comme le russe ou le chinois, une langue parlée par des millions de locuteurs de par le monde avec ses dialectes, sa variété, ou sa langue haute, l’arabe littéraire. On feint d’ignorer que la plupart des musulmans ne parlent pas l’arabe. Quoi qu’on en dise, on ne parle arabe ni en Iran ni en Turquie ! Par contre les chrétiens libanais eux le parlent. La langue arabe souffre d’une convergence de préjugés : langue ennemie, langue des pauvres, des immigrés, de la rue et depuis peu de quelques terroristes. À ce titre, elle est devenue la langue de la duplicité et du mensonge. Pour les parents arabophones immigrés aussi.
Si elle est parlée par un conseiller de Macron, elle est lavée de ses taches. Si c’est par un conseiller financier de Sarkozy en Libye, elle est noble. Par contre à l’école ou dans le métro, les arabophones baissent la tête et ne lisent pas dans la langue d’origine. Il ne suffit pas d’être de gauche pour accepter l’enseignement de l’arabe. Au nom de la laïcité, cette langue est rejetée vers les religieux qui dégoutent très vite les enfants d’en user. L’intégration est alors « réussie » avec la perte d’une langue en pertes et profits.
Cet ouvrage simple d’accès mais riche d’enseignements oublie seulement l’écueil de l’indépendance algérienne, source d’un ressentiment contre les « arabes » et leur langue.
L’auteur, non sans humour, rapporte combien il a lui-même intégré la honte de parler arabe en France.
La honte, c’est bien la maladie qu’aurait pu contracter Mehdi Charef. Le gamin arrivé d’Algérie dans un bidonville de Nanterre pour y retrouver son père, est un bon élève. Il est aussi un excellent observateur. Son regard impressionnant capte les réalités de la colonisation. En trois livres dont deux sont sortis aux éditions Hors d’atteinte, il raconte avec une belle langue, sans emphase son enfance. D’abord au bled en Algérie où il va perdre sa sœur, tombée dans un puits, puis en banlieue parisienne. Rue des pâquerettes est un beau livre dont le décor ressemble à celui d’Hors la Loi, le film de Rachid Bouchared.
Il n’y a pas de plainte dans ce récit, hormis le long deuil de la mère de Mehdi Charef. La description suffit à raconter le sort fait aux algériens, travailleurs exilés pour construire Paris. La colonisation c’est ce long travail de destruction et de privation pour une population, son exil forcé puis l’extorsion de sa force de travail en la privant de conditions de vie honorables. Mehdi le dit. Son père construit des immeubles où ils ne vivront pas. Pire : On ne propose aux Algériens aucun cours du soir en français. Ils ne seront que des corps soumis au travail.
À leur côté, leurs enfants s’élèvent avec espoir, avec grâce, et sortent leurs parents de la condition qui leur est faite. Cela rappelle le récit touchant de Dalie Farah, Impasse Verlaine, ou l’autrice devenue professeur de français dans le Puy-de-Dôme, raconte sa mère importée d’Algérie vers le continent. Chez Mehdi Charef, les phrases sont courtes d’une colère rentrée. Elles sont comme des plans de cinéma. On suit un regard qui se souvient de tout. «… toute sa vie, le colonisé garde le colon dans sa tête »
Chez tous ceux-là, la littérature sauvera des coups ou de la misère. Toujours de l’ignorance.
Christophe Goby.
L’arabe pour tous. Pourquoi ma langue est taboue en France. Nabil Wakim, Seuil, Paris, 2020, 200 pages, 17euros.
Rue de Pâquerettes, Vivants, Medhi Charef, Hors d’Atteinte, Marseille, 2019.
Impasse Verlaine. Dalie Farah. Grasset. 2019.
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