Logement indigne : le procès d’un système n’aura pas lieu

Billet de blog
le 11 Déc 2024
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Logement indigne : le procès d’un système n’aura pas lieu
Logement indigne : le procès d’un système n’aura pas lieu

Logement indigne : le procès d’un système n’aura pas lieu

Le 5 novembre 2018, deux immeubles s’effondrent à Marseille, rue d’Aubagne, dans le quartier de Noailles situé dans le centre ville, provoquant la mort de huit personnes. Le procès des effondrements se tient à Marseille du 7 novembre au 18 décembre 2024.

Durant ces six semaines de procès, nous avons vu des familles et proches de victimes d’une dignité infinie. Nous avons observé la rigueur et l’impartialité de magistrat·es, dans une période où l’indépendance de la justice est de plus en plus attaquée. Nous avons écouté l’ensemble de la chaîne des acteurs et actrices du logement : propriétaires, experts, hauts fonctionnaires, techniciens, syndics, directeurs de société, élu·es.

Grâce aux citations directes des parties civiles, la somme des manquements individuels révélés dessine un système de l’exploitation du mal logement. Sans la société civile, ce procès serait donc incomplet.  Pour autant, ce système ne sera pas jugé pour ce qu’il est.

Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire

Au travers des témoignages des différents acteurs œuvrant dans l’immobilier marseillais, le procès met en lumière un système politico financier qui construit l’habitat indigne et le mal logement à l’échelle de 3 immeubles, d’une rue du centre-ville, la rue d’Aubagne.

D’abord, l’hypocrisie des acteurs de l’immobilier, avocat, syndics, SCI et autres propriétaires bailleurs, qui ne savent pas, ne se souviennent plus, n’ont jamais entendu parler… Sourds, aveugles et muets face aux alertes de leurs locataires et à celles des experts, la majorité œuvre avant tout à retarder et à minimiser les travaux, donc les dépenses.

Ensuite, la défaillance des « experts » et techniciens, qui malgré les alertes répétées sur plusieurs années, ont manqué chacune des occasions d’imposer les travaux ou les mesures de sécurité qui auraient permis d’éviter le drame. Un service en « clans » dira une ancienne technicienne, après un long silence qui raconte toute la tension et l’inertie d’une administration sous la chape de plomb d’une classe politique et d’un syndicat complice, entre une poignée de techniciens compétents et la promotion clientéliste d’agents municipaux sous qualifiés, dociles, et protégés. Une promotion de l’incompétence donc, valorisée à tous les échelons municipaux, et assumée par Claude Bertrand, l’ancien Directeur de cabinet du Maire Jean-Claude Gaudin.

Enfin, le désintérêt de la classe politique incarnée par l’élu à la sécurité des immeubles pour les missions qui vont lui être confiées. Un désintérêt de classe, qui n’est autre qu’un mépris de classe, celui d’une classe politique dans l’entre soi, complètement déconnectée des services administratifs et techniques. Un désintérêt qui renvoie à des arbitrages budgétaires, des choix politiques de ne pas agir et qui font écho à la gestion de la crise des délogements par Jean Claude Gaudin lorsqu’il considérait que “la mairie a été assez généreuse” lors du conseil municipal du 1er avril 2019. Même le drame du 5 novembre 2018 n’a pas réussi à infléchir leur conviction profonde que les plus fragiles ne méritent pas la sécurité. Un désintérêt abject pour le droit à vivre dignement, et d’une irresponsabilité abyssale. Depuis les bancs de la salle des audiences, on hurle intérieurement.

Tous ces opérateurs ont préféré abandonner la politique de l’habitat et de la sécurité des immeubles, pour ne s’intéresser qu’à l’immédiateté d’opérations vitrines : ravalements de façades, « requalification » de places publiques, valorisation de l’attractivité commerciale, vente d’un patrimoine public pour des hôtels de luxe… Et espérer l’arrivée d’investisseurs privés, en prédation d’un bâti dévalué pour y réaliser des plus-values. Derrière ces choix qui n’ont été aucunement réalisés par défaut, se loge une vision financière du foncier, un modèle économique de la réhabilitation via les cadeaux fiscaux aux rentiers – propriétaires investisseurs. Pour que cela fonctionne, il faut une série de conditions juridiques (loi De Robien puis Pinel pour défiscaliser) et pratiques, incluant du laisser faire sur le contrôle des travaux, et une chaîne d’intermédiaires prenant chacun leur part sans trop regarder. Mais surtout, il faut que ces opérateurs aient l’assurance que le système politico- juridique va bien couvrir le modèle économique. C’est ce qui a fonctionné, jusqu’au désastre annoncé. Un mépris de classe ordinaire vécu comme une normalité par les protagonistes, et constituée en système politique depuis plus de deux décennies.

Le procès a révélé le cynisme du business de la rente à Marseille et de ses racines politiques. Mais les mécanismes du système de l’exploitation du mal logement ne pourront être ni dénoncés, ni jugés dans ce procès. Comme il ne pourra pas non plus juger certains témoins qui auraient dû être sur le banc des prévenus.

Ces injustices sont choquantes. Et elles choquent déjà les milliers de victimes du mal-logement à Marseille, et les milliers de leurs soutiens.

Nous comprenons que dans le périmètre de ce procès la justice n’ait pu appréhender qu’une partie de ce scandale immense. Mais quelles que soient les condamnations qui tomberont sur les 16 prévenus de ce procès, on ne pourra pas en rester là. Aussi, nous demandons une commission d’enquête parlementaire sur l’habitat indigne.

Crédit Photo : Jean de Pena

Signataires :

Liliana Lalonde, maman de Julien Lalonde, victime de l’effondrement de la rue d’Aubagne
Un Centre Ville Pour Tous
Collectif du 5 Novembre – Noailles en Colère
Assemblée de la Plaine
Noailles Debout
Sud Education 13
La ManuFabrik
Mouvement Utopia
Le CeM, Collectif des écoles de Marseille
Primitivi
Groupe de veille Busserine
RUSF 13
RESF 13
Art’Up 13
Donut
Collectif Félix Pyat
Adelphi’Cité
Alternatiba Marseille
FSU 13

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