« MARSEILLE EN GRAND » ET LA COUR RÉGIONALE DES COMPTES
Le 1er novembre dernier, j’avais proposé une première lecture de l’évaluation du plan « Marseille en grand » par la Cour régionale des comptes. Je voudrais revenir aujourd’hui sur cette évaluation à propos de quelques points particuliers.
Des pouvoirs locaux à repenser
Le rapport de la Cour régionale des comptes évoque une « Marseille polycentrique », qui n’occupe pas sa place de « ville-centre ». Sans doute l’évaluation de la cour renvoie-t-elle, une fois de plus, à la confusion entre les deux pouvoirs locaux que sont la métropole et la municipalité. Si Marseille n’occupe pas sa place de ville-centre et se trouve dan l’impossibilité de pleinement exercer les pouvoirs liés à cette place, c’est justement en raison de cette juxtaposition, voire de cette concurrence, entre les deux pouvoirs majeurs de la ville, concurrence avivée quand, comme c’est le cas aujourd’hui, les deux dirigeants appartiennent à des entités politiques différentes. Ce que nous dit le rapport de la Cour régionale des comptes, c’est qu’il faut revoir l’organisation des pouvoirs locaux à Marseille. La confrontation entre les deux pouvoirs, entre l’Hôtel de ville et le Pharo est, en réalité, une confrontation entre deux approches de l’urbanité. Tandis que la municipalité repose sur un projet de politique de la ville, la métropole cherche, en quelque sorte, à noyer la ville dans la métropole, à faire en sorte que les pouvoirs métropolitains parviennent à étouffer les pouvoirs municipaux. La concurrence entre les deux autorités n’est pas seulement une affaire de confrontation entre des partis ou entre des orientations : l’identité politique même de la métropole ne peut qu’être opposée à celle de la municipalité. On peut se demander, finalement, si l’institution d’une métropole à Marseille n’avait pas précisément pour but de se débarrasser de la municipalité, de la priver de ses pouvoirs. Au-delà même, l’existence de deux entités institutionnelles ne peut parvenir qu’à faire disparaître les pouvoirs politiques de la ville, à la priver de son identité politique. Cela se manifeste dans le rapport de la Cour par ce qu’il appelle « la carence » des pouvoirs locaux. Au passage, je voudrais rappeler une fois de plus qu’il faudrait cesser de réduire l’État à sa dimension nationale, comment cela se fait systématiquement : les municipalités et les métropoles sont elles aussi des institutions de l’État.
L’élaboration du plan et les conditions de sa mise en œuvre
Le rapport note (p. 9) une « absence de cadre contractuel » et nous rappelle qu’en dehors du discours d’E. Macron, au Pharo du 2 septembre 2021, aucun document n’est venu définir pleinement le plan « Marseille en grand », qu’il s’agisse des projets ou des acteurs appelés à le mettre en œuvre. Les objectifs de ce plan « n’ont pas été explicités », selon le rapport (p. 11). Cela montre bien que ce « plan » ne constituait pas un véritable projet politique, en raison des conditions même dans lesquelles il a été élaboré puis mis en œuvre. Il ne s’agissait que d’une lubie de plus d’un président en quête de lieux où exercer son pouvoir. « L’organisation lacunaire » de l’application du plan (p. 15-16) et l’absence de précision quant au rôle des acteurs concernés, en particulier la préfecture (p. 16) dénotent bien, de leur côté, le côté amateuriste d’un tel plan. Au lieu de d’engager sur une ville pour faire la preuve de la rationalité de son plan et de son bien-fondé, le président se contente d’égrener des idées sans lien les unes avec les autres, sans réfléchir véritablement aux conditions dans lesquelles un tel plan sera à appliquer. « J’ai les idées géniales, débrouillez-vous pour leur donner corps », semble dire E. Macron aux acteurs institutionnels locaux.
Insuffisance de la gouvernance
C’est bien ce que manifeste les deux années d’application du plan : une absence de gouvernance (cf. p. 17 du bilan de la Cour des comptes). Le plan est appliqué, en quelque sorte à l’aveuglette, alors qu’il aurait dû constituer une sorte de boussole pour les acteurs politiques et les responsables marseillais. D’abord, les magistrats notent une distinction insuffisante entre les propositions du long terme et celles du court terme, et, ensuite, ils relèvent une « absence de suivi ». Cela entraîne, au bout de ces deux ans une « satisfaction hypothétique », écrivent-ils (p. 18). Cette insuffisance de la gouvernance semble tenir à deux éléments essentiels. Le premier est l’hésitation sur le rôle de ce plan et sur ce qu’il représente. Une véritable autorité et une certaine efficacité d’un tel plan auraient nécessité une élaboration démocratique à laquelle les acteurs et les pouvoirs marseillais auraient pu pleinement adhérer, ayant concouru à son expression. L’autre élément manquant à la définition du rôle de ce plan est, selon le rapport des magistrats, une absence de « cadre contractuel » (p. 19). Cela veut bien dire que le plan ne s’inscrit pas dans la perspective d’une convention entre les deux parties, l’état national et la municipalité, d’une négociation, d’un dialogue entre elles : le plan a été imposé d’en haut, en quelque sorte parachuté, comme si la décentralisation n’existait plus – au moins entre Paris et Marseille.
Un premier bilan de « Marseille en grand »
C’est que le défaut originel de ce plan est là : au lieu de se fonder sur un dialogue entre les pouvoirs nationaux et les pouvoirs municipaux, il repose sur une approche centralisatrice des projets de la municipalité. Un tel déni de l’existence même de pouvoirs locaux démocratiquement désignés fait revenir les relents de la colonisation. Tout se passe comme si Paris voulait coloniser Marseille, comme si Marseille n’était qu’une colonie de notre pays. Cet excès de pouvoir du président, qui va jusqu’à charger une ancienne ministre de suivre l’application du plan, montre qu’il considère les élus et les pouvoirs marseillais, la ville de Marseille même, comme des acteurs trop peu fiables pour se voir reconnaître des pouvoirs légitimes. Marseille ne serait pas adulte, heureusement qu’il y aurait l’Élysée pour lui donner des indications, voire des ordres, pour lui permettre de se développer. Nous voilà revenus au temps de l’incendie des « Nouvelles Galeries », en 1934, quand les pompiers de la municipalité avaient été remplacés par Paris par le corps militaire des « marins-pompiers » en raison de ses insuffisances. Mais nous ne sommes pas en 1934, et aucune insuffisance n’est à déplorer de la part de la municipalité Payan. À moins que le président n’impute à la municipalité la responsabilité des effondrements de la rue d’Aubagne. Mais elle n’était pas au pouvoir quand la tragédie a eu lieu. La ville de Marseille n’a pas de comptes à rendre au président, elle est bien assez légitime politiquement pour élaborer toute seule un plan de développement sans s’en voir imposer un. En fait, ce premier bilan de « Marseille en grand » ne fait apparaître que l’excès de pouvoir du président de la République à Marseille sans que les habitantes et les habitants de la ville lui aient reconnu une quelconque légitimité.
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