Mes châteaux d’If: Anthracite Slave.
Mes châteaux d’If: Anthracite Slave.
Il y a des jours où je préfère tailler des crayons. Devant les discours guerriers et les conneries répétées en boucle dans les médias et reprises par tout à chacun, je me réfugie dans la taille des crayons.
D’autres ont encore la force de raconter ce qui pourrait ouvrir les yeux aux aveugles. Le cecifoot existe bien, le cecisavoir aussi. Puisque l’on parle du handicap en ce moment, j’avais écrit pour le Diplo un texte sur la natation et notamment j’évoquais le livre incroyable de Valentine Goby sur un nageur privé de ses membres. Murène.
En recevant le troisième tome de Slava, je ne m’attendais pas à décoller autant. Pierre Henry Gomont a mis ses dernières cartouches dans cette histoire de mines après la fin de l’ URSS pour raconter de façon romanesque mais incroyablement crédible ( Je me suis fait avoir par la mort de Nina) la désindustrialisation de l’ancienne terre des soviets. Volodia, le père se bat comme un diable mais est terrassé par les manœuvres des oligarques et l’indolence des mineurs. Slava est couronné par ses peintures du monde ouvrier et de la mine que s’achètent à prix d’or ceux qui mettent en pièce la sidérurgie du pays. Un enfer pour un autre est excellent album de rentrée mais si vous ne connaissez pas, vous devrez acheter les deux précédents.
Le hasard heureux des placements des bibliothécaires de l’Alcazar m’ont fait choisir Anthracite de Cédric Gras. J’étais tombé sur Bérézina de Sylvain Tesson à Ludwigshafen au milieu de centaines de livres en allemand. Cédric Gras était un des héros du voyage dans le side-car et j’ai eu envie de voir s’il était aussi grandilopédant que Tesson.
Bonne surprise, Anthracite,son premier livre, sorti en 2016 est nécessaire. Tout comme Guerre et Pluie dont je vous ai parlé cet été. C’est le livre à lire sur le conflit russo-Ukrainien. Avec l’histoire de Vladen, ce chef d’orchestre de Donetsk (Donbass) qui fait jouer l’hymne ukrainien chez les séparatistes, il raconte avec humour cette guerre civile commencé en 2014 et qui n’est toujours pas finie, car, qui sait, l’Occident a toujours besoin de vendre ses avions Rafales, et toute sa panoplie d’armements. Quand notre vendeur Number One est capable de faire traîner une nomination pour vendre des avions à la Serbie, alliée de la Russie, on se demande si «l’ église est au milieu du village», comme aime à le seriner la veste retournée de Yaël.
Vladen, ni ukrainien, ni russe, d’ailleurs sa mère était grecque, est un trouble-guerre qui par ses excentricités tel un personnage moins Candide que celui de Voltaire, va nous raconter le conflit du Donbass, région de mines et de charbon pas si inutile que ça, mon cher Bernard Lavilliers.( Voir le Stéphanois)
« On n’a rien demandé, ni la révolution, ni la sécession » pourrait résumer l’avis de bon nombre d’ex-habitants de cette région qui fut la patrie de Stakhanov et le réservoir énergétique de l’Union soviétique. Stakhanov, héros prolétarien et haveur de choc, mourut à Torez dans le Donbass. Une cité dédiée à Maurice Thorez, secrétaire du Parti Communiste Français réfugié en URSS pendant la guerre.Pourtant la chute du gouvernement à Maïdan et les envies d’Europe d’une partie de l’Ouest de l’ Ukraine vont exciter ceux qui voient leurs saluts dans un retour vers la Russie. L’Est et le Sud de l’Ukraine se sentaient plus russophones que l’Ouest. Les oligarques, eux, se sentent du parti de l’’argent. Vladen rejoint son ami d’enfance, Émile, nommé ainsi en l’honneur de Zola, dans le Donbass où celui-ci dirige une mine. Ensemble ils vont parcourir les lignes ennemies et nous faire partager la complexité des âmes slaves, qui ressemblent étrangement aux autres esprits humains.
Dans les champs avec le bataillon Sitch, les Donbassiens se retrouvent déchiquetés par l’aviation de Kiev: Les morgues «Elles étaient pleines à craquer de bras tchétchènes, de têtes d’Ossètes, de jambes criméennes et de pauvres gars du coin » On se traite de nazis ou d’Ukr, on s’invective en insultant les péquenots du Donbass.
Nos deux Bouvard et Pécuchet s’exclament : « Merde ! revoilà l’ armée, qu’est ce qu’on va leur baratiner cette fois » Braves compères qui n’ont qu’un rêve, sauver leur peau et retrouver leurs amours perdues.
La musique de la guerre ne s’arrête jamais tout à fait.Canons contre cymbales, flûtes contre Kamaz, Ils rencontrent un groupe folklorique maelstrom de toutes les musiques de toutes les Russies. Quand les musiciens entament un air du Kouban, ces cosaques du Don gueulent à plein poumons l’hymne ukrainien contre lequel ils ont fait sécession. Ironie et violence aérienne peuplent leur été.
Cédric Gras connaît bien la Russie et raconte par mille anecdotes la vie que mènent les Ukrainiens depuis la chute de l’ URSS. C’est fin, c’est vrai. Ça devient un plaidoyer comique contre les guerres.
Quand Émile et son hôte l’afghan, éméchés tous deux, s’en prennent à l’Occident et à sa révolution bourgeoise, Maïdan,Vladen regarde le plafond où le plâtre s’émiette : «Le plus déplorable dans la guerre, c’est qu’elle prend du temps à la vie.»
Dans une épicerie de fortune face à immeuble éventré, la vendeuse hisse un drapeau différent à chaque détonation: « Le pouvoir change à nouveau! Ça fait trois fois…les uns fuient, les autres reviennent, le lendemain c’est la contraire.»
Émile sera touché par une explosion. A l’hôpital un médecin libanais le soigne.« Des Nael, des Mohamed, des Doualas, l’université de Donetsk en était pleine à craquer avant toutes ces plaies.»
Vladen répond «C’est pas la notre de guerre. C’est celle du Tsar, du roi du chocolat, des princes du charbon et de l’Occident outre atlantique.»
Son fils intégré de force dans l’armée le laisse songeur: «C’est ma chair qui partait à la guerre. Ces politiques de Maidan, voila qu’ils envoyaient nos petits à la boucherie, à nous qui ne leur avions jamais demandé de faire la révolution. Pourquoi n’incorporaient-ils pas plutôt leurs rejetons, dont les frasques n’avaient rien à envier à la progéniture du régime fraîchement déchu?»
Si l’on veut lire quelque chose de bien sérieux mais pas drôle du tout, on lira le dernier livre de Sébastien Gobert, L‘Ukraine, la République et les Oligarques. ( Seuil)
On évitera absolument deux livres, celui de Dominique Moisi: le Triomphe des émotions et la bande dessinée de Nora Krug, Journal de guerre. Le premier est sans intérêt, le second culpabilisant pour les Russes.
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Quelques livres et une sortie BD sur le Donbass et les mines de l’Est.
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Pierre-Henri Gomont sera à Marseille à l’invitation de la réserve à Bulles le 27 septembre. Au conservatoire avec Nicolas Mathieu. 18H;
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