L’URGENCE, LA VIOLENCE ET LA SOLIDARITÉ

Billet de blog
le 15 Oct 2022
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« Marsactu », mercredi 12 octobre : deux événements racontés, développés, expliqués. C’est leur rencontre qui oblige à repenser l’urgence de repenser la solidarité, aujourd’hui, à Marseille.

« Marsactu », mercredi 12 octobre : deux événements racontés, développés, expliqués. C’est leur rencontre qui oblige à repenser l’urgence de repenser la solidarité, aujourd’hui, à Marseille.

Le déni de la violence des deux côtés

L’organisation d’extrême droite « Génération identitaire » est poursuivie en justice pour avoir attaqué les locaux de SOS Méditerranée et y avoir agressé des salariés qui travaillaient là. La police a expulsé violemment des migrants et des pauvres installés comme ils le pouvaient sous l’escalier de la gare Saint-Charles. Le déni de la violence consiste, dans ces deux situations, à se légitimer par une curieuse conception du « droit moral » dans le cas de Génération identitaire et sur un arrêté du préfet dans l’autre. Mais, si l’on réfléchit un peu, il s’agit de la même violence : celle de la pauvreté et de la tentative s’y mette fin – au moins de la soulager ou de tenter d’y remédier. Les migrants qui errent sur la Méditerranée n’ont pas choisi de se déplacer ainsi, au hasard, dans la mer, et les migrants ou les pauvres installés devant la gare dans des abris de fortune préféreraient, sans doute, vivre dans des conditions au moins dignes d’êtres humains. La violence des soi-disant identitaires, alors qu’ils dénient l’identité de celles et de ceux qu’ils agressent et la violence de la police qui expulsent des nomades de la gare parce que donne une mauvaise image de la ville aux voyageurs, en prévoyant d’installer des blocs de béton (quelle image de l’architecture ferroviaire de la ville !) relèvent de la même violence : celle du refus de la solidarité de la part de ceux qui croient préserver l’ordre en pratiquant une forme de désordre, celle du refus de la solidarité. Mais le déni de la violence au nom du maintien d’un certain ordre moral ou public consiste, en réalité, dans le refus de reconnaître que la pauvreté et la migrance imposée sont, en réalité, des désordres, car ils manifestent le refus de reconnaître l’autre comme un être humain, le refus de lui reconnaître une identité semblable à la nôtre : la violence consiste dans la déchirure de l’humanité.

 

La solidarité : une nécessité politique

C’est pourquoi la solidarité est une exigence du politique. La solidarité consiste à mettre en œuvre toutes les pratiques sociales qui visent à recoudre le tissu de l’humanité déchiré par le libéralisme. Car c’est bien le libéralisme économique qui jette dans la violence de l’errance dans la Méditerranée ces personnes sans emploi ou sans avenir chez eux ou dont le pays est lui-même déchiré par la guerre ou par l’incertitude de l’économie. La solidarité était un devoir moral, et elle est devenue une nécessité politique car le soi-disant ordre dominé par le libéralisme est lui-même devenu un désordre dominé par la violence et la perte de l’identité. La solidarité permet à notre monde de redevenir un ordre social dans lequel les femmes et les hommes puissent vivre hors des dangers et des menaces de la guerre et de la misère. La solidarité est devenue une exigence car on a l’impression que notre monde est revenu en arrière – à une époque comme celle de la colonisation, quand les pays soi-disant riches se sont mis à asservir les pays qu’ils avaient fini par dominer : par vaincre au cours de l’incessant combat pour la liberté et pour l’indépendance. La solidarité est une nécessité dans l’urgence de faire de nouveau exister un monde social et politique : un monde d’échanges véritables, au lieu d’être un monde de conflit entre des hégémonies. En effet, ne l’oublions pas : la violence des escaliers de la gare Saint-Charles est la même que celle de l’Ukraine.

 

Marseille et la mondialisation de la solidarité

Marseille a toujours été une ville mondiale : c’est le propre des ports. Et, d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’un des militants de S.O.S. Méditerranée agressés par Génération identitaire est un marin. Les villes mondiales sont les villes de voyages et d’échanges, mais ne sont pas des villes de violences et d’agressions. À Marseille, ainsi, plus encore peut-être qu’ailleurs, la mondialisation a renforcé l’impératif de la solidarité, à la fois politique et moral : moral, parce que cet impératif concerne la relation à l’autre, et politique, parce qu’il concerne les exigences des relations entre les pays et entre les cultures. La mondialisation a deux significations possibles : ou il s’agit de conquérir les autres pays en les réduisant à des marchés, et d’instaurer des hégémonies économiques et politiques sur le monde, ou il s’agit d’ouvrir notre identité sur le monde en donnant, ainsi, la dimension d’un espace d’échanges à ce qui, peu à peu, a fini par devenir ce que l’on peut appeler l’espace public de la mondialité. Toute l’histoire de Marseille est faite de l’ouverture au monde, mais pour cela, encore faut-il reconnaître les habitantes et les habitants des pays du monde entier comme des être humains comme nous. Le rôle de la solidarité est de reconnaître l’autre comme un être semblable à nous et de le réunir à nous par un lien social véritable.

 

La question de l’identité

C’est ce lien social ouvert à l’autre qui fonde la dimension transnationale de notre identité. C’est pourquoi, finalement, nous devons, sans doute, évoquer la question de l’identité, abusivement revendiquée par Génération identitaire, qui vole, en quelque sorte, le concept d’identité. L’identité n’est pas fermée, close sur elle-même, car on a besoin de la relation à l’autre pour exprimer celle dont on est porteur. C’est dans l’expression de notre relation à l’autre que nous manifestons notre identité, que nous lui donnons un corps. L’expérience marseillaise de la relation à l’étranger vient nous rappeler que c’est cette relation à l’autre qui fonde notre identité en faisant de nous des femmes et des hommes ouverts sur l’échange et sur la découverte des autres pays, des autres cultures, des autres femmes et des autres hommes. À force de nous fermer sur nous-mêmes, nous risquerions, si c’était le cas, par perdre notre identité, par la priver de sa signification.

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