Retour sur le défilé du 22 mars

MARSEILLE DANS LA RUE

Billet de blog
le 25 Mar 2018
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Comme partout en France, il y avait du monde dans la rue, à Marseille, le 22 mars. Pour beaucoup, cette date est, à elle seule, un souvenir : c’est un 22 mars qu’une première révolte avait eu lieu, à Nanterre, dans une résidence universitaire. On ne savait pas encore qu’elle était un signe avant-coureur de ce qui aurait lieu en mai 1968. Aujourd’hui, à Marseille, comme à Paris, comme dans de nombreuses villes en France, c’est, en tout cas, le signe d’un malaise et d’une colère qu’il est urgent d’entendre.

Les manifestations du 22 mars

10 000 personnes selon la police, 55 000 selon la C.G.T. (en soi, cet écart ridicule est déjà le signe d’un malaise) ont donc défilé sur la Canebière et cours Lieutaud jusqu’à Castellane pour protester contre la politique sociale engagée par le pouvoir, autour de la réforme du Code du travail et de la réforme de la S.N.C.F., et, de façon plus générale, autour du libéralisme menant à la disparition des services publics et à l’affaiblissement de l’État. Cette manifestation et les grèves qui l’accompagnaient étaient à la fois un mouvement de protestation et de rejet de cette politique et un mouvement manifestant un refus du libéralisme, mais aussi, au-delà, une dénonciation de la surdité du pouvoir et de la façon dont le président de la République et le gouvernement exercent le pouvoir, dans une sorte d’aveuglement devant le malaise qui grandit dans l’opinion et dans une sorte d’ignorance devant l’aggravation des conditions de vie de la population – à moins que, plutôt que de l’ignorance, il ne s’agisse d’une forme de mépris devant ce que certains ont appelé « l’urgence sociale ». En affirmant, au nom du gouvernement, une « très grande détermination à poursuivre les transformations », B. Griveaux, le porte-parole du gouvernement, a affiché cette sorte d’enfermement du pouvoir dans la surdité face aux revendications et à l’indignation.

 

Significations politiques des manifestations

Au-delà, il convient de donner des significations à ces manifestations, de les comprendre, de les interpréter. D’abord, il s’agit d’un rejet du pouvoir. En défilant dans la rue, le peuple a manifesté son refus de la politique menée dans le domaine du travail et de la libéralisation exprimée par la réforme de la S.N.C.F. Encore convient-il d’aller plus loin : sans doute importe-t-il de rappeler que l’ouverture du transport par chemin de fer à la concurrence et sa libéralisation constituent des applications de décisions prises par l’Union européenne : c’est donc, sans doute, un rejet de la tutelle exercée sur les pouvoirs nationaux par l’Union européenne dans une orientation libérale qui est exprimée par les manifestants du 22 mars, comme, d’ailleurs, rappelons-nous le, les grecs avaient rejeté cette contrainte européenne en choisissant le gouvernement Tsipras. Mais ces manifestations ont une autre signification : elles expriment, une fois de plus, la confrontation entre les classes aisées et les classes populaires, entre les élites sociales dirigeantes et les peuples de la rue, à Marseille en particulier, dans une région plus que d’autres frappée par le chômage et le déclin des conditions d’existence notamment dans le domaine du logement et de la dégradation des patrimoines urbains.

 

Les manifestations dans l’histoire

Allons plus loin et situons-nous dans le temps long, car, une fois de plus, c’est ce temps qui permet de comprendre ce qui se passe dans le temps court. Il a été question, au commencement, de cette sorte de rappel du 22 mars, mais il faut aller encore plus loin. En défilant, avec tous les autres, jeudi dernier, je me suis rappelé ces vers de Victor Hugo, dans « Les Châtiments ». Hugo rappelle l’épisode, raconté dans l’Ancien Testament, de la conquête de Jéricho par le peuple qui défile, au son des trompettes, autour de la ville. Hugo termine son récit des six tours de la ville par ce simple vers : « À la septième fois, les murailles tombèrent ». Au-delà de la signification biblique du récit que rappelle le poème, sans doute s’agit-il de représenter, par les vers, le pouvoir d’un peuple qui manifeste : mardi, ce n’étaient pas des trompettes qui conduisaient le peuple (encore qu’il y avait beaucoup de musique), mais c’étaient des banderoles et des paroles. La légende et la poésie nous rappellent ainsi que le peuple entend toujours exercer sa détermination et son pouvoir par son appropriation de l’espace public, en particulier de l’espace de la ville. De cette façon, le peuple construit son identité politique, à la fois en se faisant reconnaître par ceux auxquels il s’oppose et en se reconnaissant lui-même en prenant, ainsi, conscience de sa propre identité.

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